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    «Dégrader l'image de Macron, quitte à perdre en crédibilité»: la note de Damien Philippot pour Marine Le Pen avant le débat

    BuzzFeed publie deux notes préparées pour Marine Le Pen quelques heures avant le débat de l'entre-deux-tours. La première, de Damien Philippot, lui conseille d'attaquer Macron par tous les moyens «quitte à perdre en crédibilité». La deuxième lui suggère d'évoquer un fake news sur le «compte offshore» de Macron.

    «Agressive», «peu convaincante», «approximative», «noyée»... Au lendemain du débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle organisé le 3 mai 2017, les critiques dans la presse sont assassines. À peu près tous les observateurs s'accordent à dire que Marine Le Pen a raté son débat face à Emmanuel Macron. Elle finira d'ailleurs par l'admettre cinq mois plus tard, en octobre, sur le plateau de France 2 : «J'ai raté mon rendez-vous avec les Français.»

    Très vite les regards se sont tournés vers le clan Philippot et notamment Damien, frère de Florian, qui a démissionné de l'Ifop en janvier pour rejoindre la campagne de Marine Le Pen. L'ancien sondeur dirigeait alors le pôle «rédaction» de la campagne, en charge d'écrire les documents et les argumentaires. C'est Damien Philippot (avec Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen) comme l'a écrit Le Point qui aurait convaincu la candidate frontiste de jouer la carte de la surenchère offensive. «Je lui ai recommandé, dans une stratégie de challenger qu'elle était, d'essayer évidemment pas d'être agressive, mais à l'offensive, ça allait de soi», a concédé Damien Philippot.

    BuzzFeed News, comme Mediapart qui a également eu accès à des documents internes, s'est procuré plusieurs notes de campagne internes, dont une préparée pour Marine Le Pen et envoyée par e-mail par Damien Philippot le 2 mai, la veille du débat. Ce courriel a été envoyé à son équipe de rédacteurs. Selon l'un d'entre eux, Damien Philippot est bien l'auteur de la note. Contacté par BuzzFeed à plusieurs reprises dimanche, ce dernier n'a pas souhaité nous répondre. De son côté, David Rachline, directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, n'était pas joignable.

    Joint par Mediapart, Damien Philippot affirme ne pas se «souvenir de cette fiche». « J’ai écrit énormément de notes pendant la campagne, je ne peux pas vous dire... », explique-t-il, en précisant qu'il ne « [s']exprimera pas sur la campagne et la préparation du débat.»

    Le document dont il est l'auteur contient trois pages, et est classé en deux catégories : «général» et «ton». Il a été créé le 2 mai à 12 h 34 et sa dernière modification date du 2 mai 2017 à 16 h 10. La licence du document est au nom du trésorier du Front national (FN), Wallerand de Saint-Just, qui détient les licences Microsoft du parti, selon nos informations.



    La note débute avec ces deux avertissements lourds de sens quand on sait ce qui s'est joué pendant le débat : «Nous n'avons rien à perdre», «l'objectif est de dégrader l'image de Macron, quitte à perdre en crédibilité». De nombreux conseils avancés par Damien Philippot dans cette note ont été appliqués par Marine Le Pen lors du débat de l'entre-deux-tours.

    Pendant plus de 2 h 30, Marine Le Pen s'est bien attelée à tenter de «dégrader» l'image de Macron et «à pousser des gens dans l'abstention». Et ce, dès la première question. Marine Le Pen a attaqué Emmanuel Macron en l'accusant d'être «l'enfant chéri du système et des élites». Elle lui a reproché d'être «le candidat de la guerre du tous contre tous» ou encore d'avoir «la froideur d'un banquier». Cette attitude a prévalu pendant tout le débat. De nombreux commentateurs ont estimé qu'elle avait perdu en crédibilité, en évoquant notamment une intox sur un compte offshore de Macron aux Bahamas et qu'elle avait multiplié les approximations, notamment sur des aspects économiques.

    Dans cette note, Damien Philippot conseille ensuite à Marine Le Pen d'être constamment «dans l'offensive» et de sourire car «il s’agit de paraître sympathique et de rendre Macron le plus antipathique possible». Le but de la candidate du FN, selon lui, est d'amener Emmanuel Macron «à s'énerver et à se montrer arrogant».

    Marine Le Pen ne réussira jamais à énerver Emmanuel Macron au cours de cet affrontement télévisuel. Elle aura pourtant essayé, en tentant à de multiples reprises de faire sortir le futur président de ses gonds. «Vous êtes arrogant», «vous êtes énervé», a-t-elle lancé. Pour ce qui est du sourire, la mission a également été accomplie.

    La mission principale de Marine Le Pen au cours de ce débat, selon cette note, est de faire passer le «message essentiel» suivant : «Macron, c’est 5 ans de Hollande en plus, et le recyclage de tous les socialistes qui nous ont menés au désastre». Revenir sans cesse à cela, c’est l’objectif numéro 1 du débat», lit-on.

    Et ça n'a pas raté. À plusieurs reprises, la candidate du FN a placé le nom de François Hollande dans le débat, allant même jusqu'à qualifier Emmanuel Macron de «Hollande junior». Selon elle, François Hollande a soutenu Macron «deux fois par jour» pendant la campagne. «Pourquoi vous n'acceptez pas cet héritage tellement évident ?», a-t-elle même demandé.

    Dans cet extrait, Damien Philippot propose à Marine Le Pen des arguments pour mener une «attaque idéale». Il dresse entre les lignes un portrait forcément peu flatteur du candidat d'En marche. Selon l'ex-sondeur de l'Ifop, Emmanuel Macron «confond le niveau des gens avec celui de ses amis ou des journalistes». Dans le but de le «mettre hors de lui», Damien Philippot propose de caser «une allusion finement placée que les téléspectateurs ne comprendront pas, mais que lui comprendra.» À cet égard, il lui suggère de caser le terme «anecdote».

    Marine Le Pen a appliqué à la lettre cette recommandation en critiquant le bilan de l'ex-ministre de l'Économie. Pour ce faire, elle a cité l'exemple de l'usine Whirpool à Amiens, théâtre d'un déplacement houleux des deux candidats durant l'entre-deux-tours. Puis, elle a évoqué dans un vif échange le rachat de SFR qu'elle impute à Macron. Et a bien casé le mot «anecdote».

    L'échange fera date. Non pas, parce que Emmanuel Macron a surréagi, mais parce que Marine Le Pen s'est emmêlée les pinceaux et les dossiers sur la responsabilité de l'ex-ministre. Elle a semblé mélanger les cas d'Alstom, de SFR et de General Electric. Une confusion et une approximation qu'Emmanuel Macron a immédiatement exploité en ironisant ainsi : «Vous savez, il y en a un qui fait des téléphones et l’autre ça n’a rien à voir, il fait à la fois des turbines et du matériel industriel.»

    L'«autre axe» recommandé par Damien Philippot, c'est de jouer la carte de l'humour et de ne pas «hésiter même à faire de l'autodérision». Une fois encore, Marine Le Pen a tenu compte de ce conseil lors d'une séquence qui restera dans les annales.

    L'échange en question portait sur les Français et leur vote. Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron d'avoir «tenté de salir» les électeurs qui ont voté pour elle au premier tour de l'élection présidentielle. Elle s'est alors lancée dans une tirade, devenue culte. «Vous les avez injuriés. C'est eux dont vous disiez : "Regardez, ils sont là, ils sont dans les campagnes, dans les villes, ils sont sur les réseaux sociaux..." Des envahisseurs !»

    «Comment répondre à ses interruptions permanentes ?», s'interroge plus loin Damien Philippot. Selon lui, Marine Le Pen doit «rester calme», et doit interpeller son adversaire en lui demandant clairement de ne pas s'énerver. «Vous ne devriez pas vous énerver, tout va bien se passer», peut-on lire dans cette note.

    Et pendant le débat, la candidate frontiste n'a pas hésité à user de ce stratagème :

    Dans le reste du document, on découvre que Damien Philippot a recommandé à Marine Le Pen de ne pas être trop «technique» car Emmanuel Macron est un «technocrate pur sucre» et qu'il «sera toujours meilleur sur le plan technique». Avant d'ajouter : «S'expliquer, c'est s'excuser.» Damien Philippot conseille aussi à la candidate FN de marquer sa différence par rapport à Macron, de «montrer qu'on est concerné par des problèmes de gens» quitte à être «presque démagogique». Car selon lui, «on s'en moque, ce qui compte, c'est de toucher».

    Sur cette note, on souligne aussi l'un des axes récurrents de la rhétorique Le Pen pendant la campagne, à savoir que les médias et le système attaquent le FN mais soutiennent Macron. Philippot rédige ainsi quelques conseils en cas «de parti pris des journalistes», et conseille à Marine Le Pen de «jouer sur le côté "vos médias amis ont joué à ce petit jeu pendant toute la campagne de premier tour"».

    Enfin, cette note nous apprend – et on l'a constaté pendant le débat – que la stratégie était de faire de Macron «le ministre du chômage», de montrer qu'il n'avait «pas de programme» pour lutter contre le terrorisme et l'insécurité. Philippot y écrit que si le FN veut «réduire l'immigration et lutter contre le communautarisme», Macron, lui, «veut l'inverse».

    BuzzFeed News s'est procuré une seconde note, dont le contenu a été rédigé par des membres de l'aile la plus à droite du FN. Le document de quatre pages liste les «idées punchlines» de Gaëtan Bertrand, responsable de la campagne numérique de Marine Le Pen et celles de Philippe Vardon, cofondateur du Bloc identitaire et membre de la cellule idées-images lors de la campagne. Une cellule codirigée par Philippe Olivier. Cette note a été envoyée par Damien Philippot le 3 mai aux alentours de 18 heures, trois heures avant le débat.

    Le fake sur le «compte offshore aux Bahamas» de Macron

    Peu des phrases-choc listées dans ce document de 4 pages ont été retenues par Marine Le Pen. À noter cependant qu'une «fake news» évoquée par la candidate du FN lors du débat est directement tirée de cette note. Dans ce document il est en effet conseillé à Marine Le Pen, dans le passage «Divers», d'attaquer Emmanuel Macron sur son visage «celui de la finance, celui de la soumission aux intérêts des riches et des puissants», ce que Marine Le Pen fera en effet. Et le document lui suggère d'évoquer des supposées affaires qui pèsent sur Emmanuel Macron en ces termes : «Si vous voulez parler des fausses affaires inventées par vos amis des médias, on peut aussi parler de votre patrimoine, ou des soupçons concernant votre compte offshore.» Marine Le Pen dira :

    «J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas ou je ne sais pas, j'en sais rien moi.»

    Qui est à l'origine de cette fake news ? Gaëtan Bertrand, Philippe Vardon ou Damien Philippot qui a fait circuler la note par mail ? Contacté par BuzzFeed News, Philippe Vardon précise qu'il n'a pas réalisé cette note «dans son ensemble» mais «qu'elle reprend des éléments que l'on m'avait demandés». Il réfute «la paternité» de l'idée sur la fake news.

    Parmi les autres recommandations, on retrouve celle de Gaëtan Bertrand qui suggère cette phrase : «Dimanche, dans tous les cas, une femme sera au pouvoir : moi, ou Mme Merkel.» La candidate du FN dira :

    «Je vais vous dire ce qu'il va se passer, Monsieur Macron. De toute façon, la France sera dirigée par une femme. Ce sera ou moi, ou Mme Merkel. Elle est là, la réalité.»

    La note de Damien Philippot à l'intention de Marine Le Pen, lui conseillant de «dégrader l'image de Macron, quitte à perdre en crédibilité».