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    Stickers, hashtag et canulars: les voitures garées comme des merdes prennent cher

    De nombreux cyclistes et opposants s'en prennent aux automobilistes dangereux ou mal garés.

    C'est une petite vidéo d'une minute à peine, qui illustre bien ce que l'on peut parfois ressentir quand on roule à vélo sur les grands axes à Paris. On y voit un cycliste remonter le boulevard de Belleville et galérer entre les voitures mal garées. Sur ces images, on compte plus d'une dizaine de véhicules bloquant l'accès à la piste cyclable en à peine quelques centaines de mètres. Publiée fin décembre sur le compte parodique @Parisenvoiture, elle a été partagée notamment par de nombreux cyclistes français présents sur les réseaux sociaux. Puis dans des communautés semblables du monde entier. Soit des centaines de milliers de vues.

    Belleville: pas de prunes, ni d'enclos. Le laxisme et l'abandon catalysent l'impunité. @prefpolice @Prefet75_IDF… https://t.co/MTUAVhyxyV

    «On a commencé à fabriquer nos autocollants à la main»

    Cette vidéo devenue virale montre la montée en puissance sur les réseaux sociaux des opposants aux incivilités des voitures, notamment les cyclistes. Tout a commencé en 2011, quand deux automobilistes strasbourgeois ont décidé de s'en prendre aux conducteurs incivils. Davy, qui nous a précisé ne pas du tout être cycliste, nous raconte:

    «On est deux amis et collègues, on en avait marre de voir des véhicules mal garés, dans les parkings mais aussi sur les trottoirs ou les pistes cyclables. On voulait un truc un peu fun, pour sensibiliser de manière humoristique et faire changer de comportement.»

    Et de poursuivre:

    «On a commencé à fabriquer nos autocollants "garé comme une merde" à la main, avec des planches d'étiquettes au bureau. Très vite, des amis nous ont demandé des autocollants, puis des amis d'amis, des cyclistes strasbourgeois...»

    Devant le succès de leur initiative, ils ont décidé d'imprimer des stickers de qualité et de créer une application pour smartphone, aujourd'hui en rénovation. Quatre ans plus tard, ils impriment et vendent 50.000 stickers par an et leur hashtag #gcum est devenu un défouloir national pour tous ceux qui déplorent le comportement des voitures. Et on dirait qu'il y en a beaucoup, puisqu'on compte plus d'une dizaine de mentions de #gcum chaque semaine sur Twitter, venant de toutes les villes de France.

    Heureusement, cet enfant porte un casque, cela déculpabilisera les #gcum sur la bande cyclable 😡


    La police municipale de #Grenoble garée sur une piste cyclable pour aller chercher les croissants #GRRRR… https://t.co/S0811oJPs0


    Bravo @Monoprix, vous êtes le plus beau #gcum que j'ai croisé aujourd'hui. 👏🏻

    Un hashtag créateur d'une véritable communauté

    @Cyclocastor publie des photos de ce genre depuis 2013, inspiré à l'origine par l'émergence du hashtag #gcum et par un concours de photos des pires pistes cyclables publiées par le magazine Terra eco: «Dans les médias et dans l'opinion publique, on entend toujours le point de vue des automobilistes, qui disent que c'est trop difficile de trouver une place de parking, que les cyclistes font n'importe quoi, brûlent des feux rouges...».

    «Par contre, on n'entend jamais que trop de gens sont mal garés et que ça met en danger les cyclistes. Ces photos et ces hashtags c'est un peu le seul moment où l'on est sûrs qu'on va être compris, ça nous aide à supporter ce qu'on subit tous les jours.»

    Pour @Cycliste urbain à Montreuil, ce hashtag a permis de créer une véritable communauté:

    «Ça fait une dizaine d'années que je fais du vélo dans Paris comme principal moyen de transport et je suis en permanence confronté à beaucoup d'incivilités et d'inconsciences. Mais depuis que je suis inscrit sur Twitter, je sais que je fais partie d'une communauté virtuelle d'au moins une vingtaine de comptes qui échangent quasi quotidiennement, se donnent des infos, se soutiennent et s'entraident aussi si nécessaire. Ça fait du bien!»

    «Je me gare où je veux et je vous emmerde»

    Certains entendent se servir de cette communauté pour faire plus de place aux cyclistes sur la voie publique. C'est le cas de @50_euros, la tête brûlée des cyclistes sur Twitter. Il a d'abord filmé les infractions des voitures qui mettent en danger les piétons et cyclistes. Puis, il a décidé de se faire justice lui-même et se filme par exemple en bloquant des voitures gênantes à l'aide de son vélo, pour que le conducteur ressente à son tour ce que ça fait d’être immobilisé. Il a imprimé et colle sur les voitures ses propres stickers avec des messages du type: «Je me gare où je veux et je vous emmerde». Il aime faire des crasses aux automobilistes qui le gênent, comme leur promettre de l'argent pour qu'ils quittent une piste cyclable avant de leur lancer «poisson d'avril».

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Il s'amuse aussi à balancer des saletés par les fenêtres des voitures dangereuses:

    «J'ai toujours une poche "poubelle", avec des emballages ou des papiers froissés, je leur lance par la fenêtre, c'est le meilleur moyen pour qu'ils te coursent et donc qu'ils dégagent de l'endroit dangereux où ils étaient.»

    C'est risqué: il a pris des coups et subit très régulièrement des insultes et menaces en commentaire de ses vidéos ou sur des forums comme Jeuxvideo.com. Malgré cela, il relativise le danger, comparant son sort à celui des militants russes de «Stop a douchebag», qui grimpent sur les pare-brise et recouvrent les voitures de stickers au risque de se faire rouler dessus ou d'en venir aux poings. Le cycliste rouennais nous a assuré, pas peu fier, que sa mère colle ses stickers sur les voitures et que «tout se passe bien pour elle».

    Quelle utilité pour toutes ces actions?

    Reste une question de taille: ces stickers et ces hashtags censés alerter l'opinion publique sur la cause cycliste sont-ils vraiment utiles?

    Pas vraiment selon @Cyclisteurbain: «J'ai même l'impression qu'il y a une augmentation des incivilités.» Sur Twitter, beaucoup de cyclistes sont bloqués par les comptes des défenseurs de l'auto, comme celui de Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes. Le dialogue est vite rompu. Pire, les entreprises alertées sur le comportement de leurs livreurs ou conducteurs ne répondent que très rarement aux tweets qui les mentionnent. Seule exception à notre connaissance: les taxis G7. Leur service de communication nous a détaillé:

    «Dès que nous avons connaissance de ces plaintes, les équipes G7 présentent systématiquement ses excuses, se chargent d'interpeller les chauffeurs concernés pour leur signaler la plainte et leur rappeler l'importance du respect du code de la route ainsi que de les sanctionner en cas de récidives.»

    Nous avons interrogé trois entreprises plus silencieuses, qui nous ont répondu par mail: Monoprix, Stars Services et La Poste. Monoprix l'assure: «Ce type de tweet est remonté à notre prestataire de livraison.» Plus nuancée, La Poste nous explique par téléphone:

    «Nous livrons un million de colis par jour sur tout le territoire. Nous formons régulièrement tous les postiers aux règles de bonne conduite et de sécurité routière. Je conçois que ce soit désagréable pour les cyclistes de trouver un véhicule sur la piste, mais parfois il n'y a pas d'autre solution. S'il n'y a aucune place de stationnement, comment le postier peut-il faire son travail? Ces tweets soulèvent le problème de la livraison en centre-ville, qui est une question très lourde pour les entreprises concernées.»

    Même la vidéo virale publiée par @Parisenvoiture n'a pas vraiment eu de réponse. L'élu EELV Pierre Japhet a répondu que Paris reprend la main en réformant sur le stationnement payant. Un peu à côté puisque la vidéo soulève surtout le problème du stationnement illégal.

    @ParisEnVoiture @prefpolice @Prefet75_IDF @C_Najdovski Pas de solution miracle mais au 1/1/18 Paris reprend la main https://t.co/aL35UtTbqA

    Quelques heures après notre échange, @Cyclisteurbain nous écrivait:

    «Pour revenir sur le fond, notre but est de dénoncer des comportements égoïstes et réellement dangereux. En 2015, à Strasbourg, une cycliste a été tuée précisément car elle a dû se déporter à cause de quelqu'un garé sur une bande cyclable.»