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    13 novembre: un an après, le patron du Casa Nostra «en grave dépression»

    Accusé par Le Petit Journal d’avoir vendu 50.000 euros la vidéosurveillance du soir des attentats, le patron de la pizzeria souffre «d'une grave dépression» selon son avocat. Il dément toujours les faits.

    Quelques jours après les attentats du 13 novembre, le patron du Casa Nostra, un des restaurants attaqués par les terroristes, était embourbé dans une violente polémique.

    C'était après la diffusion par Le Petit Journal de Canal+ des images d'une transaction entre le restaurant et des journalistes du Daily Mail. Le quotidien britannique a en effet acheté 50.000 euros les bandes de vidéosurveillance de la pizzeria, située dans le 11e arrondissement de Paris.

    On y voyait le personnel se réfugier derrière le bar pendant que des terroristes tiraient sur la terrasse de la Bonne Bière, le café d'en face, et sur celle du Casa Nostra. Il y avait aussi cette séquence effrayante, lorsque l'un des terroristes pointait son arme, heureusement enrayée, sur des clientes en terrasse.

    Le journaliste-pigiste (freelance) Djaffer Ait Aoudia a ensuite vendu (au tarif syndical selon lui) à l'équipe de Yann Barthès une vidéo filmée en caméra cachée montrant, selon lui, le patron de la pizzeria, Dmitri Mohamadi, négocier puis céder les images dans la cave de son restaurant.

    «Il est sous antidépresseurs. Il continue à travailler, mais il est beaucoup moins présent.»

    À l'époque, le patron du restaurant avait démenti avoir empoché les 50.000 euros et affirmé que l'homme filmé en train de négocier était en fait «un cousin éloigné». «J'ai porté plainte, c'est très choquant. J'arrive à peine à me remettre de ce qui s'est passé», racontait-il, avant d'accuser le journaliste d'avoir monté l'affaire:


    «Il m'a poussé à vendre la vidéo. Il m'a même proposé de l'argent aussi, 12.000 euros. Je pense que ce qui a dégoûté ce mec-là, c'est qu'il n'a pas eu la vidéo en premier. (...) Moi j'ai vendu aucune vidéo, je n'ai pas touché un sou de cet argent-là.»

    Le Petit Journal avait maintenu ses accusations en prouvant que Dmitri Mohamadi était bien présent lors des négociations. Quelques jours après, la version de Canal+ avait toutefois été largement nuancée par une émission de la même chaîne: Le Tube.

    BuzzFeed News a pu rencontrer le patron du restaurant mais il ne souhaite «plus revenir sur cette polémique». «Affecté par tout ça», Dmitri Mohamadi refuse les demandes d'interviews et renvoie tous les journalistes vers son avocat.

    Une nouvelle plainte déposée contre Le Petit Journal

    «Il est en grave dépression, sous antidépresseurs. Il continue à travailler, mais il est beaucoup moins présent dans son restaurant», nous explique son avocat, Me Jeffrey Schinazi. «Depuis que Le Petit Journal l'a présenté à tort comme une crapule nationale, il a été menacé plusieurs fois. Le voisinage est vindicatif, il a dû licencier du personnel», dit-t-il en ajoutant que son restaurant est également «régulièrement dénigrée sur internet».

    L'avocat de Dmitri Mohamadi a porté plainte contre Yann Barthès et sa société de production Bangumi, mais a dû y renoncer pour des raisons de procédure. «Nous avons déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile contre l'animateur, Bangumi et contre X», précise Me Jeffrey Schinazi.

    Le patron du restaurant conteste trois éléments principaux, ce que son avocat appelle les «erreurs de l'émission de Canal+»:

    • «Ce n'est pas Dmitri Mohamadi qui a vendu la vidéo ni touché l'argent, mais l'un de ses cousins éloignés.»
    • «Contrairement à ce qu'affirmait Le Petit Journal (et beaucoup d'autres), il n'y a pas eu cinq clients tués au Casa Nostra, mais zéro.»
    • «En donnant la vidéosurveillance au journaliste, le patron du restaurant n'a pas fracturé le disque d'une pièce placée sous scellés, comme cela a été dit. La justice l'avait visionnée sans rien saisir du tout

    Contactée, Lorraine Gay, l'avocate du Petit Journal devenu Quotidien, confirme le premier abandon de procédure, mais ne souhaite pas s'exprimer sur le fond. «Cette nouvelle plainte a été annoncée, mais nous n'avons pas encore été convoqués. J'attends de prendre connaissance des éléments», explique-t-elle.

    À l'époque enfin, le journaliste de Tout sur l’Algérie, Lounès Guemache, avait été le premier à publier un article pour révéler l'existence de cette vidéosurveillance et sa description. Il avait défendu auprès de Rue89 le patron du Casa Nostra en assurant que ce dernier était prêt à lui remettre la vidéo avant le venue du Daily Mail et ce, gratuitement.

    Le rôle trouble du pigiste du Petit Journal

    «Qu'est ce que t'en as à foutre. Tu fais venir quelqu'un, tu changes le machin et tu récupères la vidéo.»

    Quelques jours après cette polémique, une enquête menée par l'émission Le Tube révélait donc que ce n'est pas le patron du restaurant, mais bien un de ses cousins qui avait mené les négociations. Même si contrairement à ses affirmations, Dmitri Mohamadi avait bien été témoin de la transaction.

    Plus grave, les journalistes du Tube ont montré le rôle trouble joué par le journaliste à qui Le Petit Journal a acheté les images. En visionnant les rushs de sa vidéo tournée en caméra cachée, ils ont constaté qu'il avait semblé influencé la négociation.

    Lorsqu'un problème technique empêche d'accéder aux images, le «cousin» négociateur veut abandonner la transaction. Le journaliste Djaffer Ait Aoudia, tout en filmant en caméra cachée, semble l'inciter alors à poursuivre:

    «Appelle quelqu'un. Qu'est ce que t'en as à foutre. Prends ton téléphone, appelle quelqu'un, tu fais venir quelqu'un, tu changes le machin et tu récupères la vidéo.»

    Djaffer Ait Aoudia met en exergue le caractère effrayant des images de la vidéosurveillance du Casa Nostra à un journaliste qui ne semble pas intéressé:

    «Tout le monde a trouvé refuge ici (dans le restaurant), donc nécessairement tu vas avoir de la vie. Ici, tu vas avoir un peu de panique, de la peur. C'est un endroit clos donc euh... Tu dois avoir un angle assez intéressant.»

    «Quelles étaient les motivations du journaliste qui a filmé en caméra cachée? Comment est-il rentré en contact avec ce restaurant?» interroge enfin Le Tube. Le journaliste a aussi expliqué les raisons de sa présence au sein du restaurant parce qu'il devait collecter des témoignages pour des médias suisses.

    Le pigiste accuse d'autres médias français

    «Il fallait que je me débrouille comme je pouvais pour avoir l'info. C'était comme infiltrer la mafia.»

    Après ces révélations, le pigiste n'avait plus jamais souhaité s'exprimer dans la presse et avait même refusé une nouvelle invitation de Yann Barthès qui souhaitait qu'il s'explique. Pour seule réponse, Djaffer Ait Aoudia avait envoyé un mail à Canal+ et annoncé déposer plainte contre le patron du Casa Nostra pour diffamation.

    Mais cette plainte n'a finalement jamais été déposée. Joint par BuzzFeed News, le journaliste le reconnaît lui même, mettant en avant des raisons de procédures qui l'en aurait empêché. Interrogé sur son rôle dans cette histoire, il maintient toute sa version. Et affirme qu'il n'a pas influencé la transaction: «Il fallait que je me débrouille comme je pouvais pour avoir l'info, laisser la carte de presse à la maison en quelque sorte. C'était comme infiltrer la mafia. Mais je n'ai rien influencé. Et d'ajouter:

    «Lorsque je vantais le contenu de la vidéosurveillance, je m'adressais à leur interprète, ce n'était pas une discussion commerciale. Il faut être dans le contexte pour comprendre.»

    Que venait-il faire dans ce restaurant? Comme à l'époque, Djaffer Ait Aoudia martèle que sa présence s'explique initialement par le fait que la Tribune de Genève lui avait commandé des portraits. Mais sur le site du quotidien, aucun article signé de son nom et lié au 13 novembre n'apparaît dans la base de données.

    Selon un membre de la rédaction de la Tribune de Genève contacté par BuzzFeed News, la réalité était un peu différente:

    «Il nous avait bien contactés pour nous proposer des portraits, mais il nous a rendu un papier qui était illisible...inqualifiable. Puis, il nous a parlé de cette vidéo, mais il était très confus, ingérable. Une chose est sûre, il n'a rien publié pour nous et a fait croire qu'il travaillait chez nous lorsque la polémique a éclaté, alors qu'il n'a jamais respecté ce pourquoi on l'avait mandaté, à savoir des portraits.»

    Le Casa Nostra encore privé de subvention

    Djaffer Ait Aoudia persiste pourtant, et annonce «la diffusion prochaine d'un documentaire sur France Télévisions». En réalité, ce documentaire a juste été proposé à la chaîne, qui n'a rien acheté pour l'instant. Pour se défendre, le journaliste met en cause d'autres médias français:

    «Je suis en train de préparer un petit sujet sur l'emballement médiatique autour de cette affaire. Je prouverai tout. Des journalistes ont dû pisser de la copie, mais moi j'ai fait un travail sérieux. Cela m'amuse de voir les leçons de morale de médias français alors que certains étaient présents (lors de la négociation), voulaient partager l'exclusivité avec les Anglais et proposaient 15.000 euros pour acquérir la vidéosurveillance.»

    En attendant d'éventuelles clarifications sur les rôles joués par le patron du restaurant et par ce pigiste, le Casa Nostra est toujours privé de subvention. Après les attentats, la mairie de Paris avait en effet débloqué une aide de 440.000 euros (soit 40.000 euros par restaurant victime), mais a refusé de la donner à Dmitri Mohamadi. «Tant qu'il est en procès contre Le Petit Journal, nous ne lui versons pas de subvention. S'il est avéré qu'il a lui-même vendu la vidéo, il ne la recevra pas», nous précise la mairie de Paris.

    Mise à jour 10 novembre: Le journaliste Djaffer Ait Aoudia dément encore une fois après publication de l'article. Il nie avoir avoir influencé la transaction et assure qu'il était au Casa Nostra pour effectuer un portrait commandé par la Tribune de Genève. Il affirme par ailleurs avoir déjà écrit «une cinquantaine de reportages» pour ce quotidien. S'il n'a rien publié pour des médias suisses, il devait bien travailler pour eux selon lui.

    Droit de réponse

    Monsieur Djafer Ait Aoudia, suite à la publication sur le site www.buzzfeed.com en date du 11 novembre 2016 d’un article intitulé « 13 novembre: un an après, le patron du Casa Nostra ‘en grave dépression’ », sollicite par l’intermédiaire de son avocat Maître Yann Lorang, l’insertion du droit de réponse suivant :

    Après que Monsieur Ait Aoudia ait filmé en camera cachée la scène où s’est négociée et conclue la vente de la vidéo de la Casa Nostra devant le propriétaire du restaurant avec le journal anglais, certains journalistes ont suspecté Monsieur Ait Aoudia d’avoir contribué à la transaction et ont émis des doutes quant à son rôle.

    Il sera rappelé qu’aucune plainte n’a été déposée à l’encontre de Monsieur Ait Aoudia par le patron de la Casa Nostra et qu’il n’a jamais été condamné à quelque titre que ce soit.

    Pourtant, certains tentent encore, suite à la date d’anniversaire des attentats du 13 novembre, de décrédibiliser le sérieux et la moralité de Monsieur Ait Aoudia qui a révélé le scandale de la vente de la vidéo et l’exploitation mercantile des images des attentats par la Casa Nostra.

    Votre article tente de décrédibiliser la version de Monsieur Ait Aoudia, témoin de la scène de la vente de la vidéo entre le fameux « cousin » du patron de la Casa Nostra et le journaliste du Daily Mail, en tenant des propos que Monsieur Ait Aoudia conteste.

    Par conséquent, il sera une nouvelle fois rappelé, contrairement à ce que vous écrivez, que :

    - C’est la société de production (société YEMAYA) qui a embauché Monsieur Ait Aoudia (et non le journaliste personnellement) qui a vendu les images à la société de production BANGUMI de Yann Barthès, qui a décidé de diffuser le rush où apparaît clairement le patron de la Casa Nostra avec son « cousin » durant la transaction avec le Daily Mail ;

    - Monsieur Ait Aoudia ne l’a jamais poussé à vendre la vidéo, ni tenté de l’influencer, ni ne lui a proposé d’argent en échange : il s’agit seulement d’un argument soulevé par le patron de la Casa Nostra et que votre journaliste a repris à l’encontre de Monsieur Ait Aoudia ;

    - Monsieur Ait Aoudia maintient qu’il a travaillé pour le journal La Tribune de Genève et que ce même journal lui a expressément demandé, sms à l’appui, d’abandonner les portraits pour se consacrer à l’affaire de la Casa Nostra, et ce avant même que la transaction n’ait lieu ;

    - L’ensemble des ses contributions pour les journaux suisses, en tant que grand reporter, figure sur les archives de la Tribune de Genève et du site 24heures (même groupe à l’époque).

    Enfin, loin d’annoncer officiellement la «diffusion prochaine d’un documentaire sur France Télévisions», Monsieur Ait Aoudia a seulement confié à votre journaliste l’existence d’un projet de documentaire sur les pratiques malhonnêtes des journalistes et les techniques d’emballement médiatique largement utilisées par les sites d’information et les chaînes d’information en continu. Ce documentaire n’est à ce jour pas finalisé et sa diffusion n’est pas encore programmée.

    Monsieur Ait Aoudia se réserve donc le droit de poursuivre judiciairement tout propos de nature diffamatoire qui reprendrait le contenu de l'article l'ayant contraint de publier le présent droit de réponse.