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    Violences à Pantin: version de la mère contre version policière

    Alors que la mère de famille Zahra Kraiker dénonce avoir subi des violences policières, le parquet de Bobigny nuance sa version. BuzzFeed revient sur les faits et publie une nouvelle vidéo d'un autre témoin de l'altercation.

    Mercredi après-midi, sous un porche de la rue Auger à Pantin, une petite salle de presse improvisée a été installée devant des élus, des jeunes de la ville et quelques journalistes. Zahra Kraiker, mère de quatre enfants, blessée lors d'un contrôle policier qui a mal tourné le 26 décembre dernier, souhaite témoigner avec ses fils pour répondre aux démentis de syndicats policiers.

    Wassil, l'un de ses fils de 15 ans, quelques séquelles encore apparentes sur son visage, prend la parole. Il raconte qu'il «traînait» en bas de son immeuble cet après-midi du 26 décembre, lorsque les forces de l'ordre ont débuté leur contrôle d'identité:

    «Au début, les policiers de la BST (Brigade spéciale de terrain, ndlr) ont contrôlé tout le monde et puis des jeunes postés à côté les ont insultés quand ils sont repartis. Les policiers sont alors revenus, et m'ont frappé moi et d'autres amis. Mon frère Bilal (de 18 ans) est arrivé pour demander pourquoi ils nous tapaient, il a été embarqué lui aussi».

    Alertée depuis sa fenêtre par les bruits, Zahra Kraiker descend pour «demander aux policiers des explications». «Ils m'ont repoussée, humiliée en me disant "ta gueule". J'ai été frappée, gazée, j'ai reçu des coups de poing», raconte-elle à BuzzFeed. Une voisine, dont la vidéo a été partagée des milliers de fois sur Facebook, a filmé l'instant où la mère et son fils se font frapper par des policiers.

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    Placés en garde à vue 48 heures puis déférés, les deux garçons affirment que certains policiers «ont poursuivi les humiliations au commissariat». «Je pisse sur votre Dieu, Allah», aurait notamment lancé un policier. Mardi, Wassil et Bilal ainsi que trois autres personnes mises en cause ont été libérés et placés sous le statut de témoins assistés.

    Le procureur confirme finalement l'ITT de la mère


    Pourtant, le procureur de Bobigny a livré une version beaucoup plus nuancée des faits dans un communiqué publié le 28 décembre dernier. Il assure d'abord que Zahra Kraiker n'a pas évoqué avoir reçu des coups par les policiers lors de sa plainte déposée devant la police des polices. Elle n'aurait pas non plus transmis son certificat médical délivré par l'unité médico-judiciaire (UMJ), seule institution pouvant valider des interruptions temporaires de travail (ITT) .

    Contacté, son avocat Me Mairat précise qu'elle a reçu 10 jours d'ITT de l'hôpital, mais qu'elle «a aussi été examinée par une UMJ qui a délivré un certificat (que nous n'avons pas pu consulter, ndlr) avec trois jours d'ITT». Joint par Buzzfeed jeudi soir, le procureur confirme finalement par mail avoir reçu ce certificat médical, et ajoute que les trois policiers se sont quant à eux vus délivrer des ITT de 2, 6 et 7 jours.

    Une nouvelle vidéo de la scène

    Alors que les images montrent les policiers asséner des coups de poing à la mère de famille et à un jeune homme couché sur le capot de la voiture de police, le procureur estime lui, que Zahra Kraiker a été «repoussée» par les policiers. Il ajoute quelques précisions sur les raisons de ce contrôle d'identité:

    «Le 26 décembre 2015, à 16h45, les effectifs de police du commissariat de Pantin ont constaté la présence rue Auger d'un groupe d'une quinzaine d'individus ainsi que d'un chien dangereux non tenu en laisse et non muselé. A leur passage, les policiers ont entendu des cris et des invectives en leur direction. Ils ont décidé de procéder au contrôle des individus et notamment du propriétaire du chien qui n’a pas été en mesure de fournir les documents relatifs à la détention de ce type d’animal».

    Après ce contrôle, le procureur précise qu'un individu a jeté une pierre en direction des policiers avant d'être interpellé. «Pris à partie par ce groupe d'une quinzaine d'individus, les policiers qui ont essuyé des jets de pierre ont alors fait usage de gaz lacrymogène puis d'une grenade de désencerclement pour disperser leurs agresseurs», ajoute le parquet de Bobigny. Interrogé par l'Express, Grégory Goupil, le délégué du syndicat policier Alliance, parle d'une «mini-émeute».

    Les deux mis en cause, Bilal et Wassil Krailer, confirment qu'un «jeune qui n'était pas avec nous a lancé une première pierre et insulté les policiers». Mais ils contestent le fait qu'une quinzaine de jeunes aient «pris à partie» les policiers.

    Une vidéo réalisée par un témoin habitant un autre immeuble et que nous nous sommes procurés, confirme les jets de pierres et l'insulte des policiers. Sur ces trois minutes, il est toutefois difficile de discerner «une quinzaine de jeunes» s'en prendre aux forces de l'ordre.

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    Le chien dangereux serait un «chiot de 6 mois»

    S'agissant du chien «dangereux et non muselée», la famille Kraiker assure que l'animal (que nous avons pu voir) est «un chiot de 6 mois» et que «c'est pour cela qu'il n'avait ni laisse, ni muselière».

    L'avocat de la famille poursuit:

    «Le procureur met en avant cette infraction avec ce chien non muselé, mais pourquoi n'ont-ils pas verbalisé le propriétaire de ce chien? D'autres disent que l'endroit où ont été contrôlé ces jeunes, est un lieu de trafic de drogue, mais pourquoi aucun stupéfiant n'a été retrouvé? En réalité, ces policiers n'avaient pas de raison de contrôler ces jeunes puisqu'ils les connaissent et qu'ils les contrôlent plusieurs fois par jour. C'est du simple harcèlement».

    «Du harcèlement», c'est l'accusation de nombreux jeunes présents mercredi soir lors de la conférence de presse. Selon Zahra Kraiker, les violences policières remontent au 14 décembre dernier. Ce jour-là, Bilal subit un contrôle d’identité au même endroit rue Auger. «Les policiers de la BST encore une fois, ont attrapé mon fils alors qu’il disait bonjour à des amis, il s’est débattu. Ils l’ont plaqué au sol et un agent lui a donné un coup de genou dans les parties génitales».

    Après cet événement, le jeune homme aurait porté plainte dans le 19e arrondissement «parce que le commissariat de Pantin a refusé de la prendre», explique la mère qui précise que son fils a été opéré en urgence dans un service d’urologie et a reçu 30 jours d'ITT. Joint par BuzzFeed, le parquet de Paris en charge de ce dossier n'a pas donné suite.

    «On a peur de cette brigade»

    La famille, comme de nombreux jeunes de la rue Auger, accusent la BST qu'ils comparent à «une milice». Certains assurent que l'un des agents présent le 26 décembre lors de l'agression de la mère, faisait aussi partie de la brigade «qui a frappé les testicules de Bilal le 14 décembre».

    «La BST est arrivée à Pantin en septembre environ et depuis c'est n'importe quoi. Ils nous contrôlent plusieurs fois par jour mais souvent ils viennent dans le hall, ferment la porte et s'occupent des jeunes. Ils frappent, humilient et repartent sans même avoir fait un contrôle d'identité», témoigne Abdel 19 ans, qui a préféré changé son prénom «par peur des représailles». «On a peur de cette brigade, j'ai peur qu'ils tuent mon fils un jour, simplement parce qu'il traîne dans un hall», ajoute un père de famille habitant le quartier.

    Cette brigade spécialisée de terrain, nouvelle version de la police de proximité est régulièrement critiquée pour ses méthodes. Sur la base du volontariat, les membres de ces équipes patrouillent exclusivement dans les quartiers sensibles et sont donc confrontés aux jeunes des cités. Critiqué pour «ne pas avoir soutenu ses habitants», le maire PS Bertrand Kern n'était pas présent à la conférence de presse. Le préfet de la Seine-Saint-Denis Philippe Galli a quant à lui déploré que «certains adultes puissent estimer judicieux d’exploiter cette affaire triste et regrettable à des fins politiques».

    Sollicitée par BuzzFeed, la mairie de Pantin, n'a pas souhaité nous répondre.

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