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    État d'urgence: un journaliste interdit de couvrir une manifestation contre la loi Travail

    Info BuzzFeed News - Un reporter pour le magazine Fumigène a reçu un arrêté préfectoral l'interdisant de couvrir la prochaine manifestation de mardi. Son avocat dénonce «une grave atteinte à la liberté de la presse».

    Alors que de nouvelles manifestations contre la loi Travail sont prévues mardi, la préfecture de police de Paris a décidé d'utiliser les dispositions de l'état d'urgence pour interdire à certains activistes «antifascistes» et «anticapitalistes» d'y participer. Selon la préfecture interrogée par Libération, ces individus seraient «à l’origine ou associés à des violences qui se sont produites».

    Photographe «assimilé à un casseur»

    Mais fait exceptionnel en France, le préfet de police Michel Cadot a également décidé d'interdire au journaliste NnoMan (qui détient une carte d'agence de presse) de couvrir la manifestation. Ce photographe du collectif OEIL (Our Eye is Life), qui préfère garder son pseudo de travail et ne pas divulguer son identité, collabore notamment pour le magazine Fumigène.

    Samedi 14 mai, la police s'est donc rendue au domicile de ses parents à 21h pour lui remettre un arrêté lui interdisant de se trouver à proximité du cortège parisien (sous peine de risquer un an de prison et 15.000 euros d'amende). «Les agents ont annoncé à mes parents que j'étais assimilé à un casseur», nous précise NnoMan, qui a récupéré l'arrêté le lendemain au commissariat.

    Sans mentionner sa qualité de journaliste, l'arrêté «d'interdiction de séjour» justifie cette mesure par la présence remarquée de NnoMan «à de nombreuses reprises, lors de manifestations contre, notamment, les violences policières et le projet de réforme du code du travail», qui ont dégénéré «en troubles graves à l’ordre public».

    Le document précise même qu'il «y a tout lieu de penser que «la présence de "Nnoman"» à ces rassemblements «vise à participer à des actions violentes».

    «Mes photos sur des violences policières dérangent»

    Immédiatement, l'avocat du reporter, Me Hosni Maati, a décidé de contester cette décision devant le tribunal administratif. Dans son référé-liberté que nous avons pu consulter, l'avocat demande de suspendre l'arrêté en rappelant que la liberté de la presse est une liberté fondamentale: «votre Tribunal ne pourra que constater l’atteinte manifestement illégale portée à la presse sous couvert de maintien de l’ordre.» Et d'ajouter:

    «Ainsi, comme il est attesté en pièces jointes, le requérant couvre nombre de manifestations depuis l’instauration de l’état d’urgence. Les photos du requérant ayant été reprises par des médias étrangers mais aussi nationaux aussi prestigieux que Paris Match. Il faut donc croire que c’est la capacité du requérant à être au bon endroit au bon moment qui pose difficultés à la Préfecture de Paris, plus que la réalité d’atteinte à l’ordre public dont il n’est en fait que le témoin privilégié et de nombreux lecteurs de la presse où ses photos sont diffusées à travers lui.»

    Est-ce une erreur du préfet de police de Paris, ou un choix délibéré? Sollicités par BuzzFeed News, ni la préfecture ni le ministère de l'Intérieur n'ont encore donné suite.

    «Les policiers en manifestation savent très bien qui je suis et il suffit de taper mon nom sur Google pour voir que je publie régulièrement», raconte NnoMan. «J'ai du mal à croire que c'est une erreur. Peut-être que le fait que je couvre régulièrement des rassemblements "antifascistes" ou que des militants reprennent mes photos montrant des violences policières, dérange». Récemment, le reporter avait filmé un manifestant assommé après avoir chuté dans le métro et des CRS ne lui portant pas secours.

    Une dizaine de cas devant le tribunal administratif

    Contacté, Me Maati partage ce constat:

    «C'est un journaliste engagé, comme beaucoup d'autres journalistes. Il couvre de nombreux événements et a également publié des clichés ou des vidéos témoignant de violences policières. Mais une question seulement est à poser: est-il susceptible de troubler l'ordre public? Non. L'interdire de couvrir cette manifestation, c'est vouloir le bâillonner.»

    D'après nos informations, le tribunal administratif de Paris devra statuer sur une dizaine d'arrêtés préfectoraux de ce type (dont celui de NnoMan) mardi à 8h45.

    Mise à jour lundi à 16h21: Après publication de notre article, la préfecture de police de Paris dit se «renseigner sur le dossier de ce journaliste» et précise: «A priori, le préfet souhaite que nous communiquions demain matin.»

    Quelques minutes plus tard, le service de presse nous précise:

    «Des vérifications vont être réalisées et s'il (NnoMan) n'est pas concerné par les faits que l'arrêté lui reproche, il pourra participer à cette manifestation.»


    Mise à jour mardi 17 mai à 10h:

    NnoMan a indiqué sur Twitter que le tribunal administratif de Paris a retiré l'arrêté l'empêchant de se rendre sur le lieu de la manifestation.

    Le TA de Paris vient de me notifier que l'arrêté me concernant est retiré.Je viens couvrir la manifestation!


    Précisions: NnoMan détient une carte d'agence de presse numérotée. Par ailleurs, il n'y a pas besoin de détenir une «carte d'identité des journalistes professionnels» pour être considéré comme «journaliste».