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    Des victimes d'attaques racistes après le Brexit témoignent

    «Une femme m'a fixée avec un sourire narquois et elle m'a dit: "C'est l'heure de faire les valises"», raconte une étudiante londonienne.

    Lundi dans l'après-midi, une femme en hijab se trouvait à Nottingham lorsqu'un homme qu'elle décrit comme un «voyou» s'est approché d'elle.

    «Je vais devoir vous demander de soulever votre robe pour voir si c'est une bombe que vous cachez là-dessous», lui a-t-il dit.

    Cette femme est enceinte.

    «Je suis généralement très confiante et fougueuse, mais je dois dire que je me sens un peu bouleversée», raconte la femme, qui souhaite garder l'anonymat par peur de représailles, à BuzzFeed News. «C'est la première fois que je vis quelque chose comme ça, et ça fait partie de ces choses qu'on n'imagine jamais pouvoir nous arriver. En plus, les commentaires qu'il a faits étaient très gênants et perturbants. C'était vraiment malsain de faire ce genre de commentaire sur mon ventre.»

    Depuis que le Royaume-Uni a voté pour quitter l'Union européenne, une série d'attaques xénophobes contre les minorités, dans des lieux publiques ou en ligne, a ébranlé le pays. Le National Police Chiefs Council (Conseil national des chefs de police) a déclaré qu'il y avait eu un pic important de dénonciations de crimes haineux depuis vendredi et l'annonce des résultats du vote. De nombreuses victimes disent que les résultats du référendum ont servi à légitimer le racisme latent dans certaines catégories de la population, où des traces de haine existaient déjà.

    Henna Rai, directrice du Women Against Radicalisation Network (Réseau de femmes contre la radicalisation) et amie proche de la femme enceinte qui s'est entretenue avec BuzzFeed News, nous a dit que l'attaque n'était pas seulement «motivée par la haine», mais était aussi «une agression sexuelle et une atteinte à sa pudeur». Des attaques similaires ont été rapportées dans tout le Royaume-Uni, comme lorsqu'un homme a réprimandé une musulmane portant un niqab dans un supermarché de West London, ou lorsqu'un autre homme a affronté une musulmane dans la rue et lui a demandé «d'expliquer» les attaques terroristes de Bruxelles. Selon Henna Rai, de nombreuses musulmanes sont réticentes à l'idée de dénoncer, car elles se sentent «très vulnérables et inquiètes en raison du climat actuel.»

    Lorsque les femmes vivent dans des environnements hostiles et étrangers, elles sont souvent réduites à leur corps, vu comme un moyen de procréation et pas grand-chose d'autre. Les migrantes sont souvent décrites comme des «pondeuses» par les groupes d'extrême droite, qui pensent que les immigrés cherchent à «remplacer» la population du pays. «Je remercie Dieu pour le #Brexit», pouvait-on lire dans un tweet publié vendredi. «Nous pouvons maintenant empêcher les migrants musulmans de surpasser le nombre de citoyens britanniques.»

    Anna Vanzan, professeure spécialisée dans les questions d'islam et de genre à l'université de Milan, explique que les femmes qui portent le hijab sont plus particulièrement ciblées car elles représentent la foi de manière visible.

    «Les musulmanes et leurs signes religieux extérieurs (comme le hijab) sont non seulement vues comme des obstacles à la laïcité et à la modernité, ou comme symbolisant le refus d'accepter les valeurs occidentales ou européennes, a-t-elle écrit, mais aussi [...] comme l'un des symboles de la "haine" musulmane à l'encontre de la civilisation occidentale et comme une preuve qu'elles cherchent à la détruire.»

    Les témoignages partagés par les victimes d'actes xénophobes semblent suivre un schéma similaire: l'agression est publique, souvent verbale, l'auteur est décrit comme étant visiblement en colère ou amusé, et, dans la plupart des cas, on demande à la victime de quitter le pays.

    À Glasgow, des autocollants indiquant «zone blanche» ont été placardés dans plusieurs parties de la ville. La English Defence League (Ligue de défense anglaise), un «mouvement» britannique d'extrême droite, a organisé un rassemblement devant une mosquée de Birmingham. La police enquête sur un graffiti raciste retrouvé devant l'entrée principale du centre polonais de West London. Lundi soir, un cocktail Molotov a été lancé dans une boucherie halal de Walsall. Mardi, la police de Manchester a arrêté trois adolescents présumés filmés en train de crier des insultes racistes à un passager du tram, et disant à l'homme de «retourner en Afrique». De tels incidents ont été condamnés par l'ONU et par le Premier ministre David Cameron, alors que le maire de Londres Sadiq Khan a rassuré le public en disant que la police serait «ultra vigilante».

    Un étudiant gallois qui a lancé le «hashtag» #PostRefRacism, dans le but de référencer les attaques racistes post-référendum sur les réseaux sociaux, a dit à BuzzFeed News qu'il avait été agressé avec son frère par un homme blanc d'âge moyen. «Nous prenions un verre lorsqu'il nous a dit que "nous ne serions jamais de vrais britanniques" et qu'il "s'en foutait que nous soyons là pour devenir docteurs, avocats, ou quoi que ce soit, et de juste retourner dans notre pays et de le faire là-bas".»

    L'étudiant, qui déménage aux États-Unis plus tard dans l'année afin d'étudier, a demandé à garder l'anonymat par crainte de représailles. «C'était au milieu de la journée, en plein jour, dans un bar étudiant plutôt bondé», a-t-il dit.

    L'étudiant a dit à BuzzFeed News que les attaques les plus couramment rapportées étaient verbales –des commentaires comme «nous avons voté pour vous mettre dehors, pourquoi êtes-vous encore là?» ou «faites vos valises, quand est-ce que vous rentrez chez vous?» Mais il a aussi noté des cas d'attaques violentes, de vandalisme, d'intimidation en groupe, le genre de choses que les gens ont peur de voir se transformer en attaques physiques.


    Tell Mama, une association caritative qui soutient les victimes d'islamophobie au Royaume-Uni, dit que 30 cas d'actes anti-musulmans leur ont été rapportés depuis vendredi.

    Le fondateur de l'association, Fiyaz Mughal, a dit à BuzzFeed News que la majorité des agressions rapportées sur l'ensemble du pays étaient verbales et ciblaient des musulmanes. D'après Fiyaz Mughal, les auteurs étaient surtout des hommes blancs âgés de 17 à 45 ans.

    Bien que Tell Mama précise que le nombre d'agressions rapportées n'est pas aussi élevé qu'après les attaques terroristes comme celle de Paris en novembre (après laquelle 151 incidents avaient été répertoriés au cours d'une seule semaine), il est tout aussi important de rester attentifs à ces cas.

    «Les commentaires envers les femmes sont très spécifiques au référendum, avec des déclarations comme "nous avons voté pour que vous partiez, pourquoi n'êtes-vous pas encore partie?"» a expliqué Fiyaz Mughal. «Plus les musulmanes reçoivent de messages comme celui-ci, moins elles osent sortir, faire des choses, et vivre dans leur communauté.»

    Fiyaz Mughal a dit que les «jeunes hommes blancs influençables» risquaient d'être influencés par l'idéologie extrémiste anti-musulmans, et que la haine serait encore plus exacerbée après les résultats du Brexit.

    «Notre inquiétude est que le Brexit renforce encore cette façon de penser, qu'il donne du crédit à cette façon de penser, et qu'il lui donne de l'aplomb», a-t-il dit.

    Dimanche, trois femmes britanniques –Sarah Childs, 32 ans, Yasmin Weaver, 31 ans, et Natasha Blank, 32 ans– ont commencé à faire des captures d'écran des attaques racistes en ligne et à les poster dans un album Facebook. Le soir venu, le trio avait reçu un nombre écrasant de soumissions, et créé un groupe Facebook, Worrying Signs (des signes inquiétants), qui a été rejoint par des milliers de personnes dès le jour de son lancement.

    Natasha Blank, qui vit à Manchester, a dit que le groupe avait remarqué qu'un grand nombre de personnes qui avaient partagé leur expérience d'agression raciste étaient noires, polonaises ou juives.

    «Nous ne pensons pas que toutes les personnes ayant voté pour sortir de l'UE soient racistes, et notre groupe n'a pas non plus pour but de réprimander les personnes ayant voté pour la sortie», a-t-elle dit à BuzzFeed News. «Mais de nombreuses personnes ont dit que depuis l'annonce du résultat, c'est comme si quelque chose de latent avait soudain explosé.»

    De nombreuses personnes ayant partagé leur expérience sur les réseaux sociaux ont dit que même si être victime de racisme n'était pas rare avant le résultat du référendum, cela c'était intensifié les jours suivants.

    Bahar, étudiante à Londres et née en Angleterre, a personnellement vécu cette intimidation. Vendredi, lorsqu'elle a appris que le pays avait voté pour quitter l'UE, elle est sortie acheter de la glace pour se réconforter, a-t-elle dit. En faisant la queue au magasin, une femme blanche d'une cinquantaine d'années s'est retournée pour la regarder. Bahar a dit: «Elle m'a fixée avec un sourire narquois, puis elle m'a dit: "C'est l'heure de faire les valises."» Aucune personne du magasin n'a réagi.

    D'après l'association contre le racisme Hope Not Hate, il y a eu un grand nombre de rapports «inquiétants» concernant des incidents racistes à l'encontre de Polonais, de musulmans, et d'autres communautés depuis le Brexit. Après l'augmentation d'agressions xénophobes à l'encontre de la communauté polonaise, la Metropolitan Police a dit être en «alerte élevée», alors que l'ambassade de Pologne a dit être «choquée et très inquiète» et a incité les gens «victimes d'agressions xénophobes et tous les témoins à rapporter de tels incidents».

    Une Polonaise travaillant pour le NHS, le système de santé publique, a dit que «tout avait changé» depuis le vote et que, depuis quelques jours, elle avait peur pour la sécurité de ses deux enfants. Cette femme, qui a souhaité garder l'anonymat mais partager son expérience sur la page Facebook Worrying Signs, vit au Royaume-Uni avec ses deux enfants depuis dix ans –et elle fait partie des près de 2 millions d'immigrants polonais vivants au Royaume-Uni. Elle dit que, depuis le vote, elle a reçu publiquement plusieurs remarques de la part d'inconnus lui disant: «Plus de vermine polonaise.»

    Ce qu'elle a vécu au cours des derniers jours lui a fait reconsidérer sa vie en Angleterre, a-t-elle dit.

    «Je prends mon travail très à cœur, tout comme le fait de prendre soin des patients», a-t-elle dit. «Tout ce que je veux c'est que mes enfants aient un futur meilleur, mais j'ai aujourd'hui le sentiment d'avoir pris la mauvaise décision.»

    Olivia, 17 ans, a déménagé au Royaume-Uni avec ses parents polonais il y a dix ans. Elle pense que le vote a rendu les habitants du lieu où elle habite plus hostiles envers les Polonais.

    «C'est différent», raconte Olivia à BuzzFeed News via Facebook Messenger depuis chez elle, à Liverpool. «Depuis le vote, j'ai l'impression d'être constamment jugée et que l'on va me sauter dessus. Auparavant, certaines personnes ne cachaient pas le fait qu'elles étaient dérangées par mes origines, mais ça a largement empiré depuis le Brexit. Les gens me lancent constamment des regards noirs, et certains ont dit des choses comme: "Qu'est-ce que cette pute polonaise fait encore ici?" Généralement, ils ne font que le marmonner dans le bus, en espérant que je ne les entende pas.»

    Après que la Pologne a rejoint l'UE en 2004, les migrants polonais sont devenus la plus grande communauté de citoyens étrangers du Royaume-Uni, représentant environ 15% de la population totale en 2016. Les partis d'extrême droite du Royaume-Uni ont depuis longtemps utilisé leur rhétorique anti-polonais pour nourrir leurs points de vue anti-immigration, comme dans les appels du British National Party à «fermer les portes» aux travailleurs polonais.

    Sur son Facebook, Olivia a dit avoir vu une augmentation du nombre de vidéos dans lesquelles le drapeau polonais était brûlé, dans des endroits non spécifiés, accompagnées de commentaires de gens décrivant les Polonais comme de la vermine. «Franchement, je suis dégoûtée par le comportement de certaines personnes, mais ce qui est vraiment triste c'est que nous y sommes maintenant habitués», a-t-elle dit.

    À la suite du vote, les citoyens de l'Union européenne non britanniques sont restés dans l'incertitude: seront-ils forcés à quitter le Royaume-Uni? Y ont-ils leur place? Le sentiment partagé par de nombreuses personnes auxquelles BuzzFeed s'est adressé est qu'elles ne se sentent plus «les bienvenues».

    En tant que citoyens de l'Union européenne non britanniques, Youxi Hu Chen et son mari n'ont pas pu voter la semaine dernière. Ils vivent dans une région du Royaume-Uni qu'ils décrivent comme «majoritairement blanche», et disent que les gens y ont toujours été «adorables et gentils». À la suite du vote, Youxi Hu Chen a dit qu'elle se sentait désormais réticente à l'idée de sortir de chez elle.

    «Aujourd'hui, c'est notre anniversaire de mariage», a-t-elle écrit sur Facebook dimanche dernier. «Je ne me sens pas à l'aise à l'idée de sortir pour dîner.»

    Le couple songe désormais à quitter le pays, mais puisqu'elle «s'y est établie», ça n'est pas si simple que ça.

    «Je sais que je suis une migrante, mais c'est la première fois que je ne me sens pas à ma place», a-t-elle dit à BuzzFeed. «Je suis reconnaissante envers les gentils britanniques qui nous ont acceptés. Je ne peux pas vous dire à quel point j'adore cet endroit, pour tout ce que le Royaume-Uni était avant le vote. J'adore toujours ce pays, mais je me sens désormais gênée.»