Aller directement au contenu

    Pas d'alcool et de nourriture dans un bar pendant le ramadan? Pas vraiment

    D'après une rumeur lancée sur Twitter et reprise par des sympathisants d'extrême droite, un bar parisien refuse de servir des clients pendant le ramadan. BuzzFeed est allé voir sur place.

    Après le mythe du pain au chocolat pendant le ramadan lancé par Jean-François Copé, l'année 2015 connaît une nouvelle anecdote qui enchante l'extrême droite. C'est l'avocat Thibault de Montbrial, connu pour ses positions très conservatrices, qui a lancé cette polémique sur Twitter dimanche:

    Outre les 281 retweets et les nombreuses réponses souvent teintées de xénophobie, le maire PS du 13e arrondissement, Jérôme Coumet, a aussi répondu en promettant d'enquêter sur le sujet.

    Contacté par BuzzFeed France, Thibault de Montbrial, un proche du très controversé Institut pour la justice et qui n'est pas à sa première rumeur invérifiable, n'a pas souhaité donner suite à nos appels. Régulièrement invité par les chaînes d'info pour faire la promotion de son livre Le sursaut ou le chaos, il dénonce régulièrement «le communautarisme», ou l'islam, tout simplement.

    Nous avons été vérifier ses affirmations et ce, même si Thibault de Montbrial n'a pas voulu ou pu communiquer le nom de l'établissement.

    Comme nous l'ont dit plusieurs internautes qui avaient partagé leurs propres expériences en réponse au tweet de l'avocat, l'endroit visé est le Baody, un restaurant / club situé sur les quais de seine près de la bibliothèque François Mitterrand dans le 13e arrondissement de Paris.

    On s'est rendu dans l'établissement mercredi à 14h30, où un serveur nous a proposé de manger, mais a effectivement précisé que l'on ne pouvait pas boire de verres d'alcool.

    Interrogé, le responsable de l'établissement explique que le restaurant est en «rupture de stock depuis environ une semaine» et qu'il «reste que des bouteilles mais pas d'alcool au verre ni de cocktails». Il explique:

    «Nous n'avons reçu aucune consigne par rapport au ramadan. Nous ne servons plus d'alcool parce que le directeur n'a pas encore passé de nouvelle commande. Il faut voir avec lui, s'il y a une raison particulière».

    Et d'ajouter:

    «Je ne pense pas que cela soit lié au ramadan, ce serait totalement illogique. Nous continuons à servir des bouteilles d'alcool, et nous proposons toujours des chichas et de la nourriture, cela n'aurait pas de sens».

    Ce restaurant étalé sur les quais et sur une péniche, ouvert depuis mai, est en fait une concession du Port de Paris, qui choisit plusieurs établissements pour animer le quartier tout l'été.

    S'il est impossible de vérifier les raisons de la rupture d'alcool, trois clients sollicités par BuzzFeed France assurent en tout cas que l'établissement n'a jamais refusé de leur servir de la nourriture et qu'ils ont toujours été prévenus avant de la rupture de stock.

    Hervé, un habitué des lieux, précise:

    «J'ai vu cette polémique sur Twitter et cela n'a pas vraiment de sens. Je suis riverain, j'y vais donc régulièrement et la semaine dernière par exemple, ils m'ont prévenu qu'ils ne servaient pas d'alcool, mais ils servent tout le reste. Même si je ne suis pas musulman, ils sont tout à fait agréables et puis si les gens veulent boire, il y a plein d'autres endroits partout sur les quais».

    Le responsable de l'établissement dit vouloir vérifier «qu'un serveur n'a pas, par erreur, parlé du ramadan à un client pour ne pas servir d'alcool». Il tient à ajouter:

    «Nous avons eu un seul problème avec une cliente qui n'a pas cru que nous étions en rupture de stock. Elle s'est énervée en nous accusant "d'islamiser la France" et en revendiquant de voter FN. Mais franchement, il faut aussi contextualiser. Nous sommes un restaurant et nous proposons des chichas et de la viande halal, ne pas servir d'alcool ne pose donc pas de problème à notre clientèle cible. Mais une chose est sûre, nous ne refusons personne.»

    Mais le responsable de Baody reconnaît lui-même que l'absence d'alcool «pose un problème légal».

    En effet comme le rappelle UFC Que Choisir, l'indisponibilité chronique d'un produit proposé à la vente caractérise une pratique commerciale trompeuse, passible de 2 ans d'emprisonnement et/ou de 37.500 € d'amende maximum. Il dit vouloir «corriger cela».

    En dehors de cette exigence commerciale, rien n'oblige ce restaurant à proposer des boissons alcolisées. Un responsable de Port de Paris, qui gère les quais, confirme:

    «Lorsqu'un établissement passe une concession, nous n'avons pas un droit de regard sur sa carte. Nos seules exigences concernent la sécurité et l'acquittement des taxes. Pour le reste, le commerce est libre».

    Le maire du 13e arrondissement semble partager cet avis:

    «J'ai demandé des précisions à Port de Paris pour savoir si l'endroit était ouvert la journée notamment et s'il pouvait y avoir refus d'une clientèle à cause d'exigences confessionnelles. Après, si c'est un établissement halal ou autre, cela ne me pose pas de problème. Il y a bien des restaurants végétariens ou d'autres confessions partout dans le 13e.

    Et puis je ne vous cache pas que d'habitude, j'ai surtout un problème avec les établissements qui vendent trop d'alcool.»

    Après la publication de notre article, Thibault de Montbrial a accepté de nous répondre. Il maintient ses accusations:

    «A sa demande, j’ai donné le nom du bar au maire du 13e dès lundi après-midi. Dès lors, pas très compliqué pour l'établissement de s’en sortir avec cette histoire de stocks. Je maintiens les termes de mon message, qui s’appuie sur un récit émanant d’une personne fiable et dont le sens était de souligner, par le comportement du serveur concerné, un nouvel exemple du communautarisme qui ronge notre pays, et dont les centaines de tweets insultants et haineux que j’ai reçus constituent une autre illustration».

    Le directeur du bar, lui, n'a toujours pas souhaité expliquer les raisons de cette rupture de stock.

    Suivez-nous aussi sur Facebook et Twitter: