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    Fausse agression à Aubervilliers: retour sur un emballement

    L'instituteur d'une école maternelle a inventé toute l'histoire de son agression au cutter par un homme se revendiquant de Daech, avant d'avouer son mensonge. L'AFP, reprise par de nombreux médias, s'explique.

    Il est 8h39 lorsque le site d'info de TF1 lâche l'info. «Aubervilliers : un enseignant attaqué à l'arme blanche, l'agresseur invoque Daech».

    La chaîne évoque «ses propres informations», et affirme:

    «Selon nos informations, alors qu'il préparait seul sa salle de classe, un enseignant a été attaqué avec une arme blanche, dont la nature précise n'a pas encore été identifiée, par un homme cagoulé et ganté, vêtu d'une blouse blanche, de type combinaison de peintre».

    Les principaux médias attendront toutefois la confirmation de l'Agence France Presse (AFP) pour reprendre à leur tour cette information. Celle-ci est envoyée aux rédactions à 9h25.

    Après ces premières alertes, l'agence, à laquelle sont abonnés la plupart des médias français, enverra trois autres dépêches en évoquant des «sources policières», des «sources judiciaires» ou le «parquet de Bobigny».

    La réaction des politiques conforte l'info

    Les médias commencent par reprendre l'AFP avant de dépêcher des journalistes sur place ou contacter leurs propres sources. Des syndicats policiers livreront des détails sur les faits, sans forcément préciser que la seule source est l'enseignant de l'école. Certains médias tentent parfois de nuancer leurs affirmations en citant les mises en garde du parquet antiterroriste ou de leurs propres sources. Voici par exemple les propos rapportés par l'Express et publiés à 13h00:

    «Ces faits sont relatés tels quels par la victime. Elle doit être réentendue à nouveau", explique notre source judiciaire».

    De leur côté, les politiques réagiront très rapidement et donneront encore davantage de poids aux affirmations relayées par la presse. La ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem publie un tweet de soutien et se rend sur les lieux du drame, tout comme la députée de Seine-Saint-Denis Élisabeth Guigou.

    Tout mon soutien à l'enseignant agressé dans une école d'Aubervilliers et à l'ensemble des équipes. Nous sommes à leurs côtés.

    Le parquet antiterroriste «a pourtant été prudent»

    Une question se pose: des sources policières ou judiciaires ont-elles été trop affirmatives? Interrogé par BuzzFeed France, le parquet antiterroriste assure «avoir pourtant été prudent». Une source au sein de ce parquet précise:

    «Le parquet de Bobigny était d'abord saisi de l'affaire, puis c'est finalement le parquet antiterroriste qui l'a récupérée. Nous avons été très prudents lorsque nous répondions aux journalistes. Je me souviens même avoir dit à certains de vos confrères que je n'aimais pas utiliser le conditionnel, mais qu'il s'imposait. Nous avions peu d'éléments à ce moment-là».

    Un mystérieux témoin évoqué dans une dépêche AFP

    Contacté pour savoir s'il avait utilisé la même prudence, le parquet de Bobigny n'a pas souhaité commenter. Alliance, l'un des syndicats policiers du 93 cité dans certains articles était quant à lui injoignable.

    Un autre élément a pu favoriser le manque de prudence. À 9h58 en effet, l'AFP envoie une nouvelle dépêche sur l'agression d'Aubervilliers, mais évoque cette fois-ci un témoin «travaillant à l'intérieur de l'école» pour accréditer la thèse de l'attaque.

    Ce témoin est à nouveau mentionné dans la dépêche suivante, à 10h26, reprise sur leurs sites par plusieurs médias. Il disparaît des dépêches suivantes, qui décrivent les propos comme «rapportés par l'enseignant lui-même». À 16h47, le parquet annonce que l'enseignant reconnaît «avoir inventé son agression».

    Sollicitée par BuzzFeed, la rédaction en chef de l'AFP explique:

    «Une source policière nous a d'abord dit que les propos de l'agresseur avaient été rapportés par un "témoin travaillant dans l'école". Elle n'a pas précisé s'il s'agissait de l'enseignant ou d'une autre personne. Ce n'est qu'après que nous avons su que ces propos avaient été rapportés par l'enseignant lui-même. C'est pour cela que nous n'avons plus évoqué ce "témoin" dans nos autres dépêches».

    Enfin, interrogé sur le ton affirmatif de ses dépêches, l'AFP assume son choix:

    «L'information nous a été rapportée par des sources policières avant d'être confirmée par le parquet de Bobigny. Le parquet antiterroriste a ensuite été saisi et la ministre de l'Education a rapidement condamné l'acte et s'est même rendue sur place. Il n'y avait aucune raison de douter de cette information. Les sources étaient suffisamment fortes pour être affirmatif».

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