Aller directement au contenu

    Mort d'Adama Traoré: mais où sont les auditions de l'IGGN?

    Les avocats de la famille d'Adama Traoré s'interrogent sur l'absence des auditions de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Aucune enquête administrative n'a par ailleurs été demandée.

    D'après nos informations, près de trois semaines après la mort d'Adama Traoré, décédé le 19 juillet lors de son interpellation, la juge d'instruction et les avocats n'ont toujours pas eu accès aux auditions de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Cela signifie soit que l'institution n'a pas encore entendu les trois gendarmes qui ont arrêté le jeune homme de 24 ans, soit que les pièces n'ont toujours pas été transmises au dossier.

    Le jour même du décès d'Adama Traoré, le procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier, a saisi l'IGGN et la section de recherches de Versailles. Pour l'instant, seule cette dernière aurait entendu les trois agents en qualité de «témoins» dans le cadre d'une enquête pour «découverte de cadavre». Si l'IGGN peut parfaitement joindre à son enquête les auditions de la section de recherches, cette absence d'audition faite par «le gendarme des gendarmes» pose problème selon les avocats.

    «Heureusement, il y a les auditions de la section de recherches qui ont permis de lever certaines incohérences dans le dossier. Mais nous espérons que l'IGGN va entendre une nouvelle fois les gendarmes. Et si c'est le cas, que nous aurons rapidement accès aux PV», précise auprès de BuzzFeed News Me Saidi Cottier, avocate d'une partie de la famille Traoré. E d'ajouter:

    «Lorsque la section de recherches enquête, ce sont des gendarmes qui interrogent d'autres gendarmes. L'IGGN est un organe plus indépendant.»

    La section de recherches de Versailles n'a «pas compétence pour enquêter sur les agissements éventuellement répréhensibles de leurs collègues», regrette Me Yassine Bouzrou interrogé par L'Obs. Depuis plusieurs jours, il demande à ce que l'IGGN (organe également composée de gendarmes), «réputée pour sa rigueur et ses auditions longues et complètes», entende les trois agents concernés dans cette affaire.

    Contacté par BuzzFeed News, le parquet a refusé de nous répondre sur ce point, précisant que le procureur de la République «ne souhaite plus, pour l'heure, communiquer sur cette affaire». L'IGGN, elle, n'a pas donné suite.

    Aucune enquête administrative demandée

    Et si l'IGGN a bien été saisie pour le volet judiciaire par le procureur, le ministère de l'Intérieur contacté par BuzzFeed News, confirme que, contrairement à l'affaire de Rémi Fraisse par exemple, aucune enquête administrative n'a été demandée.

    De nombreux éléments troublants ont pourtant été révélés depuis le début de cette affaire. La communication du procureur (parfois très lacunaire) a été dénoncée à plusieurs reprises. Le fait qu'il n'a jamais évoqué la cause directe de la mort du jeune homme —un syndrome asphyxique— agace des membres de la famille qui prévoient prochainement une action devant la préfecture de Pontoise.

    Le parquet contredit... par les gendarmes

    Le parquet est également accusé d'avoir menti. Contacté le 20 juillet par Libération, le procureur adjoint de Pontoise, François Capin-Dulhoste, affirmait qu’«Adama s’est rebellé dans le chemin du fourgon».

    «D'abord, il n'y a pas de fourgon dans cette histoire, puisqu'Adama Traoré est monté dans une Ford Focus. Ensuite, le trajet a duré 4 minutes entre l'endroit où il a été interpellé et le commissariat. Lorsqu'il est monté, il ne se sentait déjà pas bien et venait de dire aux gendarmes qu'il avait du mal à respirer. Et il est arrivé mourant. À quel moment a-t-il pu se "rebeller"?» interroge Me Cottier.

    En effet, une fois menotté, Adama s'est plaint d'une gêne respiratoire. «L'individu se plaint d'avoir du mal à respirer. Moi, je sentais qu'il respirait normalement, je voyais ces mouvements thoraxiques», déclare un gendarme selon le PV de son audition. Francetv Info, qui a eu accès aux PV d'audition, raconte la suite et montre que les gendarmes eux-mêmes n'évoquent pas de rébellion lorsque le jeune homme est transporté:

    «Adama perd connaissance peu de temps avant l'arrivée à la gendarmerie. "Je croyais qu'il s'assoupissait, mais cela me paraissait étrange", indique lors de son audition le gendarme assis à côté de l'interpellé. La patrouille entre dans la cour, et sort le jeune homme du véhicule. Un gendarme remarque des traces sur le siège qui laissent penser qu'Adama a uriné pendant le trajet. À ce moment, Adama a encore un pouls, mais il ne répond plus ni à la voix, ni au toucher. Les gendarmes appellent alors les secours...»

    Des rapports médicaux manquants

    «Nous aimerions aussi savoir pourquoi les gendarmes, après avoir vu qu'Adama Traoré faisait un malaise, n'ont pas décidé de le transporter immédiatement à l'hôpital, qui se trouvait plus près que la gendarmerie», ajoute Me Cottier.

    Enfin, un autre élément interroge: Mediapart a révélé mercredi que les rapports des services d'urgence et des pompiers manquent dans le dossier d'instruction. Les avocats attendent de les recevoir ainsi que les bandes de vidéosurveillance pour constater si, comme les autorités l'affirment, Adama Traoré a eu un comportement violent.

    En attendant d'autres résultats médicaux prévus fin août, une plainte pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner», a été déposée par Yassine Bouzrou. Il a également demandé le dépaysement du dossier pour qu'il soit confié à un autre procureur.