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    Chez EELV: «Comment on va faire pour que l'affaire Baupin ne se reproduise pas?»

    «Le fait d’être là, de croiser des gens dont on sait qu’ils ne nous soutiennent pas, ce n’est pas simple», raconte à BuzzFeed News une des femmes qui ont accusé Denis Baupin de harcèlement sexuel.

    A Lorient - Ce vendredi 26 août, à 14 heures, parmi les différents ateliers proposés aux Journées d’été d’EELV, on en trouvait un intitulé «Harcèlement: pourquoi? Comment l’éviter?» Le nom de Denis Baupin n’est jamais cité dans le texte de présentation, mais il suffit de regarder la liste des intervenantes pour comprendre de quoi il s’agit. À la tribune, on trouve Isabelle Attard, Elen Debost, Annie Lahmer, Sandrine Rousseau. Quatre femmes qui, avec d’autres anonymes, ont accusé Denis Baupin de harcèlement sexuel dans l’enquête conjointe de Mediapart et de France Inter publiée en mai dernier. On retrouve aussi Vanessa Jérome, la chercheuse et militante écologiste qui a publié en 2013 un article universitaire évoquant un «DSK des Verts».

    «Comment on va faire dans notre parti pour que cela ne se reproduise pas?», questionne Elen Debost, adjointe au maire du Mans. «Je ne suis pas sûre qu’on soit au point. Il y a aussi beaucoup de silence de certaines personnes.» C’est le but affiché de l’atelier: comprendre les mécanismes pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus.

    Isabelle Attard, Sandrine Rousseau, Annie Lahmer, Elen Debost, qui ont témoigné contre #Baupin, sont à l'atelier

    «Les femmes parlent»

    «Le premier texto, je l’ai montré, j’en ai parlé à plus d’une dizaine de personnes, rapidement», se souvient-elle. «Les femmes parlent», renchérit Sandrine Rousseau, secrétaire nationale adjointe EELV, qui a elle aussi témoigné contre Denis Baupin.

    «J’ai été surprise, moi-même, du nombre de personnes à qui j’en ai parlé -dont plusieurs membres de la direction. La question qui se pose c’est: comment l’institution se protège et comment les femmes ne sont pas entendues? Toutes les personnes à qui j’en ai parlé on prit ça comme un truc personnel qui ne me concernait que moi. Nous n’avions pas vraiment de possibilités pour nous défendre dans l’institution EELV.»

    Elen Debost fait passer son message: «Les raisons pour se taire, ce n’est pas nous qui nous les fabriquons, c’est vous tous en fait. C’est tout le monde, c’est toute la société qui nous explique que c’est bien plus confortable de se taire.»

    «Ce n’est pas une affaire privée, c’est politique»

    Alors, quelle solution? «Si vous entendez des affaires comme ça vous devez agir», martèle Sandrine Rousseau.

    «Ce n’est pas une affaire privée, c’est politique. Vous avez le devoir de mettre les victimes dans une position où elles peuvent se défendre, en les mettant en relation avec d’autres victimes, ou en les informant sur les procédures qui sont à leur disposition.»

    «C'est devenu un vrai sujet»

    Dans la salle, il y a environs quatre-vingts personnes, dont pas mal d'hommes. C’est moins que pour une plénière, mais c’est bien pour un atelier. «Il y avait du monde, c’est l’atelier avec le plus de monde depuis le début des journées d’été», avance Annie Lahmer à BuzzFeed News. Pour cette conseillère régionale d’Île-de-France, qui explique avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de Denis Baupin à la fin des années 90, c’est devenu «un vrai sujet» au sein du parti.

    «Jeudi, ça a été évoqué par la commission féminisme, par la commission justice… On voit que des militants sont demandeurs de formation sur le sujet.»

    Lors de l’atelier, Vanessa Jérome a, elle, exposé avec son œil de chercheuse les «mécanismes du champ politique» qui expliquent qu’on en arrive à une telle situation. Et plus particulièrement à EELV, où certains se vantent que le féminisme soit dans l’ADN du parti.

    «Convaincus qu’on était des féministes nés, on s’est endormi sur nos lauriers», tacle-t-elle.

    Des pistes de travail à transformer en actions


    Plusieurs pistes de travail sont évoquées: se mobiliser pour faire avancer une loi sur l’inéligibilité en cas de harcèlement, refuser les investitures si une charte des valeurs n’est pas respectée, prévoir une procédure spécifique pour ce genre de cas dans le règlement intérieur d’EELV, créer une structure au sein du parti à laquelle les victimes pourraient parler. Ou encore intégrer des formations sur ces thématiques dès les groupes locaux et ajouter un texte sur le sujet dans le livret d’accueil des nouveaux militants. «Cet atelier était bien, maintenant il faut que ça se traduise dans les actions», conclut Sandrine Rousseau.


    EELV saura-t-il tirer toutes les conclusions de l’affaire Baupin? Plusieurs militants à qui nous avons parlé estiment que la commission féministe a pris plus de poids. Ils sont optimistes. Yannick Jadot, un des candidats à la primaire écologiste, se dit satisfait «du débat que ça a généré». «Il y a eu une capacité du parti à dire les choses», se félicite de son côté François Thiollet, conseiller municipal à Blois. «Je ne suis pas sûr que ça aurait été le cas partout.»

    Sandrine Rousseau va dans le même sens: «On a eu un soutien du parti alors que je pense que, dans d'autres familles politiques, les directions auraient adopté une position de neutralité».

    «On somatise, on a des douleurs, dans le pied, dans le dos…»

    Reste que, pour elle, comme pour les trois autres femmes d’EELV qui ont publiquement accusé le député de la 10ᵉ circonscription de Paris, la question est encore douloureuse. «On est toutes venues aux Journées d’été à reculons», nous raconte Annie Lahmer.

    «On est encore dans l’émotion, moi la première. Le fait d’être là, de croiser des gens dont on sait qu’ils ne nous soutiennent pas, ce n’est pas simple.»

    Arrêter la politique?


    «On somatise, on a des douleurs, dans le pied, dans le dos…», détaille Elen Debost à BuzzFeed News. «Si on essaie de ne pas y penser, notre corps nous le rappelle. C’est une peur qui ne nous quitte pas.» «Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie», renchérit Sandrine Rousseau.

    Elles rappellent que ce n’est pas terminé. Denis Baupin, qui a démissionné de la vice-présidence de l'Assemblée, a été entendu par la police les 2 et 3 août derniers, dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris. Elles s’inquiètent des suites judiciaires de l’affaire. Sera-t-il poursuivi? Et s’il n’est pas poursuivi, est-ce qu’il les attaquera? Elles redoutent les coups portés par la défense, forcément durs à encaisser.

    Toutes les quatre réfléchissent à arrêter la politique.

    «Jeudi, on s’est vues pour préparer l’atelier et on est toutes arrivées avec cette phrase "je ne sais pas si je vais continuer"», raconte Sandrine Rousseau à BuzzFeed News.

    «Le parti EELV sera féministe le jour où il prouvera qu’on peut être victime et continuer la politique», taclait-elle un peu plus tôt lors de l’atelier. Mais, au-delà d’EELV, elle vise le monde politique dans son intégralité. «Après la parution des articles, je n’ai pas entendu le président, je n’ai pas vu des députés s’élever pour défendre les femmes», regrette-t-elle. «J’ai trouvé le silence des hommes assourdissants.»