Aller directement au contenu
  • verifie badge

Zemmour affirme que 45 % des féministes ne sont pas hétéros et se prend les pieds dans le tapis

Cette affirmation, relayée par le polémiste et tirée d’un livre de la journaliste Peggy Sastre, s’appuie sur une étude qui ne dit pas vraiment cela.

Ce 14 février, pour la Saint-Valentin sans doute, l'éditorialiste Éric Zemmour a publié une chronique intitulée «L'éternel féminin, impossible à dépasser» dans les colonnes du Figaro.

Il y cite abondamment le nouveau livre de Peggy Sastre, Comment l'amour empoisonne les femmes.

Dans l'article d'Éric Zemmour, on retrouve une phrase-choc du livre de Peggy Sastre, qui expliquerait, d'après le polémiste, «une opposition entre la réalité féminine et le discours féministe».

«Si environ 5,5 % de la population féminine générale n’est
pas "exclusivement hétérosexuelle", le pourcentage s’élève
à près de 45 % chez les militantes féministes.»

Nous avons essayé de remonter à la source de cette affirmation étonnante.

Dans son livre, Peggy Sastre cite une étude intitulée Feminist activist women are masculinized in terms of digit-ratio and social dominance: a possible explanation for the feminist paradox («Les femmes militantes féministes sont masculinisées en termes de ratio digital et de dominance sociale : une explication possible du paradoxe féministe»). Elle est signée par Guy Madison et d'autres chercheurs et publiée dans la revue spécialisée Frontier Psychology.

Voici ce que dit cette étude, s'appuyant sur deux autres travaux : «45 % des personnes qui s'identifient comme féministes dans un échantillon américain s'identifient comme n'étant pas hétérosexuelles, principalement attirées par les femmes, comparé à 5,6 % de femmes dans ce cas dans un échantillon aléatoire américain.»

Pour donner ce chiffre de 45 %, les chercheurs et Peggy Sastre citent une autre étude américaine intitulée Everyone Feels Empowered : Understanding Feminist Self-Labeling («Tout le monde se sent autonomisé : comprendre l'étiquette féministe»), publiée dans la parution spécialisée Psychology of Women Quarterly. Cependant, impossible de retrouver ces 45 % dans cette étude.

Cette étude de Miriam Liss and Mindy J. Erchull, qui date de 2010, porte sur un échantillon non représentatif de 629 femmes américaines entre 18 et 25 ans. L'étude ne portait pas principalement sur le rapport entre l'orientation sexuelle et l'engagement féministe, mais sur les raisons qui conduisent certaines femmes à se déclarer féministes. L'objectif n'était pas d'obtenir un échantillon représentatif, mais suffisamment de femmes féministes et non féministes pour pouvoir comparer la formation de leur opinion.

En tout, 411 femmes sur les 629 se sont déclarées féministes. Pour ce qui est de l'orientation sexuelle, 152 de ces 411 femmes déclarent ne pas être hétérosexuelles. Ce qui donne un ratio de 37 % (et non de 45 %). Mais comme l'échantillon n'est pas du tout représentatif de la population, on ne peut pas non plus dire que «37 % des féministes ne sont pas hétérosexuelles».

Les deux chercheuses reconnaissent toutefois qu'il y a une proportion plus forte de femmes non hétérosexuelles parmi les femmes qui se déclarent féministes. Dans les conclusions de l'étude, les deux chercheuses rappellent une raison possible de la proportion plus forte de ces femmes parmi les féministes.

Contacté par BuzzFeed News, Éric Zemmour botte en touche : «Il faut que vous en parliez à Peggy Sastre. C’est une phrase que je tire de son livre, ni plus ni moins.», nous dit-il par e-mail.

«En effet, je ne retrouve pas les 45 % dans l'étude (Liss et al. 2010) que citent comme source Guy Madison et al.», admet Peggy Sastre pour sa part.

«Reste qu'entre 37 % et 45 %, l'ordre de grandeur n'est pas radicalement différent et l'étude de Liss et al. statue aussi que 95,6 % de son échantillon non hétéro s'identifie comme féministe (152/159)»

L'auteure nous a également transmis deux autres études qui associent orientation sexuelle et implication dans le féminisme.

Peggy Sastre nous a également envoyé la citation complète de son livre :

«Selon une étude publiée en 2014 par Guy Madison, Ulrika Aasa, John Wallert et Michael A. Woodley, ce serait que les féministes ne sont pas représentatives de la population féminine, et ce selon deux critères majeurs : l’orientation sexuelle et le caractère dominant. Par exemple, ils notent que si environ 5,5 % de la population féminine générale n’est pas « exclusivement hétérosexuelle », le pourcentage s’élève à près de 45 % chez les militantes féministes"»

L'essayiste considère aussi que Zemmour a mal traité son livre.

«Zemmour tronque donc mes propos et occulte notamment le fait que je cite une étude précise, que l'étude combine orientation sexuelle et caractère dominant dans la "non-représentativité" des militantes féministes par rapport à la population féminine générale, et que dans cette étude, la corrélation entre orientation sexuelle et féminisme est bien présentée comme une hypothèse de travail», ajoute-t-elle. Interrogé à ce sujet par e-mail, Éric Zemmour n'a pas réagi.

Donc on ne peut pas dire que 45 % des féministes ne sont pas hétéros. Et d’ailleurs, quand bien même ça serait le cas, en quoi ça serait un problème ? 🤔