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    Polémique après la plainte de la maire du 20e contre des féministes

    Des internautes protestent contre la plainte de Frédérique Calandra visant un texte publié sur un site féministe. À l'origine de l'affaire: le refus de la maire que la militante Rokhaya Diallo participe à un débat dans sa mairie.

    C’est un texte qui s’appelle «Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau». Le 14 avril, il a été partagé plusieurs fois sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #JeLutteContreLaCensure. La raison? Il fait l’objet d’une plainte de la maire du 20e arrondissement de Paris, Frédérique Calandra, qui le juge diffamatoire et conteste les accusations d'islamophobie.

    Les militants, journalistes et universitaires qui relayent ce texte entendent donc protester contre ce qu’ils considèrent être de la censure de la part de la maire du 20e. On trouve parmi eux la journaliste Mona Chollet, Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, ou encore Eric Fassin, sociologue à Paris 8, qui avait déjà écrit une lettre ouverte à Frédérique Calandra en mars 2015.

    Face aux tentatives d'intimidation de Frédérique Calandra https://t.co/0Z5CMTfN6j Tous en mode #JeLutteContreLaCensure

    La maire PS du 20e arrondissement de Paris n'aime pas la liberté des autres. L'appel de @EricFassin sur @mediapart. https://t.co/I7akRWgz5C


    #JeLutteContreLaCensure: F. Calandra, faire taire la critique politique par la justice, ce n'est pas très Charlie... https://t.co/THksXsgX5N

    Le début de l’affaire remonte à il y a plus d’un an. Sylvie Tissot, sociologue à Paris 8 et réalisatrice du documentaire Je ne suis pas féministe, mais… sur Christine Delphy, membre historique du MLF, est contactée par Emmanuelle Rivier, adjointe EELV en charge de l’égalité femme-homme dans le 20e. «Elle m’a demandé de co-organiser avec elle différents débats autour du 8 mars 2015, pour la journée des droits des femmes» raconte la sociologue à BuzzFeed News. Parmi les dates prévues à la mairie, un débat «Violences sexistes: pas de ça chez nous?» avec, entre autres invitées, la militante féministe et anti-raciste Rokhaya Diallo.

    Mais, selon Sylvie Tissot, la maire «a rapidement fait part de son refus» que Rokhaya Diallo participe à l'événement. Elle estime que «c'était un refus motivé par les prises de position de Rokhaya Diallo sur l'islamophobie.»

    Publié le 23 février sur le site Les Mots sont importants (dont Sylvie Tissot est cofondratrice), le texte «Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau», signé par le collectif «Les Mots sont importants», détaille «les motivations transmises par la mairie». Parmi elles figureraient la signature de Rokhaya Diallo à une tribune critique sur Charlie Hebdo, ses positions contre les lois interdisant le voile à l'école, qu'elle juge islamophobes, le «Yabon Awards» décerné à Caroline Fourest par l'association les Indivisibles, dont Rokhaya Diallo est cofondatrice. Ou encore cette phrase, citée hors contexte, «ce que dit Ben Laden n'est pas faux».

    «C'est un délit d’opinion» commente à BuzzFeed News Rokhaya Diallo. «En plus, ce sont des idées que je partage avec Sylvie Tissot et Christine Delphy, qui participaient également au débat mais n’étaient pas, elles, mises en cause.»

    «Je la défoncerai!»

    «L’objectif de ces semaines de débats autour du 8 mars, c’est que la mairie délivre son message sur le féminisme», explique Frédérique Calandra à Mediapart, quelques jours avant le débat. «Or le point de vue de Rokhaya Diallo ne peut pas représenter le féminisme. Elle est faite pour le féminisme comme moi pour être archevêque». Au sujet d'un débat avec la militante, elle ajoute: «Si un jour Mme Diallo veut débattre, pas de problème, je la défoncerai!»

    Le 3 mars 2015, le débat se déroule finalement avec les invitées initialement prévues –dont Rokhaya Diallo–, mais dans une autre salle, ne dépendant pas de la mairie. Deux jours plus tard, pour protester contre les positions de Frédérique Calandra, une dizaine de personnes interrompent le Conseil municipal avec des pancartes «je suis Rokhaya Diallo» et «je ne suis pas Frédérique Calandra», comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous.

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    youtube.com

    «Et puis je pensais que ça allait s'arrêter là» se souvient Sylvie Tissot. Mais «en octobre dernier, j’ai reçu une convocation de la police qui indiquait que Mme Calandra portait plainte pour diffamation pour le texte "Frédérique et Rokhaya sont en bateau, Rokhaya tombe à l’eau"». En tant que directrice de publication du site, Sylvie Tissot est la personne légalement responsable.

    Parallèlement, le collectif 8 mars pour toutes reçoit également une convocation de la police. «On a reçu un mail par le biais de notre site, qui disait que la responsable était convoquée, suite au communiqué de soutien à la soirée (reproduit ci-contre, ndlr) que nous avons publié sur notre compte Facebook», indique Sarah Benichou, membre du collectif. Mais le collectif, qui n’a pas d’existence juridique et se veut horizontal, n'a pas de responsable. Quatre personnes, dont Sarah Benichou, se portent donc volontaires. «On a voulu y aller à plusieurs car on a voulu montrer qu’on était un collectif.»

    Enfin, Rokhaya Diallo indique qu'en janvier 2016 elle a également reçu «une convocation de la police parce que j'avais relayé le texte sur mon compte Facebook. Comme j'étais à l'étranger, j'ai répondu à leurs questions par mail.»

    «Mme Calendra a porté plainte car elle a été visée de manière diffamatoire» indique Me Sabrina Goldman, son avocate. «Il y a plusieurs accusations dans ces deux textes, dont la principale est l'accusation de racisme. Le texte publié sur Les Mots sont importants l'accuse d'islamophobie.» L'avocate cite en exemple cet extrait: «Et lorsqu’ainsi cette simple islamité devient en soi le problème, n’est-ce pas précisément le commencement de ce qu’on nomme islamophobie?»

    «Quant au post Facebook de 8 mars pour toutes, il la qualifie de "maire raciste"», poursuit-elle. «Nous ne sommes plus ici dans une question de liberté d'expression, on a dépassé les limites de la liberté d'expression. L'accuser de racisme est un acte diffamatoire, c'est un délit.»

    «Un sentiment d’injustice»

    Le 4 mars dernier, une réunion publique sur le sujet, organisée par Les Mots sont importants, débouche sur la création d'un comité de soutien. C'est ce dernier qui a lancé le 14 avril la campagne #JeLutteContreLaCensure. Le texte a été reproduit sur plusieurs blogs de Mediapart, sur un blog Yagg, ou encore sur le site du collectif Mamans toutes égales et sur le site Contre-attaque(s), pour en finir avec l'islamophobie.

    «Nous voulons dénoncer les raisons pour lesquelles ce procès a lieu, et rendre visible la répression politique qui s’exerce sur une parole féministe» avance Sarah Benichou. Sylvie Tissot indique de son côté:

    «On a un sentiment d’injustice, on voit dans cette démarche un refus de liberté d’expression et un refus de débattre. On demande le retrait des plaintes, c’est le plus important pour nous. Et c'est aussi une manière de demander de l'aide car c’est un procès qui va nous coûter cher.»

    Aujourd'hui, Sylvie Tissot et trois membres du collectif 8 mars pour toutes ont déjà été entendues par la juge d'instruction et mises en examen, indique Me Henri Braun, leur avocat. Une quatrième membre du collectif devrait probablement être mise en examen.

    Pour Me Henri Braun, «c'est une affaire politique, ça me paraît clair. Nous avons d'un côté une maire d'arrondissement et de l'autre des militantes féministes, tout ça sur fond de débat sur l'islam et la laïcité. Tout cela est très politique.»

    Contactée par BuzzFeed News, la maire du 20e n'a pour l'instant pas donné suite à notre demande d'interview.