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    Chère «Enquête exclusive», nous sommes bien plus que vos clichés sur les noirs de Paris

    Est-ce trop demander en 2017 que d'avoir une émission représentant la diversité et la richesse de la communauté noire parisienne?

    Ce dimanche en fin de soirée, M6 diffusait un nouveau numéro de l'une de ses émissions phares: Enquête Exclusive, présentée par Bernard de La Villardière. Au programme de ce nouveau volet, la communauté «africaine» de Paris et ses secrets de réussite. Avant même sa diffusion, l'émission ne présageait rien de bon vu son titre: Black, chics et festifs: secrets et succès des Africains de Paris.

    «Black», parce qu'apparemment une chaîne nationale française ne peut toujours pas dire «noir». Bien sûr, ce mot, on l'a tous employé à un moment ou à un autre de notre vie, moi y compris, surtout ceux qui ont grandi avec la coupe du monde 1998 et sa génération «Black blanc beur». Mais avec le temps, de plus en plus de noirs –les premiers concernés–, se sont réappropriés le mot français, qui désigne une couleur, une personne, et n'a rien d'offensant. Un chat est un chat. Un noir est un noir. Dire «black» semble cacher une sorte de gêne et donne l'impression que ce qui désigne notre couleur de peau est une insulte.

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    Le titre de l'émission parle aussi des «Africains de Paris». Sont-ils Français d'origine africaine? Africains vivant à Paris? Et dans les deux cas, de quels pays viennent-ils? Car rappelons-le, l'Afrique n'est pas un pays, mais un continent qui comporte 54 pays, donc quand on nous dit les «Africains de Paris», ça nécessite une petite précision sur le ou les pays dont on parle. Imaginerait-on un Enquête Exclusive sur «les Européens de Paris»?

    Autant dire que l'émission ne présageait rien de bon, mais il est toujours plus prudent de regarder avant de se faire un avis. Ce que j'ai fait.

    De la part de M6, je m'attendais à mieux, surtout que ce n'est pas la première fois qu'ils font polémique, sur le même sujet ET dans la même émission. C'était en 2011 et le titre hérissait déjà: Rois de la sape, beautés blacks, vendeurs de rue : l'étonnante vie des Africains de Paris. Je ne me souviens plus exactement de tout, mais une chose est sûre, c'est que le lendemain, beaucoup de gens en avaient parlé. En mal. C'était un festival de clichés, comme trop souvent quand on parle des noirs à la télé: salons de coiffures, vendeurs à la sauvette et prostitution, le tout dans les quartiers parisiens associés à «l'Afrique», j'ai nommé Château-Rouge, Château d'eau et autres Barbès. Je le répète, c'était en 2011.

    Six ans plus tard, il s'en est passé de belles choses. Les noirs de Paris se sont investis dans de nombreux projets pour déconstruire les incessants clichés qui les poursuivent. Avec des visites du Paris Noir, des documentaires qui donnent la parole à des femmes et à des hommes noirs, ou des médias, blogs, et podcasts qui se sont créés pour donner la voix à des personnes qu'on ne trouve pas (assez) dans les médias français. Les choses évoluent, mais apparement trop peu pour qu'on apprenne de nos erreurs: les rédactions sont toujours peu diversifiées, on compare toujours les noirs à des animaux, quand un film est composé majoritairement d'un casting noir, on s'en étonne, et on fait encore des reportages avec le mot «black» en titre.

    Enquête Exclusive se targuait de vouloir présenter l'élite noire de Paris «parfaitement intégrée» avec des «success stories», des business en France, des projets et investissements en Afrique et la mode ethnique et branchée d'une nouvelle génération franco-africaine. Bonne idée, vu que c'est un thème trop peu abordé et qui aurait permis de montrer une autre facette des afro-descendants. Malheureusement, le sujet sur le Club Efficience n'a duré que quelques minutes et ne nous a rien montré, à part quelques belles images de gens riches qui avaient payé 200 euros pour assister à un gala où un membre des Magic System se mettait à chanter à la fin. Bon.

    Les 90 minutes et quelques restantes ont été consacrées à montrer le mariage d'une femme d'origine congolaise avec son fiancé Antillais; un DJ qui mêle des musiques généralistes à des «sonorités africaines»; des sapeurs, les secrets d'un bon tissage au sein des salons de coiffure afro; les allers-retours entre la France et le Togo de Balbina d'Almeida, la Miss Togo France Europe 2017; les virées en boîtes d'une chanteuse peu connue du grand public et les cérémonies évangélistes dans une église d'une banlieue parisienne. Bref, un ramassis de clichés comme on en a trop vu et qui me font me poser deux questions majeures:

    - Qui sont ces personnes qui acceptent de participer à ce type d'émission qui les ridiculisent devant des milliers de téléspectateurs?

    - À quand un reportage qui évoque des parcours de réussite d'entrepreneurs, d'avocats, d'ingénieurs?

    Attention, ça ne veut pas dire que les parcours de coiffeurs et coiffeuses, sapeurs, DJs, etc, ne devraient pas être racontés, car effectivement il y a des personnes noires qui font historiquement tourner le quartier de Château-Rouge depuis des décennies. Ils sont même l'essence du quartier aujourd'hui en pleine gentrification. Le problème, c'est le côté répétitif de ces reportages (ce sont toujours les mêmes types de profils) et le côté limite «voyeuriste», tel un zoo où les noirs seraient là pour amuser la galerie le temps d'un passage télé.

    Quand je vois une Sibeth Ndiaye, conseillère en communication et membre de la garde rapprochée du nouveau président Emmanuel Macron, ou l'excellence d'une Fatoumata Kebe, doctorante en Astronomie et fondatrice de l'association Éphémérides qui œuvre pour intéresser les jeunes de banlieue à l'astronomie, je me demande ce qu'on attend.

    Cher M6, on est en 2017, il est temps de comprendre que les noirs ne sont pas blacks, que l'Afrique n'est pas un pays, et que nos vies ne se résument pas à acheter des «cacahuètes» et des «tissages» à Château-Rouge. Tout ce qu'on demande, c'est d'être représentés dans notre pluralité et notre diversité.