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    Voici l’histoire du procès retentissant qui a changé la vision de la société sur le viol

    En 1978, trois agresseurs sont condamnés à de la prison pour le viol d'un couple de femmes. Le procès et le débat sur le viol qui a suivi sont devenus l'une des grandes victoires du mouvement féministe en France. Mardi, France 3 revient sur l'évènement.

    France 3 consacre mardi 19 septembre une soirée au fameux procès d'Aix-en-Provence, dont l'avocate Gisèle Halimi avait voulu transformer en «procès du viol», et c'est un petit évènement.

    La soirée débutera avec le téléfilm Le Viol, qui raconte l'histoire de ce procès, suivi d'un débat et du documentaire Le Procès du viol, sur la même affaire.

    Le téléfilm et le documentaire sont adaptés de l'excellent ouvrage Et le viol devint un crime (Éd. Vendémiaire, 2014), de Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, qui revient en détails sur cette affaire juridique et les répercussions qu'elle a eu sur la société française.

    Malgré leur impact énorme, les mouvements féministes sont encore peu représentés dans la fiction. Si l'initiative de France Télévision est à saluer, c'est d'abord parce qu'elle contribue à réparer un peu cet oubli. Mais aussi, et surtout, parce qu'elle permet de faire connaître au plus grand nombre cet épisode capital du féminisme français.

    Le 20 août 1974, deux touristes belges, en couple, campent dans la calanque de Morgiou, à côté de Marseille, dans les Bouche-du-Rhône.

    À minuit passé, alors qu’Anne Tonglet et Araceli Castellano dorment tranquillement dans leur tente, les trois hommes débarquent sur la plage.

    Ils demandent à pouvoir dormir avec elles sous la tente. Anne et Araceli refusent, et leur demandent de les laisser tranquille. Les hommes se font plus pressants. Alors qu'un d'eux essaie de toucher Anne, celle-ci le frappe sur la tête avec le marteau qui a servi à planter la tente. Les agresseurs s’énervent, menacent le couple de les tuer si elles résistent, puis les violent. Ils ne partiront qu’au petit matin.

    Peu après leur départ, Anne et Araceli se rendent à la gendarmerie la plus proche pour porter plainte pour viol. Elles sont extrêmement choquées et ont de nombreux bleus sur le corps ou le visage.

    Plus tard, Araceli découvrira qu’elle est enceinte, et avortera –alors que l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est encore interdite en Belgique.

    Les agresseurs sont arrêtés dans les heures qui suivent l’agression. Ils prétendent que les deux femmes étaient consentantes et qu’après avoir protesté dans un premier temps, elles ont finalement changé d’avis. Ils avancent même qu'elles y auraient pris du plaisir. Ils sont relâchés au bout de 49 jours de détention préventive.

    À l’époque, le viol est déjà défini comme un crime dans la loi, mais sa définition est très restrictive.

    C’est exactement ce qu’il va se passer. Le viol d'Anne Tonglet et Araceli Castellano correspond bien à la définition de la loi, mais la juge d’instruction qualifie pourtant l'agression de «coups et blessure».

    Au milieu des années 1970, les mouvements féministes commencent à se mobiliser pour dénoncer la violence machiste qu’est le viol. L’affaire d’Anne et d’Araceli va devenir un symbole de cette lutte.

    La Ligue du droit des femmes, dont la présidente n’est autre que Simone de Beauvoir, propose à Anne et d’Araceli l’aide de son avocate. Celle-ci, avec les avocates belges du couple, décident de demander au tribunal correctionnel de se déclarer incompétent. Le jour du procès, le 17 septembre 1975, des féministes se rassemblent pour apporter leur soutien aux victimes. Sous pression, le tribunal correctionnel se déclare incompétent et l’affaire est renvoyée devant les assises, à Aix-en-Provence. La première bataille est gagnée.

    En attendant le futur procès, les groupes féministes continuent leur campagne médiatique et les rassemblements se multiplient.

    Entre temps, Anne Tonglet et Araceli Castellano ont changé d’avocate: c’est la célèbre Gisèle Halimi qui les représente désormais.

    Dans l’affaire d’Anne Tonglet et d’Araceli Castellano, Gisèle Halimi va utiliser la même stratégie. Elle veux faire de cette affaire le «procès du viol».

    Le procès se déroule finalement le 2 et le 3 mai 1978, devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence. Il est couvert par de très nombreux médias, y compris par la presse étrangère.

    Bien décidée à transformer le prétoire en tribune politique, Gisèle Halimi a demandé l’audition de grands témoins.

    Dans sa plaidoirie, Gisèle Halimi évoque la portée que cette décision de justice pourrait avoir pour toutes les victimes de viol:

    «Si vous admettez la thèse des accusés, un consentement possible après de telles violences, alors, savez-vous ce que vous feriez? Eh bien, vous rendriez un jugement de condamnation; vous condamneriez les femmes violées pour l’avenir, soit à mourir pour vous apporter la preuve définitive qu’elles ont résisté jusqu’au bout, soit, si elles en réchappent, à retourner au silence.»

    Lors des débats, l’orientation sexuelle des jeunes femmes, ainsi que leur volonté de se rendre dans un camp naturiste, sont évoquées.

    Parmi les avocats des accusés, on trouve Gilbert Collard, aujourd’hui député Front national.

    La défense plaide l’incompréhension (les agresseurs auraient mal interprété la réaction du couple de femmes) et dénonce la médiatisation et les pressions exercées sur la justice. Un des accusés évoque «une machination monstre», tandis qu'un autre estime qu’Anne Tonglet a voulu porter plainte parce qu’elle était jalouse qu’il ait –selon lui– donné du plaisir à Araceli Castellano.

    À l’extérieur du palais de justice, l’ambiance est tendue. Les militantes féministes sont présentes en nombre. Mais les soutiens des trois accusés aussi, dont certains vont jusqu’à insulter et menacer de mort Gisèle Halimi: «Si tu les fais condamner, on aura ta peau!»

    Devant la cour, l’avocate dénonce:

    «Une de mes proches collaboratrices a reçu des crachats au visage, a été giflée, (...) j’ai été prise au collet, j’ai été l’objet d’injures et d’obscénités que je voudrais ne pas avoir à répéter à la cour. (...) Et cela sous l’œil bienveillant de ceux qui sont chargés de filtrer les gens qui entrent dans cette salle.»

    Quand le verdict tombe, Anne Tonglet et Araceli Castellano peuvent être soulagées: l'agresseur principal est condamné à six ans de prison ferme et ses deux amis sont condamnés à quatre ans.

    Même si le verdict peut paraître relativement clément, c'est une grande victoire pour elles et, au-delà, pour l’ensemble du mouvement féministe. Ce procès devant les assises a permis d'ouvrir un grand débat national et d'amorcer une réelle prise de conscience de la gravité du viol.

    Dans son article annonçant le verdict, Pierre Fisson, journaliste du Figaro chargé de couvrir le procès rapporte:

    «Après deux jours de débats, il semblerait que le public ait pris conscience de quelque chose de nouveau. Nos mœurs seraient peut-être en train d'évoluer. Ce procès de violeurs ordinaires, par les affrontements qu'il a suscités, est un procès exemplaire. En ce jour du 3 mai, un petit pas vers une nouvelle conscience, par-delà les peines prononcées a été accompli à Aix-en-Provence.»

    En faisant apparaître les manquements de la justice en matière de viol, le procès d'Aix va aussi pousser les législateurs à agir. Le 23 décembre 1980, la loi sur le viol introduit une nouvelle définition de ce crime dans le code pénal. C'est toujours cette définition que l'on utilise aujourd'hui.

    Mais la question du viol et de sa sanction est très loin d'être réglée en France.

    En 2016, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes indiquait qu'en France, chaque année, 84.000 femmes âgées de 18 à 75 ans et 14.000 hommes sont victimes de viol ou de tentatives de viol.

    De nombreuses idées reçues perdurent. Toujours en 2016, une étude Ipsos révélait que 24 % des sondés estimaient encore que la fellation forcée n'est pas un viol. Une partie non négligeable des personnes interrogées estiment que la victime est «en partie responsable» du viol si elle a, par exemple, accepté de se rendre seule chez un inconnu.

    Même si elle s'est améliorée, la réponse judiciaire au viol est encore très loin d'être satisfaisante. En février, une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales avançait que seules 13 % des victimes de viol portent plainte. Par ailleurs, dans les cas où la victime a déposé une plainte, il arrive encore fréquemment que des viols soient correctionnalisés et donc jugés comme des délits, ou que la procédure soit classée sans suite. Au final, seuls 3 % des viols finiraient devant les assises.

    Pour en savoir plus:

    -Et le viol devint un crime, de Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, éditions Vendémiaire, 2014.

    -Viol. Le procès d'Aix-en-Provence, Éd. L'Harmattan, 2012.

    -L'émission de France Inter «Affaires sensibles», intitulée Le Procès du viol.

    -Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, de Georges Vigarello, Éd. du Seuil, 2000.

    -Violences sexuelles, les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel Salmona, Éd. Dunod, 2015.

    Pour trouver du soutien après un viol ou être aidé-e dans vos démarches, vous pouvez appeler Viols femmes informations: 0 800 05 95 95. Cette ligne d'appel est gérée par le Collectif féministe contre le viol.