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    On a passé l'interview de Laurent Wauquiez au bullshitomètre, et la machine a failli exploser

    Au moment de se défendre sur BFM-TV, Laurent Wauquiez a-t-il donné dans le «bullshit de plateaux médiatiques», pour reprendre sa formule ? On a voulu vérifier. La machine s'est emballée.

    Quand il se rend sur les «plateaux médiatiques», Laurent Wauquiez fait du «bullshit». C'est l'aveu que le patron des Républicains (LR) a fait à ses étudiants au moment de leur promettre d'instaurer dans son cours un «espace de liberté» garanti sans «bullshit». Du coup, quand il est venu s'expliquer sur BFM-TV à l'issue de quatre jours d'une polémique force 4, on s'est demandé s'il avait laissé la langue de bois au vestiaire.

    Première étape pour celles et ceux qui ne maîtriseraient pas la langue de Shakespeare aussi bien que Laurent Wauquiez, définissons «bullshit». Le Larousse le traduit par «connerie». En anglais, le mot peut aussi désigner un mensonge, une baliverne, une bêtise, une foutaise. Bref, le bullshit, c'est quand on dit n'importe quoi.

    Dans ses explications, Laurent Wauquiez n'a-t-il pas succombé lui-même aux sirènes du «bullshit des plateaux médiatiques» ? Nous avons passé ses propos au «bullshitomètre», et autant vous le dire tout de suite, la machine s'est emballée. C'est parti.


    «Bonsoir» 

    Notre analyse : Dose de bullshit nulle dans cette phrase, qui ne comporte en fait qu'un mot, «bonsoir». L'interview s'étant déroulé à partir de 19 heures, le soir donc, il était tout à fait correct de saluer Ruth Elkrief d'un cordial «bonsoir».


    «Ce que j’ai dit devant les étudiants, je le redis exactement de la même manière devant vous, sur tous les sujets. Parce que j’assume les propos qui ont été les miens.» 

    Notre analyse : C'est la ligne de défense de Laurent Wauquiez, tout assumer. Il la répète ici, mais oublie un tout petit détail : il s'est déjà excusé auprès de Nicolas Sarkozy, qu'il avait accusé devant ses étudiants d'avoir mis sur écoute ses ministres lorsqu'il était président de la République. D'ailleurs, quelques secondes plus tard, Ruth Elkrief évoque cette accusation, et Laurent Wauquiez de répondre : «Vous voyez ce passage ? C’est le seul que je regrette. Et celui-là je le regrette vraiment. J’en ai présenté mes excuses à Nicolas Sarkozy.» Par ailleurs, vous lirez plus bas que sur les syndicats ou le rôle d'Emmanuel Macron dans la chute de François Fillon, Laurent Wauquiez n'est pas aussi affirmatif que devant ses élèves de l'EM Lyon. Il assume donc ses propos «sur tous les sujets», sauf quand il les regrette.


    «Les méthodes auxquelles s'est livré un journaliste, ce sont des méthodes de voyou. (...) J’ai décidé de porter plainte, et de saisir le CSA.»

    Notre analyse : S'en prendre aux journalistes lorsque paraît une information gênante est un grand classique de la politique, de François Fillon à Nicolas Sarkozy en passant par Marine Le Pen ou Denis Baupin. De même que s'en prendre à leurs méthodes. Et pour Laurent Wauquiez, celles qu'a employées le journaliste de «Quotidien» Paul Larrouturou pour mettre la main sur le contenu de son cours sont des «méthodes de voyou». Pourtant, comme le lui rappelle Ruth Elkrief, la parole de Laurent Wauquiez est importante, et la journaliste lui lit une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le sujet :

    «Une prise d'image et de son ne peut faire l'objet d'une condamnation lorsqu'elle se fait dans l'intérêt du public. Et on peut plaider, ajoute la journaliste, que c'est intérêt du public de mieux vous connaître, de savoir qui vous êtes réellement.»

    Quant à l'hypothèse d'une plainte, elle est crédible, mais aurait peu de chance d'aboutir. Car s'il est en effet interdit en France d'enregistrer quelqu'un à son insu, en vertu du droit au respect de sa vie privée, cette interdiction tombe lorsqu'il s'agit d'une personne publique qui donne un cours à des élèves. Ainsi pour l'avocate Delphine Meillet, interrogée à ce sujet par franceinfo, «par nature, ses propos ne peuvent en aucun cas être considérés comme confidentiels. Ce sont au contraire des informations que les étudiants sont censés retranscrire». Une hypothèse qui devrait convaincre Laurent Wauquiez puisque lui-même, devant ses étudiants, s'est confié sur la possibilité pour lui de garder une forme de parole privée : «Dans ma vie politique, dès que j'ai plus de deux personnes autour de moi, il faut toujours que je me dise que tout ce que je dis va sortir.»

    Enfin, à plusieurs reprises, Laurent Wauquiez s'insurge qu'Emmanuel Macron n'ait pas subi les mêmes questions après avoir évoqué les kwassas-kwassas qui «amènent du Comorien», en référence aux réfugiés Comoriens qui traversent la mer à bord de ces petites embarcations de pêche. Un argument en or pour Laurent Wauquiez. Qui oublie que cet enregistrement avait été dévoilé par les journalistes... de «Quotidien».


    «Je pense que les Français trouvent que la classe politique brandit un peu facilement l’argument de la présomption d’innocence pour se protéger. (...) Je l’avais constaté lors de l’affaire Cahuzac, lorsque la classe politique, elle, est attaquée, tout le monde, parfois même indépendamment des clivages politiques, se drape derrière la présomption d’innocence pour excuser ce qui n’est pas excusable.» 

    Notre analyse : Laurent Wauquiez fait ici référence à Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, visé par une plainte pour abus de faiblesse, et qui a fait l'objet d'une plainte, classée depuis, pour viol. Face à ses étudiants, le patron des Républicains avait déclaré que Gérald Darmanin allait «devenir l’incarnation de ce qu’a été Cahuzac». Et face à Ruth Elkrief, il a estimé que la présomption d'innocence était un argument «brandi un peu facilement» par le monde politique pour se protéger, et répété que selon lui, Gérald Darmanin devrait démissionner du gouvernement.

    Du bullshit chimiquement pur. Car comme l'a relevé le Huffington Post, Laurent Wauquiez n'a pas toujours tenu cette position, très loin de là. Au début de l'année 2017, Laurent Wauquiez avait par ailleurs exclu tout retrait de François Fillon, empêtré dans le «PenelopeGate», réclamant «des faits». En 2016, alors que Nicolas Sarkozy est candidat à la primaire de la droite, et qu'il est mis en examen dans l'affaire du financement de sa campagne de 2012, Laurent Wauquiez martèle que «tant que les juges n'ont pas tranché, il faut respecter la présomption d'innocence». Idem en 2011 à propos de Bernard Squarcini, qui dirige alors le renseignement français malgré une mise en examen : «il est mis en examen, et pour l'instant, il y a une présomption d'innocence» avait affirmé le patron de LR.


    «J’ai dit aux élèves que je considérais qu’il y avait un problème lourd sur le financement des syndicats en France. Je maintiens ce que j’ai dit.»

    Notre analyse : Là encore, Laurent Wauquiez donne dans le méga bullshit. Car s'il dit «assumer sur tous les sujets», il s'arrange largement avec la vérité. Pendant son cours, il n'a pas évoqué un «problème de financement» des syndicats, il a affirmé que «la CGT se faisait un joli chèque de 3 millions d’euros sur le budget de la région chaque année». Des chiffres qui n'ont aucune base solide, comme nous l'avons déjà démontré ici. Un ancien élu socialiste de la région et la CGT parlent d'une somme qui avoisine les 300 000 euros annuels. Dix fois moins donc que les trois millions annoncés par Laurent Wauquiez.


    «J’ai dit que je considérais qu’Emmanuel Macron avait construit sa victoire à la présidentielle sur la démolition de François Fillon, je le maintiens.»

    Notre analyse : Décidément, le bullshitomètre est bloqué dans le rouge. Car encore une fois, Laurent Wauquiez semble déjà avoir oublié ce qu'il a VRAIMENT dit devant ses étudiants. Et les propos qu'il a tenus pendant son cours sont beaucoup plus offensifs que ce qu'il laisse entendre face à Ruth Elkrief. Il n'a pas seulement expliqué «qu’Emmanuel Macron avait construit sa victoire à la présidentielle sur la démolition de François Fillon», il a aussi laissé entendre clairement qu'Emmanuel Macron avait «téléguidé» les affaires financières qui ont pourri la campagne du candidat des Républicains:

    «Que Fillon gagne la primaire et que derrière, ils le démolissent, ça, je suis sûr et certain qu’il l’a organisé. Je pense qu’ils ont largement contribué à mettre en place la cellule de démolition, oui bien sûr. Je n’ai aucun doute que le machin a été totalement téléguidé

    Ce qui n'a jamais été prouvé jusqu'à maintenant. Bullshit.


    «Maintenant quand un politique parle un tout petit peu fort, on l’accuse de "trumpisation". Donald Trump n’est pas un modèle pour moi. En aucun cas un modèle pour moi». 

    Notre analyse : Comment un «bullshit» peut-il être «petit» ? Eh bien quand son auteur louvoie avec un sujet, ici Donald Trump. Car Laurent Wauquiez avait déjà affirmé en mars 2016, que Donald Trump n'était pas «un modèle» pour lui. Toutefois, il lui reconnaissait un certain nombre de qualités. Voici ce qu'il disait dans un extrait repéré par feu Le Lab :

    «Ce qui séduit chez Donald Trump, c'est quelqu'un qui a une forme de parole très directe, aborde un certain nombre de thèmes qui jusqu'ici étaient plutôt "tabouisés", et qui est clair dans ce qu'il exprime.»

    Et alors que le journaliste qui l'interroge lui demande si Donald Trump pourrait «l'inspirer» dans manière de faire de la politique, Laurent Wauquiez répond : «Oui, et puis surtout, je pense que effectivement cette politique qui en France, depuis trente, quarante ans, pratique le filet d'eau tiède, on en dit le moins possible, on met sous le tapis toute une série de sujets, je pense que ça peut nous amener dans le mur.»


    «Le système médiatique a ceux qu'il cible et ceux qu'il protège»

    Notre analyse : Se poser en victime d'une kabbale pour expliquer ses déboires, un grand classique qui a failli faire exploser le bullshitomètre. Encore une fois, un argument déjà utilisé par François Fillon, Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy. La presse, ces dernières années, n'a pourtant épargné aucun camp politique en révélant pêle-mêle des affaires sur les syndicats de gauche, sur François Fillon, sur Marine Le Pen, sur Denis Baupin ou encore sur les jeunesses communistes.


    «Toute cette affaire est tellement précieuse pour mettre sous la poussière tout le reste. Et vous le voyez d’ailleurs dans votre comportement : Emmanuel Macron, vous ne l’interrogez pas sur tout ce qu’il s’est passé, mais moi en revanche, quel déchaînement et quel défouloir médiatique.» 

    Notre analyse : Alors première chose, on dit «mettre la poussière sous le tapis», pas l'inverse, même si dans le cas présent, on n'est pas sûr de ce que Laurent Wauquiez veut mettre «sous la poussière». Il fait en réalité référence aux différents propos polémiques qu'a tenus Emmanuel Macron depuis son entrée au gouvernement jusqu'à son accession à l'Élysée, des «illettrées» des usines Gad, aux «kwassas-kwassas» en passant par «ceux qui ne sont rien». Le patron de LR estime que ces propos n'avaient pas causé autant de problèmes à Emmanuel Macron. En clair : «Regardez, le voisin le fait aussi, pourquoi vous n'allez pas l'embêter ?» Laurent Wauquiez oublie un peu vite que chacune de ces petites phrases d'Emmanuel Macron a crée de vives polémiques, menant par exemple à des excuses pour les ouvrières de Gad. À propos de sa «blague» sur les Comoriens, l'Élysée avait dû désamorcer les propos du président en catastrophe, plaidant une «plaisanterie malheureuse et pas très fine».

    Si on fait le bilan donc, mauvais résultat pour Laurent Wauquiez qui obtient, selon notre méthode scientifique ultraprécise, 74,65 % de «bullshit» pour cette interview face à Ruth Elkrief. Un taux impressionnant.