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    Le débat sur l'anonymat des terroristes existe-t-il dans les autres pays?

    Plusieurs médias français ont décidé de ne plus publier les photos et les noms des terroristes. On a demandé à nos collègues dans le monde ce qu'il en était chez eux.

    Faut-il donner le nom et publier les photos de terroristes après une attaque? Plusieurs médias français ont décidé de ne plus le faire:

    - Le Monde a d'abord annoncé qu'il ne publierait plus de photos des auteurs de tuerie, «pour éviter d'éventuels effets de glorification posthume». Avant de préciser que cette décision concernait uniquement les «images tirées de leur vie quotidienne» ou celles «précédant leur passage à l'acte», mais pas les documents comme les pièces d'identité ou «les images apportant différents types de preuves».

    - BFMTV ne montrera plus de photos des terroristes, pour ne pas faire leur «mise en avant involontaire» en continu, et «éviter de mettre les terroristes au même niveau que les victimes, dont nous diffusons les photos», a dit la chaîne au Monde. Pareil pour RTL et son site.

    - Europe 1 ne diffusera pas de photos et ne dira pas non plus leurs noms, utilisant leur prénom + l'initiale de leur nom de famille.

    Tout le monde n'est pas d'accord sur l'efficacité de telles mesures. Le journaliste et spécialiste du djihadisme David Thomson affirme dans Libération que cela n'aurait pas vraiment d'impact sur la menace terroriste: «Les djihadistes n’ont pas besoin des médias de masse pour exister. Ils ont leurs propres agences de presse, leurs propres organes de production et de diffusion via internet.» Tout comme Wassim Nasr, journaliste et auteur de État islamique, le fait accompli, qui a donné une interview à L'Express. Il estime que cacher les images et les noms des terroristes au public pourrait alimenter encore plus les théories du complot.

    Ce débat existe-t-il à l'étranger? Nous avons posé la question à nos collègues des éditions internationales et aux correspondants de BuzzFeed. Voici ce qu'ils nous ont répondu.

    Dans ces exemples forcément non-exhaustifs, certains ont évoqué des tueries non-terroristes ou des types de criminalité propres à leur pays.

    En Allemagne, un débat similaire

    L'Allemagne, touchée récemment par plusieurs attaques, connaît un débat similaire. Après la fusillade de Munich, qui a fait neuf morts et que les autorités présentent comme l'acte d'un forcené suivi pour des problèmes psychiatriques, un tabloïd a publié cette une, qui disait «Nous ne mettrons pas votre photo en une»:

    «L'idée était de sortir de la routine post-attentats, où les terroristes deviennent en quelque sorte "célèbres" avec leur photo publiée partout», explique Sebastian Fiebrig, de BuzzFeed Allemagne. L'hebdo Stern a publié des photos du tueur de Nice, floutées en couverture mais pas à l'intérieur, rapporte Libé, qui ajoute que les chaînes de télé ont généralement flouté les photos de terroriste, mais pas le Spiegel ou Bild.

    Les médias allemands avaient aussi eu un débat sur le fait de nommer ou non Andreas Lubitz, le co-pilote du vol Germanwings qui s'est écrasé dans les Alpes en 2015: Deutschlandradio, par exemple, n'a pas donné son nom complet jusqu'à ce qu'il soit absolument sûr qu'il était responsable du crash. Le Conseil de presse allemand a finalement rendu un avis favorable au fait de nommer le copilote.

    Par ailleurs, il est très courant en Allemagne de ne pas donner les noms ni publier les photos des victimes d'un attentat, et à chaque fois, le choix de les montrer ou pas fait débat.

    Autriche

    Le journal autrichien Kleine Zeitung a publié cette une au lendemain de l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray:


    On peut lire en dessous de la une: «Quand des islamistes ont frappé une église dans le Nord de la France, un prêtre de 86 ans a été tué comme un animal. Nous refusons de mettre ce crime en première page.»

    L'exemple des narco-trafiquants au Mexique

    Javier Aceves, de BuzzFeed Mexique, nous a parlé de la couverture médiatique des narco-trafiquants: il y a cinq ans, tous les grands médias ont signé un accord sur la violence et le crime organisé. L'accord dit en résumé que ces médias ne doivent pas devenir les porte-parole du crime organisé en publiant des messages de narco-trafiquants laissés sur leurs victimes, et ne doivent pas publier d'images violentes ou sensibles liées à la violence. Selon Javier Aceves, «les origines de cet accord sont un peu louches, quand on pense que le gouvernement a un intérêt à garder des zones d'ombre sur la situation et sur le nombre de morts. Mais ces pratiques sont devenues la norme depuis.»

    Aux États-Unis, les terroristes montrés

    Aux États-Unis, les terroristes sont souvent montrés dans les médias, notamment Dylann Roof, qui a abattu neuf noirs américains dans une église de Charleston en Caroline du Sud, James Holmes, l'auteur de la tuerie d'Aurora qui a fait douze morts en 2012, ou plus récemment Omar Mateen, l'homme qui a tué 49 personnes dans un club gay d'Orlando lors de la fusillade la plus meurtrière de l'histoire moderne des États-Unis.

    Le débat sur le traitement médiatique du terrorisme existe cependant. Lorsque des vidéos de décapitation perpétrées par l'organisation État islamique ont commencé à surgir, et notamment celle de l'exécution du journaliste américain James Foley en 2014, certains médias se sont demandé s'il fallait ou pas publier ces images.

    Il y a aussi plusieurs pays où il n'existe pas vraiment de débat sur la question, selon nos journalistes:

    Au Royaume-Uni par exemple, «quand Lee Rigby a été tué à la machette par un terroriste en 2013, quasiment tous les journaux du pays –tabloïds comme journaux traditionnels– ont publié en première page une image sanglante et incroyablement graphique le lendemain», explique Luke Lewis, de BuzzFeed UK.


    Au Nigéria, selon Monica Mark, correspondante de BuzzFeed en Afrique de l'Ouest, et notamment au nord-ouest du pays par exemple, «ce n'est plus vraiment considéré comme une grosse actualité [tant c'est devenu courant]. Les victimes et les terroristes sont oubliés la plupart du temps. En plus au Nigéria, nous n'avons généralement pas accès aux noms des personnes [qui commettent des attentats-suicides]. Ce sont souvent des personnes pauvres kidnappées ou contraintes par les terroristes».

    «En Inde, nous publions n'importe quel détail disponible sur les terroristes ou les organisations. Y compris les photos, les noms, les complices, et parfois même les membres de leurs familles et les détails personnels», explique Andre Borges de BuzzFeed Inde.

    Pas de débat en Iran, en Irak, en Syrie ou en Égypte, selon Borzou Daragahi, correspondant de BuzzFeed au Moyen-Orient, ni au Mali, selon Monica Mark. Pareil en ce qui concerne l'Argentine, ou l'Australie: les médias australiens nomment les terroristes et publient leurs photos le plus rapidement possible. «Mais l'Australie n'a connu "que" trois attentats revendiqués par Daech en trois ans», remarque Mark Di Stefano, de BuzzFeed Australie.

    Au Japon, le débat porte sur quelles informations donner à propos des victimes. Les lecteurs remettent de plus en plus en question «la "mêlée des médias", lorsque les médias fouillent trop dans l'intimité des victimes» après des tueries, selon Saki Mizoroki de BuzzFeed Japon. L'attaque de Sagamihara, où un homme a tué à l'arme blanche 19 patients d'un centre pour personnes en situation de handicap, a une nouvelle fois soulevé cette question. La police a refusé de diffuser les noms des victimes, avançant que les familles n'avaient pas donné leur accord. Mais «généralement, la presse exhorte la police à diffuser les noms car sinon cela permettrait aux autorités de cacher quoi que ce soit de gênant plus facilement.»