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    Comment j'ai lancé un hoax sur Retour vers le futur sans faire exprès

    Si vous avez cru que Marty et Doc débarquent dans le futur le 5 juillet 2010, c'est de ma faute.

    Le 5 juillet 2010, Marty McFly et Doc Brown débarquent dans le futur dans le deuxième volet du film culte sorti en 1985, où un ado flanqué d'un savant fou retournaient dans le passé grâce à une DeLorean transformée en machine à voyager dans le temps.

    Rien de neuf pour qui a vu récemment ou non Retour vers le futur. C'est un film que les baby boomers ont savouré au cinéma, que la Génération X a vu et revu en VHS, et que la Génération Y a découvert sur de curieux disques futuristes appelés DVD. On lui doit tout un tas de chansons et de répliques cultes, et on ne compte plus les films, romans, séries et autres comics qui lui font référence.

    Depuis sa sortie, nous attendons patiemment que le futur arrive. Et quand il arriva enfin, les internautes du monde entier laissèrent éclater leur joie et même les moins fans d'entre nous annoncèrent en fanfare: «C'est le jour du futur!»

    L'image du tableau de bord de la DeLorean affichant la date du 5 juillet 2010 fut largement partagée sur Twitter, où le hashtag #futureday devint un trending topic mondial pendant 24 heures et les recherches Google «Retour vers le futur» explosèrent. L'occasion était trop belle pour l'industrie, qui avait attendu 25 ans pour surfer sur la nostalgie des cinéphiles: les coffrets se vendaient comme des petits pains, les chaînes de télé diffusaient les trois longs métrages à la suite et les cinémas se battaient pour organiser des marathons. Sur internet, on continuait de s'interroger sur la possibilité d'un hoverboard, et le plus tôt sera le mieux, merci. Même chose pour les Nike Mag à laçage automatique.

    Ce fut une mobilisation sans précédent. Et aussi sans raison. Car nous nous étions trompés de jour. Nous nous étions trompés de futur. Pour le vrai «jour du futur», celui qui voit Marty et Doc débarquer dans Retour vers le futur 2, il fallait attendre encore cinq ans, le 21 octobre 2015.

    Comment avons-nous pu commettre une telle erreur? Puisque tout est de ma faute, laissez-moi vous raconter.

    En 2010, j'étais journaliste pour le magazine Total Film à Londres, dont je m'occupais également du site et du compte Twitter. Nous formions une petite équipe qui touchait un public modeste, mais fidèle. Nos 30.000 followers ne faisaient pas le poids face aux revues concurrentes, mais sachez que c'est largement suffisant pour être la risée du monde entier.

    Retour vers le futur est un classique du voyage initiatique. Le mien commença ce matin du 5 juillet 2010 quand, telle Doc Brown, une cheffe de projet qui venait de voir Retour vers le futur 2 nous assena sa prophétie:

    «C'est à la date d'aujourd'hui que Marty et Doc débarquent dans le futur, dans le premier film», me dit-elle. Surpris de n'apprendre cela qu'à 10 heures du matin, je m'interrogeai —mais pas suffisamment, j'étais bien trop excité.

    Être le premier à tweeter une anecdote aussi croustillante allait certainement faire parler de nous, ramener de nouveaux followers et, par conséquent, de nouveaux lecteurs. Avec une équipe aussi réduite, les scoops étaient rares à Total Film, et nous relayions la plupart du temps des infos déjà publiées par des médias plus importants.

    J'aurais pu googler. J'aurais googler. Mais tout ce qui comptait à cet instant, c'était d'être le premier. Parfois, quand un savant fou débarque dans une voiture de sport convertie en machine à voyager dans le temps, vous attachez votre ceinture sans poser de questions.

    Peu après 11 heures, ce 5 juillet 2010, je balançai précisément 140 caractères de pure bêtise sur internet, en dévouant 10 à un hashtag a priori inoffensif: #futureday.

    En un clic de souris triomphal, le futur entrait dans l'histoire.

    Great Scott! It's Future Day! In Back To The Future, Doc Brown sets the time circuits for 25yrs in the future..that day is today! #futureday

    Pendant quelques secondes, le temps sembla s'allonger. Je me sentais un peu groggy —sans doute un effet secondaire du voyage dans le temps— et alors que mon tweet surgissait dans des milliers de timelines, je me posai, une minute trop tard, les questions qui auraient dû me faire douter:

    C'est trop beau pour être vrai. Quelque chose ne va pas. Ils n'arrivent pas 30 ans dans le futur?

    Et puis les notifications affluèrent. Favs, retweets et RT manuels —les Biff Tannen des tweets— défilèrent à une vitesse folle dans ma timeline. Les gens étaient surexcités, fous de joie, même. Nous étions une publication sérieuse après tout, aucune raison de se méfier.

    En quelques minutes pourtant, une dizaine de fans avisés s'étaient rendu compte de notre erreur et certains commencèrent à tweeter la bonne date encore et encore, nous enjoignant à effacer notre message et présenter nos excuses.

    J'avais merdé, et en public. Je me suis tourné vers mon chef pour lui demander conseil, mais son siège était vide. J'étais seul, comme un Marty coincé en 1885. Peut-être que si je laisse le tweet et que je fais comme si de rien n'était, les choses se tasseront d'elles-mêmes, pensai-je, avant de réaliser que faire amende honorable, quoiqu'humiliant, éviterait que la situation empire.

    En général, quand on s'excuse, on commence par «Je suis désolé». Mes excuses, elles, prirent la forme d'un montage Photoshop: j'ai trouvé une image du tableau de bord de la DeLorean et j'ai changé la date en 5 juillet 2010.

    «Je me suis gourré, me dis-je, mais au moins les gens verront que j'ai de l'humour!»

    Encore raté.

    J'ai posté l'image sur TwitPic —à l'époque on ne pouvait pas joindre directement d'image à un tweet— avec la légende: «On s'est trompés. Apparemment, personne n'évoque le 5 juillet 2010 dans Retour vers le futur. Alors on est allés dans le passé pour corriger ça…»

    Je n'aurais pas pu faire pire en pissant du kérosène sur un incendie. S'il y a bien une chose dont le web raffole, ce sont les images.

    Ce montage, qui a été vu un demi-million de fois sur TwitPic, republié un peu partout, partagé par mail, sur des forums et d'autres réseaux sociaux —le tout sans légende— a consolidé le mensonge plutôt que l'inverse. Mes excuses, ainsi que la vérité sur le #futureday s'étaient perdues dans les limbes d'internet.

    Il y avait désormais deux types de personnes: celles qui envoyaient le hoax à tous leurs amis, et celles qui tentaient de rétablir la vérité. Les deux mamelles des réseaux sociaux: le plaisir d'être le premier à partager quelque chose, et celui de dire aux autres qu'ils se trompent.

    Durant les heures qui suivirent, Joe Jonas, Ivanka Trump et Elizabeth Banks, plus d'un million de followers chacun, souhaitaient à leurs fans un joyeux #futureday. Même Dougie Poynter, le bassiste du groupe McFly s'est fendu d'un tweet:

    today is the day Marty McFly travelled to the future in Back To The Future 2! SWEEEET!

    Frank Marshall en personne, vieux briscard d'Hollywood et producteur des trois Retour vers le futur, se joignit à la fête.

    Le lendemain matin, après une nuit à regarder défiler le hoax sur ma propre timeline, je reçus un coup de fil de notre attaché de presse. Persuadé que ma place ne tenait qu'à un fil, je m'attendais à un blâme. Son enthousiasme me désarçonna:

    «C'est génial, me dit-il, tu peux nous faire du trafic avec ça?»

    J'hésitai, mais comme c'était précisément mon job, je postai une brève «confession» sur notre site. À ce moment-là, des dizaines de médias d'envergure comme le Guardian, le Telegraph, The Week, The Age et même un site encore balbutiant du nom de BuzzFeed avaient parlé du hoax. J'en ai contacté autant que j'ai pu, en leur demandant de rajouter un lien vers mon explication, et ça a apporté tellement de trafic à Total Film que mon chef m'a demandé si je pouvais refaire un coup pareil la semaine suivante.

    À Londres, le journal Metro a parlé du hoax en page 3, habituellement réservée aux infos insolites: «Comment des twits ont modifié le futur». Pas mieux.

    Le 27 juin 2012, Steve Berry, chargé de la promotion sur les réseaux sociaux d'un coffret Blu-ray regroupant la trilogie Retour vers le futur, a re-photoshoppé le tableau de bord de la DeLorean à la date du jour et l'a posté sur Facebook, un clin d'œil au hoax de 2010. «On s'est dit que personne ne tomberait dans le panneau une deuxième fois», explique-t-il dans une interview à Mashable.

    Mais deux ans, en temps internet, c'est une éternité, et comme tout le monde n'a pas saisi la référence, le web s'est à nouveau affolé, surpassant même le hoax original en termes de recherche Google. Et comme pour la première fois, les médias, BuzzFeed inclus, n'ont pas mis longtemps à révéler la supercherie, rappelant aux internautes déçus qu'il leur faudrait encore patienter trois ans.

    Quand le second hoax est sorti, je travaillais comme directeur du contenu dans une agence de social media, un poste obtenu en partie grâce au succès viral du #futureday. Mon chef m'a envoyé le lien, «t'es vénère hein?».

    Bien sûr que je l'étais. Perplexe, aussi. Comment quelqu'un a osé copier ce truc débile que j'ai posté sans faire exprès il y a deux ans?! Et puis j'ai retrouvé mes esprits, j'ai réfléchi. La rapidité avec laquelle nous oublions, et cette envie d'y croire, tout cela est fascinant. J'ai observé, un peu dérouté, ce nouvel engouement que j'ai vite trouvé ennuyeux, et puis j'ai fermé mon onglet Twitter. J'avais déjà vécu un faux #futureday une fois, c'était bien suffisant.

    Dans Retour vers le futur 2, Doc et Marty doivent retourner dans le passé pour réparer le futur. Sans DeLorean, j'en ai été bien incapable. J'ai dû attendre bêtement que le futur arrive, espérant que le temps se corrige de lui-même.

    On pourrait se dire qu'après le 21 octobre 2015, le vrai #futureday, plus personne n'essaiera de rouler dans la farine les fans de Retour vers le futur. Mais l'être humain est capable de tout, alors dans un an ou deux… Ou peut-être qu'après tant de tableaux de bord photoshoppés —et de sites qui vous proposent de fabriquer votre propre hoax— les gens doutent de tout, même de la vérité.

    Mais qu'est-ce qui nous a poussés à y croire, au juste?

    Une collègue de BuzzFeed, Rachael Krishna, qui est tombée dans le panneau en 2012, m'a dit qu'elle avait retweeté le montage pour faire croire qu'elle connaissait ses classiques. «Je voulais avoir l'air cool. Je n'ai jamais vu les films, je sais juste qu'ils sont cultes.» Comme beaucoup d'autres, Rachael a supprimé son RT quand elle a su pour le hoax, mais aujourd'hui, même en ayant vu Retour vers le futur, elle ne connaît toujours pas la vraie date du #futureday.

    Un simple observateur vous dira que ce n'est qu'un détail. Que ce qui compte, c'est la fierté de reconnaître une référence pop-culture, c'est ce sentiment d'appartenance à un club très fermé.

    Pourtant, tous les #futureday de la pop-culture n'ont pas eu le même effet. Prenez Terminator 2: Le Jugement dernier. Est-ce parce que le «jugement dernier» du titre avait eu lieu en 1997, bien avant l'apparition des réseaux sociaux, ou parce que les films suivants ont embrouillé les fans en changeant la date?

    Ou peut-être, tout simplement, que personne n'a envie de fêter une apocalypse imaginaire. Doc et Marty ont donné envie à tous les spectateurs de voyager dans ce futur si cool qui nous attendait. L'espoir, voilà ce qui fait tout le charme de ce #futureday qui nous laisse contempler le chemin parcouru et celui qui nous reste à faire.

    Ce mercredi 21 octobre 2015, je vous souhaite un joyeux #futureday, c'est pile le bon jour, pile le bon futur.

    Même si ce n'est pas celui qu'on imaginait —nos hoverboards ont toujours des roulettes— ni celui qu'on photoshoppait.

    Mais cette fois, nous aurons raison d'exulter.

    Traduit par Nora Bouazzouni.