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    Inquiétante montée religieuse à la RATP? «Cette info fait mal au crâne»

    Il y aurait «une multiplication d’incidents liés à la religion» à la RATP selon Le Parisien. Des pratiques existantes mais minoritaires selon des chauffeurs et syndicalistes interrogés.

    C'est un petit encart qui est loin d'être passé inaperçu. Mardi, Le Parisien a publié un article sur Samy Amimour, l'un des kamikazes présents au Bataclan vendredi 13 novembre. Un élément particulier de son parcours interpelle: il était chauffeur de bus pour la RATP entre 2011 et 2012.

    En plus de l'évoquer, le quotidien a publié un encadré intitulé «Inquiétante montée religieuse à la RATP». Le Parisien poursuit:

    «En interne, certains s'inquiètent d'une montée des incidents liés à la religion parmi les agents». (...) «Depuis quelques années, la RATP constate une multiplication d'incidents liés à la religion, principalement parmi les 17 000 conducteurs de bus. Un poste que Samy Amimour, l'un des kamikazes, a occupé pendant quinze mois avant de démissionner en 2012...».


    «Reste que, selon nos informations, la RATP serait l'une des sociétés qui emploierait le plus de personnes faisant l'objet d'une fiche S de surveillance», conclut le journaliste. Rapidement, l'info est reprise dans de nombreux médias et certains sites d'extrême droite, comme Fdesouche, se sont emparés du sujet. Plusieurs chauffeurs ont accepté de nous parler de ce qui se passe à la RATP en demandant qu'on change leur prénom, n'étant pas habilités à parler à la presse.

    «Certains chauffeurs ont une lecture du Coran trop littéraliste»

    Samir, chauffeur à la RATP et délégué à la CGT, a «du mal à digérer cette info». Mardi soir, il envoie ce sms lorsqu'on lui demande plus de précisions sur les modalités de notre rendez-vous à son dépôt de bus en Seine-Saint-Denis:

    «Oui, je vous appelle demain parce que là j'ai un peu mal au crâne après cette journée de fausses informations!»

    A la fin de son service du matin, Samir nous retrouve dans une petite brasserie et entame la conversation immédiatement sur l'article du Parisien:

    «C'est tellement facile de balancer une information comme ça, sans véritablement enquêter et en stigmatisant encore une fois les musulmans. Le Parisien laisse croire que c'est un phénomène qui prend de l'ampleur alors que c'est faux. Oui, il y a certains chauffeurs qui ont une lecture du Coran très, voire trop littéraliste. Je ne suis pas d'accord avec certains, notamment avec ceux qui refusent de serrer la main des femmes, mais il ne faut pas généraliser».

    Pourtant, le quotidien n'est pas le seul à s'inquiéter de la montée du communautarisme au sein de ce service public. Dimanche sur I>Télé, le patron de Force ouvrière Jean-Claude Mailly a confirmé qu'il y avait eu au sein de son syndicat une tentative «d'entrisme» de plusieurs salariés de la RATP jugés radicaux.

    Des actes déjà évoqués par un site d'extrême droite

    Pour contrer cette idée, Samir évoque une vidéo publiée par le site islamophobe Riposte Laïque en 2012. Cette vidéo, qui a également été repérée par le site Arrêt sur images mercredi, livre en effet les mêmes informations que le quotidien. Il s'agit de témoignages anonymes de femmes présentées par le site d'extrême droite comme travaillant pour la RATP.

    L'auteur de la vidéo est le mari de Ghislaine Dumesnil (ex-adhérente CGT et salariée au dépôt de Nanterre), qui en plus de travailler à la RATP collabore avec Riposte Laïque. Entre 2013 et 2015, elle a publié sur ce site 19 tribunes visant toutes à dénoncer «l'islamisation de la RATP».

    La vidéo publiée dans un article titré «Exclusif : à la RATP, les barbus refusent de conduire un bus si une femme les a précédés», laisse donc parler plusieurs salariés. Ces derniers rapportent «leurs conditions de travail», mais tiennent aussi des propos islamophobes:

    - «Les femmes maghrébines rentrées à la régie, elles diront rien parce qu'elles sont soumises»;

    - «On laisse tout faire parce qu'ils (les musulmans, ndlr) deviennent majoritaires»;

    - «Si nous, on leur dit à eux sale race, à mon avis on se fait virer»;

    Dans cette vidéo, les femmes interrogées par Riposte Laïque ajoutent:

    - «Les mecs ne me serrent pas main»;

    - «Il y a quand même des mecs qui refusent de prendre les bus parce que c'est des femmes qui les ont conduits avant».

    - «Il y a des prières qui sont effectuées sur le lieu de travail, pendant les horaires de service, dans le bus même».

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com


    Dans l'article du Parisien, le secrétaire de la CFDT RATP Christophe Salmon reprend ces mêmes idées. Il assure:

    «On a laissé s'installer un système où certains agents refusent de saluer une femme, arrivent en retard pour faire leur prière, ou même prient sur place».

    Et une personne interrogée par le quotidien ajoute:

    «Cela a commencé il y a cinq à six ans, se souvient cette employée qui souhaite garder l'anonymat. Quelques-uns à qui je faisais la bise ont refusé de m'embrasser, puis de me saluer. Et pourtant, je suis musulmane. D'autres refusaient de conduire un bus qui avait été précédemment conduit par une femme».

    «On fait la prière, mais on ne gêne personne»

    Samir, qui est musulman pratiquant, rapporte que certains chauffeurs de bus font effectivement la prière pendant leurs heures de travail, «mais lorsqu'ils ont des pauses». Il dit lui aussi la faire régulièrement:

    «L'islam nous permet de faire ce que l'on appelle des "prières spéciales", c'est à dire des prières extrêmement rapides lorsque nos occupations (le travail par exemple) nous empêchent de prendre du temps. Moi par exemple, je prie lorsque je gare mon bus à un terminus et que j'ai un peu de temps de pause. Je ne la fais jamais dans le bus même, mais je vais dans un endroit discret pour prier. Et c'est le cas de certains chauffeurs musulmans. On n'arrive pas en retard après. On fait la prière, mais on ne gêne personne.»

    Un autre chauffeur de bus d'un dépôt du 92 confirme que certains machinistes «font en effet la prière discrètement» malgré son interdiction. «Je sais qu'il y en a certains qui refusent de serrer la main des femmes, et c'est con, mais c'est une minorité», ajoute-t-il.

    Cette pratique de la prière, lorsqu'elle est connue, est sanctionnée. C'est ce que raconte par exemple d'Ali, ancien chauffeur de bus au dépôt des Lilas puis de Bobigny dans le 93:

    «Au début, je priais dans le bus au terminus. Quelqu'un l'a rapporté à mon responsable et j'ai reçu une mise à pied de trois jours. Puis j'ai prié dans un coin discret, toujours pendant ma pause, et j'ai reçu une mise à pied de cinq jours.

    Quelques temps après, on m'a envoyé des mouches (des agents civils envoyés par la direction de la RATP pour surveiller les salariés, ndlr) et j'ai été licencié pour "conduite dangereuse", alors que je travaillais à la RATP depuis 10 ans».

    Contactée, la RATP n'a pas donné suite à nos sollicitations.

    Un guide de la laïcité diffusé en interne


    En 2013, la RATP a diffusé en interne un «Guide Laïcité et neutralité dans l'entreprise», pour rappeler les règles régissant le service public. Ce règlement intérieur proscrit effectivement les prières sur le temps de travail.

    Le guide précise qu'un employé de la RATP ne peut pas être sanctionné seulement parce qu'il refuse de serrer la main des autres employés, mais ajoute que «l'ensemble de ses collègues doit être salué».


    «Je n'ai aucun chiffre, ce sont des habitudes»

    Qu'en est-il de cette source anonyme du Parisien qui affirme que des machinistes «refusaient de conduire un bus qui avait été précédemment conduit par une femme»?


    «Dans mon dépôt, cela n'est jamais arrivé, alors qu'il y a beaucoup de musulmans», dit Samir. «Je veux bien que certains aient une pratique religieuse très rigoureuse, mais refuser de conduire un bus parce qu'une femme s'est assise dessus, c'est absurde. À ce compte-là, ils arrêtent de respirer l'air, parce que les femmes respirent aussi».

    Interrogé sur ce genre d'actes, le syndicat Sud de la RATP (3e syndicat de l'entreprise) dit «ne jamais en avoir entendu parler». Un cas avait été évoqué par le syndicat CFE-CGC en 2007. Un autre évoqué lors de nos interviews, aurait eu lieu au dépôt de Nanterre. Un agent aurait en effet refusé de reprendre un bus précédemment conduit par une femme.



    Un ancien collègue du machiniste précise:

    «Fin 2012, le chauffeur en question avait refusé de reprendre le bus parce qu'il était sale mais aussi parce qu'une femme était présente au volant. Sauf qu'il a ensuite été conspué par tous les agents musulmans du dépôt et a quitté la régie depuis. D'ailleurs, je sais qu'il est rentré dans une pratique de l'islam beaucoup plus poussée aujourd'hui».

    Joint par BuzzFeed, le secrétaire de la CFDT Christophe Salmon maintient toutefois ses propos tenus dans Le Parisien. Il insiste par exemple sur le fait que plusieurs chauffeurs ont «refusé de conduire les bus après le passage d'une collègue», mais se montre incapable de citer un exemple. Il poursuit:

    «Je n'ai pas parlé de prière sur le lieu de travail (l'article du Parisien dit pourtant l'inverse, ndlr). En revanche, oui il y a des hommes qui refusent de saluer les femmes et qui refusent de reprendre un bus conduit par une femme. Mais je n'ai aucun chiffre, ce sont des habitudes, c'est tout. Je ne peux pas le quantifier».

    Et de nuancer:

    «On avait entendu parler de la vidéo de Riposte Laïque, mais ce site n'a rien à voir avec nous. Je ne dis pas qu'il y a une islamisation à la RATP, mais des cas qui deviennent des habitudes avec parfois la complicité de la direction».

    S'agissant du nombre important d'employés fichés S, il admet que «personne ne peut le savoir à l'exception des autorités». Ni la préfecture de police de Paris, ni le ministère de l'Intérieur n'ont souhaité nous livrer des précisions sur ce point.

    «Quelques dizaines d'individus sur 13.000 salariés»

    Le secrétaire SUD-RATP Pascal Lepetit accuse quant à lui la CFDT de vouloir récupérer des voix. «C'est simplement de l'opportunisme pour un syndicat minoritaire au sein de la RATP qui tente d'exister», dénonce-t-il. Sollicité par BuzzFeed, le vice-président de la région Ile-de-France en charge des transports, Pierre Serne, tient lui aussi à nuancer cette information:

    «Je sais que la RATP reconnaît qu'il y a eu une politique de recrutement dans certains quartiers difficiles dans les années 2000 et qu'il a pu y avoir des problèmes de comportement parfois par la suite. Mais ils ont été sanctionnés.

    Je pense, par ailleurs, que la polémique sur la radicalisation est exagérée. On parle au maximum de quelques dizaines d'individus sur 13.000 salariés à RATP bus. Il faut traiter ces cas mais pas jeter l'opprobre sur tous les agents et l'entreprise».

    Précisions de la RATP (24/11 10:33)

    - La RATP, qui n'a pas souhaité nous répondre sur le fond, nous précise par mail qu'il y a 14.000 salariés bus et non pas 13.000 comme l'assure le vice-président de la région en charge des transports dans notre article.

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