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    Expédition punitive: un policier en uniforme frappe son beau-frère devant d'autres policiers (Vidéo)

    Info BuzzFeed News - Après «un différend familial», un policier s'est rendu devant le domicile de son beau-frère pour le rouer de coups. Des témoins disent à BuzzFeed News que ses collègues ne sont pas intervenus. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris. La victime a reçu 96 jours d'ITT.

    C’est «un différend familial» qui a dégénéré dans la rue, au milieu des passants et de policiers. En août dernier, à Paris, un homme a été violemment agressé par son beau-frère, un policier venu en uniforme pour se venger. Des témoins ont filmé une partie de la scène. On y voit l'agent de police en uniforme asséner des coups à sa victime, sans que ses collègues interviennent. Une enquête préliminaire a été ouverte.


    Tout a commencé quelques heures avant l'agression, dans une famille où on ne se dit plus «bonjour» en raison des tensions qui règnent. Le 14 août dernier, Mehdi O., agent RATP, est chez lui dans le 20e arrondissement de Paris avec sa femme et sa belle-sœur, Laura L, qui est agent de police. Une violente dispute éclate entre Mehdi O. et Laura L. Mehdi O. raconte sa version de la scène:

    «Elle ne m'a pas salué, puis la discussion s'est envenimée et on s'est insultés. Elle a fini par me jeter une bouteille d'eau au visage. Elle a ensuite essayé de me donner des coups, j'ai immobilisé ses bras avant que ma femme ne s'interpose. Puis les deux femmes ont quitté toutes les deux l'appartement.»

    La version de Laura L. est sensiblement différente. La policière a déposé plainte contre Mehdi O., l'accusant de l'avoir frappée.

    Le soir même, vers 23h, le mari de Laura L., Damien L., qui est également policier, au sein de la brigade des réseaux ferrés (BRF), décide de mener une expédition punitive pour venger sa femme. Mehdi O. poursuit:

    «Je garais mon scooter devant chez moi lorsque j'ai vu une voiture de police sérigraphiée devant ma porte avec à l'intérieur trois policiers dont mon beau-frère, Damien. J'ai senti que la situation était dangereuse pour moi, j'ai pris mon téléphone pour demander conseil à mon oncle. Je ne savais pas si je devais appeler la police.»

    Damien L. sort alors de la voiture et s'avance «calmement» vers Mehdi O.:

    «Il est arrivé tranquillement, puis m'a immédiatement arraché mon téléphone avant de me donner des coups de poing au visage. Il m'a étranglé d'une main tout en me frappant avec l'autre avant que mon scooter ne tombe et moi avec.»

    Des collègues regardent l'agression sans intervenir

    À terre, Mehdi O. sent une «immense douleur» à l'épaule. «Je lui criais que mon épaule était démise, mais il continuait à me frapper. Il me donnait des coups de poing au niveau du front et du visage», avance-t-il. Mais lorsque Damien L. «aperçoit» deux femmes regarder la scène depuis le trottoir, il relâche sa victime. C'est ce que Mehdi O. a aussi raconté à la police des polices lors de son dépôt de plainte.



    «C'était manifestement un abus de pouvoir»

    Après nous être procurés la plainte, nous avons contacté une des deux passantes qui ont assisté à la scène, Cécile*, qui se dit encore «très choquée». Elle souhaite garder son anonymat «par peur de pressions».

    «Je sortais du restaurant avec une amie lorsque j'ai vu un homme se faire étrangler. Je voulais appeler la police, mais j'ai vu qu'il y avait déjà une voiture de police et que l'agresseur était un policier», explique cette parisienne de 33 ans. «On lui a dit de le lâcher et il s'est exécuté. Il a expliqué qu'on n'avait pas à s'en mêler, que c'était un problème personnel, mais je ne pouvais pas partir en laissant la victime comme ça.»

    Cette témoin est ensuite allée parler aux collègues de Damien L., selon son récit. «Ils souriaient dans leur voiture et ne voulaient pas intervenir. Je leur ai dit que je me fichais des raisons de l'agression, mais qu'il y avait des lois et que c'était manifestement un abus de pouvoir de leur part», précise-t-elle. Elle ajoute:

    «Le policier accusait la victime d'avoir frappé sa femme plus tôt et disait que celle-ci avait été hospitalisée. Mais cette femme est justement arrivée avec d'autres personnes un peu après l'agression. Elle avait l'air très bien et elle m'a d'ailleurs dit qu'elle sortait tout juste de table.»

    «La victime hurlait: "non arrête!"», selon un témoin

    Le gérant d'une sandwicherie située juste devant contacte alors les pompiers. Il leur dit qu'un homme est blessé après avoir été frappé par un policier. Mais les services de secours demandent à parler à un agent de police. «Le gérant du restaurant a alors passé son téléphone à Damien qui a immédiatement raccroché», selon Mehdi O.

    Les deux protagonistes s'insultent alors que de plus en plus de témoins assistent médusés à la scène. Le fonctionnaire revient une seconde fois saisir Mehdi O. et le traîne à terre avant que des personnes ne s'interposent. Le policier crie à sa victime: «À frapper des femmes, tu vas voir.» C'est ce qu'on voit sur une vidéo qu'un voisin a transmis à BuzzFeed News. Sur ces images, on aperçoit aussi le collègue de Damien L., en uniforme, regarder l'agression sans intervenir.

    Sophie*, une habitante de l'immeuble de Mehdi O., dont le prénom a été modifié à sa demande, était également présente. Jointe par BuzzFeed News, elle confirme la version de la victime.

    «J'étais sur le parking extérieur de l'immeuble, j'attendais mon mari pour prendre la voiture lorsque j'ai entendu des cris. Je me suis approchée et là j'ai vu un énorme policier attraper un petit bonhomme. Il le frappait violemment sur le visage et le corps. La victime hurlait: "non arrête".»

    Sophie dit avoir mis du temps à comprendre qu'il s'agissait d'un policier. «Pour moi, ce n'était pas possible. J'ai été encore plus choquée de voir ses deux collègues qui étaient dans leur voiture et qui regardaient toute la scène sans rien faire. C'était surréaliste», raconte-t-elle.

    Simon*, le mari de Sophie ajoute avoir été «surpris en voyant l'épaule de la victime»: «Elle était complètement défoncée, cela faisait très bizarre lorsqu'il marchait. Je me demandais même comment il était parvenu à se relever», dit-il.

    Le couple assure qu'une autre voiture de police s'est arrêtée quelques secondes après l'agression et qu'un agent a discuté avec Damien L. Comme Mehdi O., les deux témoins affirment que ces policiers «sont repartis rapidement, comme s'il ne se passait rien alors que notre voisin criait. Comme s'ils laissaient faire».

    Une opération et 96 jours d'ITT

    Mehdi O. est finalement pris en charge par les pompiers, après que Damien L. et ses collègues ont quitté les lieux. Il est transféré à l'hôpital Saint-Antoine. Dans le même temps, Cécile et son amie sont allées livrer leur déposition au commissariat du 20e arrondissement.

    «Les policiers à l'accueil nous faisaient comprendre qu'ils n'étaient pas très contents qu'on témoigne contre un collègue. En revanche, le gradé qui a pris la déposition a précisé que tout ça était inadmissible et que l'enquête serait menée» jusqu'au bout.

    Mehdi O. est allé déposer plainte le 16 août, directement dans les locaux de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

    L'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu a d'abord prescrit une Interruption temporaire de travail (ITT) de 21 jours le 15 août. Mais après une opération pour fixer deux vis sur la tête de l'humérus de Mehdi O., l'UMJ a finalement accordé 96 jours d'ITT le 8 octobre dernier.



    Un seul témoin interrogé en 4 mois

    D'après nos informations, une enquête préliminaire a été ouverte après la plainte déposée contre Damien L. Le policier devra s'expliquer sur cette agression en compagnie de deux collègues, en tenue, armés et avec une voiture de service, alors que sa brigade est uniquement affectée aux réseaux ferrés parisiens.

    Selon une source au sein du parquet, Laura L., la femme de Damien L., a également déposé plainte pour violences contre Mehdi O. après les faits. Interrogé sur cette plainte, Mehdi O. assure ne pas avoir frappé sa belle-sœur et prétend qu'il s'agit de «fausses accusations pour couvrir Damien».

    Nous n'avons pas réussi à joindre Laura L. ni Damien L., et l'IGPN n'a pas souhaité faire de commentaire, l'enquête «étant en cours». «Il s'agit d'un différend familial, comme on peut le voir souvent», nous précise une source au sein de l'institution. Quatre mois après les faits, l'enquête avance en tout cas doucement. Sur les six témoins présents au moment des faits, un seul a pour l'instant été auditionné.

    Les jours suivant l'agression, des voitures de police «venaient souvent se garer devant chez nous», témoignent deux voisins de l'immeuble de Mehdi O. Ce dernier, qui a déposé une main courante sur les conseils de l'IGPN, accuse les forces de l'ordre d'avoir voulu faire pression en se garant sous ses fenêtres. En attendant, la médecine du travail s'oppose à ce que Mehdi O. reprenne son travail à la RATP.

    * les prénoms ont été modifiés