Aller directement au contenu

    À Rennes, le préfet n'a vu «aucune violence policière»: les voici

    Lors d'un point presse assez surréaliste, le préfet de Bretagne a défendu l'intégralité des actions policières. BuzzFeed News a compilé des images pour l'aider à constater quelques pratiques illégales.

    Plusieurs interventions virulentes des forces de l'ordre ont eu lieu jeudi à Saint-Malo le matin et à Rennes l'après-midi. Alors que manifestants et journalistes ont accusé les forces de l'ordre d'avoir commis des violences, le préfet d'Ille-et-Vilaine, Christophe Mirmand, en poste depuis avril, a tenu une conférence de presse pour répondre aux différentes questions.

    Les autorités ne s'exprimant presque jamais sur les violences policières, (la préfecture de police de Paris n'a jamais répondu à nos nombreuses sollicitations par exemple, ni à celles des autres médias), ce rendez-vous était inédit.

    Le face-à-face avec la presse était aussi exceptionnel car une bonne partie des journalistes présents pour l'interroger avaient aussi été victimes, quelques heures avant, des coups de certains policiers.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    «Les difficultés» du métier, répétées plus de 15 fois

    Mais malgré le témoignage des journalistes et l'existence de nombreuses vidéos, le préfet a, avec un certain talent, ignoré la violence commise par des fonctionnaires de police.

    En plus d'avoir souligné plus d'une quinzaine de fois les «difficultés auxquelles font face les policiers», il n'a jamais admis que certaines violences étaient visibles sur les vidéos filmées par les journaliste. Avec un seul leitmotiv:

    «Tenez-compte des difficultés des conditions de travail des forces de l'ordre».

    Christophe Mirmand a assuré à plusieurs reprises n'avoir vu aucune vidéo montrant des pratiques illégales commises par la police. BuzzFeed News en a donc rassemblé plusieurs pour les lui montrer.

    Les images que n'a pas vues le préfet

    Lors de la conférence de presse, le préfet débute en soulignant «la difficulté qui est la leur (celle des policiers), rendre hommage au travail qu'ils effectuent dans des conditions difficiles».

    Rapidement, un journaliste l'interroge sur certaines pratiques policières constatées quelques heures avant la manifestation contre la loi Travail, lorsque 300 personnes ont tenté d’investir la rocade de Rennes. Il demande notamment si «gazer des manifestants» en voiture, et «matraquer y compris des journalistes», est une méthode d'intervention avec laquelle le préfet est «d'accord».

    Christophe Mirmand assure qu'il n'y avait pas «de signe d'agressivité» de la part des forces de l'ordre. Il ajoute:

    Mais un autre journaliste présent sur place insiste:

    «Peut-on parler de bavures lorsque des journalistes sont matraqués, plusieurs manifestants blessés et qu'il y a l'utilisation de voitures béliers, c'est quand même un peu extrême comme méthode?»

    «Il y a eu des conditions d'intervention des véhicules peut-être rapides pour permettre le contournement des manifestants et faire en sorte d'entraver les manifestants qui voulaient se rendre sur la rocade», a défendu le préfet qui a précisé que «parler de voiture bélier est totalement abusif».

    Pourtant les journalistes présents sur place (l'AFP et Libération notamment) étaient catégoriques. Même constatation des journalistes locaux du Télégramme.


    #Rennes. Une violente charge policière fait plusieurs blessés #LoiTravail https://t.co/8vgPH3aBAO

    Le quotidien raconte la scène:

    «Environ cinq camionnettes de la police ont roulé en direction des manifestants, sans ralentir, pour les disperser. Les policiers ont ouvert les vitres des véhicules pour vaporiser au passage de grandes quantités de gaz lacrymogène et de bombe au poivre sur les manifestants.

    Les véhicules ne se sont arrêtés qu'après avoir traversé la foule. Puis, plusieurs dizaines de membres des forces de l'ordre ont alors pourchassé les manifestants pour achever la dispersion, à grand renfort de coups de matraque.»

    Mais le préfet persiste et assure qu'aucun journaliste n'a été matraqué, selon les images qu'il a pu voir.

    Après cette déclaration, un journaliste de France 3 lui répond: «J'étais sur place, les véhicules sont arrivés très très vite, les policiers ont surgi comme des diables en boîte et ont matraqué directement un confrère photographe». Il ajoute:

    «Ensuite, (...) nous les avons interpellés verbalement et là, ils nous ont matraqués à nouveau. Ma consœur qui est juste à côté de moi a également été violentée et j'ai moi-même reçu un coup de matraque. Il y a vraiment un sang froid qui a été clairement perdu à ce moment-là.»

    Apparemment c'est pas la journée de la liberté de la presse à #Rennes. Quelle honte. #LoiTravail @TaranisNews

    Une vidéo reprise par de nombreux médias montre également les policiers repousser puis matraquer des journalistes.

    Les journalistes agressés à #Rennes, images scandaleuses de @VanWass. Cagoules et pas d'immatriculation.

    Malgré les témoignages des journalistes victimes de violences, le préfet se contente de mettre en avant la fatigue et la difficulté des conditions de travail des policiers.


    Le préfet ajoute que les policiers «n'ont peut-être pas identifié immédiatement les journalistes que vous étiez (...) Encore une fois je veux souligner que le métier qui est celui des fonctionnaires de police ou des gendarmes est un métier difficile.»

    Et pourtant, comme le montre une vidéo diffusée par France 3 Bretagne, les journalistes frappés portaient des casques ou des brassards avec la mention «Presse».

    Le préfet accompagné du directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) a également été questionné à propos de l'absence de numéro de matricule sur les tenues des policiers.

    «L'intégralité des membres de la compagnie CRS de Rennes n'ont plus leur matricule depuis mardi dernier, c'est normal?» ont interrogé les journalistes.

    Le préfet a assuré ne pas être au courant.


    Mais de nombreuses photos notamment prises par le journaliste de l'agence Taranis News, Gaspard Glanz, le prouvent.

    Notez qu'à Rennes certains policiers enlèvent leurs numéros de matricule et se cagoulent pour ne pas être identifiés

    «Bah écoutez je le vérifierai», a finalement répondu le directeur départemental de la sécurité publique.

    Christophe Mirmand est ensuite questionné sur les événements qui ont eu lieu le matin-même à Saint-Malo. Des policiers étaient intervenus vers 10h pour disperser des parents d’élève qui avaient cadenassé l'entrée d'un collège pour protester contre sa fermeture annoncée. Les forces de l'ordre ont-elles gardé «leur sang-froid à Saint-Malo aujourd'hui?» demandent-ils.

    Encore une fois, le préfet conteste toute violence.

    Lors de cette intervention, des enfants ont pourtant été blessés. «Onze enfants ont été légèrement blessés, dont trois ont dû être dirigés vers l’hôpital de Saint-Malo. L’un souffre d’une luxation du coude», précise Le Télégramme qui diffuse la vidéo. Des informations confirmées par le préfet lui-même qui assure toutefois que cela a été causé par «une bousculade».


    Gaspard Glanz de Taranis News a ensuite demandé s'il était «normal» que des policiers obligent des journalistes à effacer leurs photos. Encore une fois, le préfet dit ne pas être au courant de cela.

    En plus de nombreux témoignages de journalistes sur les réseaux sociaux, Taranis News a filmé le 31 mai dernier des policiers exiger d'un journaliste qu'il supprime le contenu de son appareil photo. Une pratique parfaitement illégale.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Après le témoignage d'un autre journaliste qui déplore également que les policiers «détournent nos caméras systématiquement», Christophe Mirmand répète de manière presque automatique:


    Pour conclure, le préfet, qui «condamne toutes les violences», a assuré que cette compagnie de CRS de Rennes était «aguerrie» et «professionnelle».

    S'il a promis de faire un rappel aux forces de l'ordre pour qu'elles «n'entravent pas» la liberté de la presse, Christophe Mirmand a assuré qu'il n'y avait «aucun problème» avec les forces de l'ordre de Rennes.

    Le 31 mai dernier, c'est un autre journaliste qui se faisait frapper par des policiers (sans matricule).

    Rennes : des policiers de compagnies d'intervention sans matricule https://t.co/PoDtvvojz4 via @TaranisNews

    De son côté, le directeur de la sécurité publique a insisté pour dire qu'il n'avait vu aucune «dérive» à Rennes. Et de lâcher en guise d'argument:


    Les arguments du préfet et du directeur de la sécurité publique n'ont pourtant pas rassuré les journalistes. Le Club de la Presse (qui rassemble les journalistes locaux) a dénoncé «une escalade inacceptable» et a décidé de saisir le Défenseur des Droits. «Ici, c’est le droit d’informer qui est délibérément attaqué», précise le communiqué.