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    Au procès du maillot de bain de Reims, les médias au banc des accusés

    Les trois jeunes femmes accusées d'en avoir frappé une autre en train de bronzer en maillot de bain à Reims ont été jugées ce lundi. Une a été relaxée, les deux autres ont écopé d'une amende.

    (De Reims) C'est l'histoire d'une bagarre entre filles qui a fait le tour des médias français et étrangers avant de totalement se dégonfler. Le tribunal correctionnel de Reims a jugé ce lundi Nesrine, Anna et Sophie, toutes poursuivies pour violences en réunion contre Estelle, 21 ans (tous les prénoms ont été modifiés).

    Une insulte comme élément déclencheur

    L'histoire a démarré le 22 juillet dernier à Reims, au parc Léo Lagrange. Alors qu'Estelle était tranquillement en train de bronzer avec des amies, une altercation a eu lieu entre elle et cinq autres filles qui se promenaient, dont trois ont ensuite été poursuivies en justice. Sur les faits, les versions divergent toujours, mais les mises en cause assurent que «tout est parti d'une insulte». Devant le juge, Anna, 20 ans, poursuit la voix tremblante:

    «En passant devant la fille en maillot, j'ai dit à mes amies que je n'oserais pas me mettre en maillot de bain dans un parc public. Elle a entendu la remarque et m'a fait des reproches sur mon physique (Estelle l'aurait qualifiée de "déménageur")».

    Anna a ensuite giflé Estelle avant que l'altercation ne prenne plus d'ampleur et que les autres jeunes femmes s'en mêlent. Nesrine, 24 ans, qui dit avoir «d'abord voulu séparer son amie et la victime», s'est aussi battue et a reçu plusieurs coups. Un certificat médical établit qu'elle a notamment été «mordue au sein» par la victime. Bilan de cette altercation: quatre jours d'incapacité temporaire de travail (ITT) pour Estelle et trois jours pour Nesrine.

    Devant le tribunal, Nesrine (la seule à avoir un casier judiciaire) et Anna ont toutes les deux reconnu les violences tandis que Sophie a affirmé qu'elle n'avait fait «que séparer» ses amies de la victime. Le juge a enfin rappelé les propos de nombreux témoins qui assuraient que c'était «surtout une bagarre entre Nesrine et Estelle».

    Mais ni les avocats des mises en cause ni celle de la victime n'ont pu faire abstraction du retentissement médiatique qu'a eu cette histoire en juillet dernier. Peu de temps après, le journal local l'Union avait en effet attribué à cette affaire des motivations morales et religieuses.

    «Un discours aux relents de police religieuse»

    Voici ce qu'écrivait le journaliste du quotidien à propos d'Estelle, cette jeune femme de 21 ans «lynchée» par cinq autres filles toutes maghrébines:

    «Voir cette femme qui bronze au soleil, allongée dans l’herbe, semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs car elle vient lui reprocher sa tenue légère jugée indécente en pareil endroit. Effarée par un tel discours aux relents de police religieuse, la jeune femme se rebiffe en rétorquant qu’on n’a pas à lui dicter sa façon de se vêtir. Une altercation éclate».

    Trois jours après les faits, la presse nationale s'empare du sujet, ainsi que de nombreux sites d'extrême droite. Les élus FN Florian Philippot ou Stéphane Ravier, comme les élus LR Eric Ciotti ou Aurore Bergé, exprimeront également leur indignation sur les réseaux sociaux en reprenant le supposé motif religieux.

    L'affaire sera dénoncée par Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et par SOS Racisme qui organisera un rassemblement «en maillot de bain» pour lutter contre «une morale de l'oppression qui réduit nos libertés».

    Après toutes ces réactions, il faudra attendre que le parquet, la police et plusieurs témoins présents s'expriment pour que soient balayés les motifs religieux ou moraux. Et que l'Union et Sos Racisme finissent par publier des excuses.

    Le rôle de la presse dénoncé par les avocats

    Cinq mois après, ni les juges, ni le parquet n'ont évoqué le motif religieux ou l'emballement médiatique, ni même abordé la religion des trois mises en cause. «C'est une triste affaire de violences», a débuté l'avocate d'Estelle avant de poursuivre sa plaidoirie. Elle a résumé un SMS envoyé par sa cliente pour expliquer son absence au tribunal:

    «Je suis prostrée chez moi, je ne parviens pas à franchir le seuil de la porte parce que j'ai peur, peur d'entendre tout ça, et peur à nouveau d'être confrontée aux auteurs des faits».

    Ce serait une «banale affaire de violences» selon l'avocate, s'il n' y avait pas eu des «conséquences physiques», mais aussi et surtout des «conséquences psychologiques». «Le second coup de massue va venir de ce qui a circulé sur les réseaux sociaux», ajoute-t-telle avant de demander 10.000 euros de dommages et intérêts.

    L'influence de la presse et des réseaux sociaux sera ensuite repris par les trois avocats des mises en cause. Sophie qui «n'a pas de casier judiciaire» et qui est «intégrée scolairement», a dû «partir de sa région, tellement elle s'est sentie envahie et suivie» et ce, alors même qu'elle avait refusé de donner des interviews dans la presse, précise son conseil. Et l'avocat d'Anna, Maître Hosni Maati, de poursuivre:

    «Je suis très content de la présence de certains médias dans ce tribunal aujourd'hui parce que l'on a fait de cette affaire quelque chose qui ne correspond pas du tout à ce qu'elle était. Et il est temps pour nous, professionnels de la justice, de restituer cette affaire dans la réalité de ce qu'elle est».

    Relaxe et contraventions décidées par le tribunal

    Parce que ces trois mises en cause ont dû «porter ce que n'est surtout pas cette affaire», selon Maître Maati. «Être qualifiées d'islamistes, porteuses de valeurs civilisationnelles contraires aux valeurs de la République, tout cela dans un contexte de préparation d'élections qui se sont achevées hier. Cela n'a pas été facile à endurer», a-t-il dénoncé, pointant du doigt les conséquences de ce tourbillon médiatique, «ces nombreuses menaces sur les réseaux sociaux», qu'elles ont par exemple reçu.

    Le procureur avait réclamé 105 heures de travaux d'intérêt général pour deux mises en cause et trois mois d'emprisonnement aménagés à l'encontre de Nesrine «au casier judiciaire long comme une journée sans pain», selon les mots de son propre avocat. Le magistrat a semble-t-il été sensible «à la banalité de cette affaire» et a vite expédié le dossier.

    Quarante minutes après les différentes plaidoiries et les excuses des mises en cause et sans même interrompre l'audience pour réfléchir au délibéré, le tribunal a tranché. Et a décidé de relaxer Sophie et de punir d'une contravention Nesrine (300 euros) et Anna (150 euros) qui devront également verser des dommages et intérêts à la victime (1080 euros).

    Satisfait, Maître Maati veut croire que ce jugement permette à «certains médias ou politiques de se remettre en cause»:

    «J'espère que cette affaire servira de leçon aux journaux qui cherchent des lecteurs et aux politiques qui cherchent des électeurs».

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