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    Voici comment le harcèlement de rue est perçu à travers le monde

    Nous avons demandé à huit de nos collègues de BuzzFeed de décrire le harcèlement sexiste tel qu’elles le vivent dans leur pays et les mesures prises pour le combattre.

    Le harcèlement de rue est-il différent d’un pays à l’autre? Comment est-il perçu, et comment est-il combattu? Nous avons demandé à huit de nos collègues de BuzzFeed à travers le monde de décrire le harcèlement sexiste dans leurs pays respectifs.


    Lane Sainty, Australie: Le harcèlement de rue est monnaie courante en Australie. Une étude de 2015 révèle que 87% des femmes ont déjà subi un harcèlement verbal ou physique au cours de leur vie. Cela arrive un peu plus souvent aux femmes seules, et s’il n’est pas rare que cela se produise en plein jour, le risque est plus grand la nuit.

    En Australie, très souvent le harcèlement a lieu depuis une voiture: les harceleurs klaxonnent, reluquent, crient ou ralentissent pour vous suivre ou vous intimider. Cela arrive aussi dans les transports en commun, et aussi simplement dans la rue. Si le harcèlement dans l'espace public est de plus en plus considéré comme un phénomène inacceptable, il est certain que ça arrive partout –et que socialement, ce n’est pas une priorité.

    Marie Kirschen, France: Malheureusement, c’est très courant. Les commentaires salaces peuvent facilement se transformer en insultes mais pour plein de gens, ce sont des sortes de compliments censés réjouir les femmes qui les reçoivent.

    Le harcèlement peut aussi avoir lieu dans les transports en commun. Selon une étude menée en Seine-Saint-Denis et en Essonne, 100% des femmes ont déjà été harcelées dans les transports publics. Certains hommes, les «frotteurs», profitent des rames de métro ou des bus bondés pour se toucher ou se frotter contre des femmes. Beaucoup de leurs victimes ne savent même pas qu’elles pourraient porter plainte pour ce genre d’agression. D’autres ont peur de ne pas être prises au sérieux, ou ont trop honte pour se plaindre.

    Nirali Shah, Inde: Avec tous les crimes contre les femmes perpétrés en Inde, la réalité du harcèlement de rue est d’une inquiétante banalité. Nous avons même un mot spécial pour ça: Eve teasing [taquiner Ève]. Soit les hommes vous scrutent comme s’ils essayaient de déterminer à quelle espèce exotique vous appartenez, soit ils vous chantent tout bas une chanson cochonne de Bollywood. L’opinion publique en général est assez peu regardante sur la question et souvent on dit simplement aux filles de «ne pas y faire attention».

    Je crois aussi que Bollywood est irresponsable en donnant aux spectateurs (les moins éduqués) l’idée que «une fille, ça s’attrape». L’éducation sexuelle n’est toujours pas la norme dans la plupart des villes indiennes, et peu de parents (même dans les grandes agglomérations) abordent le sujet avec leurs enfants. J’ai écrit tout un post sur le sujet.

    Eimi Yamamitsu, Japon: Le terme «harcèlement de rue» est rarement reconnu au Japon. Ce n’est pas une pratique quotidienne, mais les hommes qui harcèlent les femmes dans la rue, ça existe. Ces choses arrivent plutôt rarement, donc on n’en parle pas. En revanche, ce qui est plus courant et qui est en quelque sorte lié au harcèlement de rue, c’est le «salut suspect» où des gens vous attirent dans leur voiture (par exemple, ils disent aux enfants qu’ils ont des friandises, aux adultes que leur famille est en danger, etc). Des inconnus attirent par la ruse des femmes ou des enfants dans leur voiture pour les agresser, les violer ou les enlever.

    Et les agressions dans les trains sont un problème grave au Japon, pour lequel nous n’avons pas encore trouvé de solution, mais comme le terme «harcèlement de rue» ne nous est pas familier, personne n’a encore jamais classé les agressions dans les trains dans cette catégorie.

    Jina Moore, Kenya, avec l’aide de l'auteure et analyste politique Nanjala Nyabola: En général les hommes pensent que ça n’existe pas vraiment, et les femmes que c’est inévitable. Mais le problème n’est pas tant les propos salaces au Kenya, en tout cas si on se fie à ce qu’on a vu dernièrement. Les femmes kenyanes ont davantage peur de la violence qui se manifeste ouvertement. On essaie de se protéger en s’habillant d’une certaine manière—avec des tenues classiques—et on croise les doigts pour que tout aille bien. Des femmes ont été déshabillées et battues parce qu’elles étaient vêtues de manière «indécente», et ça peut arriver très vite, donc beaucoup de femmes kenyanes se promènent constamment avec cette peur au ventre.

    Bibine Barud, Mexique: Le harcèlement de rue est plutôt banal, ça arrive tous les jours sans qu’il y ait de réaction active, ni de la part de la société ni du gouvernement. Quand on est une femme, c’est angoissant de marcher dans la rue et de se rendre compte qu’on doit passer devant un groupe d’hommes, parce qu’il est quasiment certain qu’ils vont vous dire quelque chose. Heureusement ce n’est souvent pas très agressif, plutôt une manière d’attirer l’attention, comme «salut beauté» ou «souris ma jolie». La plupart des filles que je connais ne sont pas à l’aise quand elles sortent avec ce qui peut être perçu comme une tenue sexy (ça peut être n’importe quoi, un short, une jupe ou un jean moulant) parce qu’on reçoit une attention qu’on n’a absolument pas sollicitée.

    Parfois ça dégénère et ça se transforme en quelque chose d’horrible, comme récemment à Mexico, le jour des droits des femmes, d’ailleurs (voir vidéo ci-dessous). Une fille marchait dans la rue et un type a couru vers elle, juste pour relever sa jupe et baisser sa culotte. Le pire est que la réaction des gens en ligne a été très décevante, très triste.

    Ces agressions contre les femmes peuvent facilement atteindre un niveau bien plus terrible, comme dans l’État de México ou à Ciudad Juárez.


    Rossalyn Warren, Royaume-Uni: Au Royaume-Uni, le harcèlement de rue n’est peut-être pas considéré comme un sujet sérieux par beaucoup, mais il ne fait aucun doute que c’est une réalité ordinaire. Harceler une femme dans la rue est vu comme une «plaisanterie sympa», qu’il faut supporter étant donné que les femmes ont des problèmes bien plus graves à régler, et qu’en réalité c’est même un «compliment» et qu’elles n’ont donc aucune raison de se sentir blessées. Comme c’est souvent traité comme un «faux» problème, on ne s’en préoccupe pas, ce qui pousse les femmes à avoir l’impression qu’elles ne doivent pas en faire tout un plat et qu'elles feraient mieux de garder ça pour elles.

    Ce qui est inquiétant, c’est que presque toutes les femmes ont une histoire à raconter. Une femme par exemple, qui avait refusé de sourire à un inconnu qui le lui demandait, s’est fait traiter de salope. Une autre raconte recevoir des commentaires «vraiment vicelards» lorsqu’elle est avec sa copine. Une autre encore révèle qu’elle est victime de harcèlement raciste et que des hommes lui crient «konichiwa» en public. La plupart des filles et des femmes se sentent mal à l’aise lorsqu’elles marchent seules dans la rue tard le soir, surtout le vendredi et le samedi soir quand les gens boivent dehors.

    Une femme a raconté qu’alors qu’elle rentrait chez elle un jour, à Londres, un homme l’a accostée et lui a fait des compliments sur sa tenue. Elle a dit merci. Puis il lui a sorti: «Tu m’excites tellement là, que j’ai envie d’enfoncer ma bite toute dure dans ta chatte trempée.» Lorsqu’elle lui a dit de s’en aller, il lui a demandé pourquoi elle n’appréciait pas son honnêteté, et précisé qu’il lui avait juste fait un compliment.

    Rachel W. Miller, États-Unis: Je crois que ça dépend de la personne à qui vous posez la question et de l’endroit où vous êtes dans le pays. S’il y a vraiment beaucoup, beaucoup de femmes qui disent haut et fort à quel point elles détestent ça, il reste un bon paquet de gens qui estiment qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat et qui ne comprennent tout simplement pas à quel point c’est répandu. Par exemple, un de mes collègues masculins, il y a quelques années, ne réalisait pas à quel point c’était un problème jusqu’à ce qu’on parte faire une petite balade à pied tous les après-midi et qu’il voie à quelle fréquence je me faisais klaxonner. Même parmi les hommes qui ne le font pas, et qui sont d’accord pour dire que c’est dégueulasse, je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup qui prennent des mesures actives pour l’empêcher.


    Lane Sainty, Australie: Ces comportements sont de plus en plus montrés du doigt, à la fois dans la rue au moment où ça se produit et dans les médias sociaux. Mais on est loin de l’infiltration dans l’opinion publique d’un sentiment anti-harcèlement. La plupart du temps, c’est classé dans les comportements agaçants mais inoffensifs. Et c’est particulièrement vrai quand le harcèlement verbal est considéré comme un «compliment»–par exemple, quand on demande à une femme «Salut beauté, ça va?» Ce genre de commentaires sur l’apparence des femmes est très peu dénoncé, même lorsque c’est gênant et que ça peut provoquer un sentiment d’insécurité.

    Pendant que l'on analyse les agissements des victimes, d'autres n'ont peur et honte de rien. #HarcèlementDeRue

    Marie Kirschen, France: En 2012, Sofie Peeters, une étudiante qui vivait à Bruxelles, a filmé en caméra cachée les réflexions que les hommes lui adressaient dans la rue. Ce documentaire a fait beaucoup de bruit dans la presse française et sur les réseaux sociaux. Bien sûr, les groupes féministes y ont aussi beaucoup contribué. Une association appelée Stop harcèlement de rue organise de temps en temps des «zones sans relou» pour sensibiliser au problème.

    Deux Tumblr (qui sont ensuite devenus des livres) ont également étendu le débat: Paye ta shnek publie des témoignages de femmes, et le Projet Crocodiles poste des BD inspirées d’histoires vraies. Bien sûr, les femmes ont de plus en plus recours à Twitter et Facebook pour dénoncer les comportements qu’elles doivent subir dans la rue, parfois avec le hashtag #stopharcelementderue.

    Nirali Shah, Inde: Avec l’émergence des réseaux sociaux, de nombreuses femmes indiennes racontent leur histoire sur internet. Des hashtags qui donnent le ton comme #MyFirstPublicIndecency commencent à beaucoup attirer l’attention. Il est évident, juste à en juger par le nombre de réponses, que c’est un ÉNORME problème.

    Eimi Yamamitsu, Japon: Il n’y a pas chez nous de sensibilisation à ce problème. C’est en partie dû au fait que parler à de parfaits inconnus dans la rue n’est pas vraiment dans la culture japonaise.

    Les femmes victimes d’agressions dans les trains ont pendant longtemps pleuré le soir dans leur lit sans rien dire à personne, parce que c’est honteux d’être agressée. Mais il y a récemment eu un mouvement pour inciter les femmes à se signaler et à demander de l’aide.

    Jina Moore, Kenya: Un grand rassemblement a été organisé fin 2014 pour protester contre l’agression d’une femme, déshabillée en public par les chauffeurs et les passagers d’un minibus qui estimaient que ses vêtements étaient trop «provocants.» Le rassemblement s’est transformé en un mini-mouvement appelé #mydressmychoice, et c’était vraiment la première fois que les féministes et les dirigeantes des mouvements de défense des droits des femmes s’organisaient en réaction au problème du harcèlement des rues. Mais ça s’est ralenti ces derniers mois.

    #MyDressMyChoice, my dressing should not be an invitation to be violated

    Nanjala Nyabola, Kenya: D’un autre côté, l’intensité du harcèlement va de pair avec la stagnation économique —au milieu des années 90, c’était terrible. Mais de plus en plus de femmes du Central Business District —le centre-ville de Nairobi, en fait— portent des jupes au niveau du genou ou plus courtes, ce qui nous aurait terrifiées, nous les femmes nées dans les années 70 ou 80, il y a encore cinq ans de ça. Si vous avez grandi à Nairobi, vous pouvez vraiment voir la différence qu’ont fait ces mouvements contre le harcèlement de rue.

    Bibine Barud, Mexique: Ça fait vraiment très peu de temps qu’on commence à en parler comme d’un problème, en tout cas dans les réseaux sociaux, parce que c’est généralement considéré comme quelque chose de «normal». À moins que ça ne prenne un tournant physique ou violent, le type ne fait que «te faire un compliment», donc en quelque sorte ça devient de ta faute si t’es pas cool avec ça. Cette gêne vis-à-vis du harcèlement de rue n’est pas très répandue, et nous avons besoin d’en parler pour que ça change vraiment.

    Rossalyn Warren, Royaume-Uni: Les réseaux sociaux ont énormément contribué à faire prendre conscience du problème. Je vois souvent des filles et des femmes, de tous les pays et d’âges très divers, se tourner vers les réseaux sociaux pour en parler. Je vois tout le temps des tweets d’écolières qui racontent qu’elles se sont fait embêter quand elles étaient en uniforme, ou des mises à jour sur Facebook de collègues qui racontent que quelqu’un les a tripotées dans les transports en commun.

    Le projet Everyday Sexism a également été lancé au Royaume-Uni pour tenter de montrer à quel point le harcèlement est un problème de tous les jours pour les femmes. Cela a énormément contribué à faire prendre conscience de toutes les merdes que les femmes doivent gérer ici, et dans tout le reste du monde.

    Tatyana Fazlalizadeh,'' Stop Telling Women to Smile'' (2012) series on male street harassment of women #womensart

    Rachel W. Miller, États-Unis: Je crois que ces dernières années, les femmes ont réussi à éveiller les consciences, principalement grâce à internet. Juste en donnant un nom au phénomène: le harcèlement de rue, une expression qui ne faisait même pas partie de mon vocabulaire il y a cinq ans, elles ont permis d’en parler et de le dénoncer plus facilement. À mon avis, l’émergence de l’organisation Hollaback, la vidéo virale 10 heures dans les rues de New York dans la peau d’une femme et aussi le reportage de Jessica Williams sur le sujet dans l'émission The Daily Show ont joué un rôle immense dans le débat.

    Hannah Giorgis, États-Unis: Absolument. Et je dirais que la série d’œuvres d’art exposées dans l’espace public par l’artiste Tatyana Fazlalizadeh, «Stop Telling Women To Smile» [arrêtez de dire aux femmes de sourire, photo ci-dessus], est pour beaucoup dans cette avancée. Elle place des portraits de femmes dans des espaces publics avec des phrases comme «Je ne m’appelle pas bébé», qui leur permettent de répondre à leurs harceleurs.


    Lane Sainty, Australie: S’il n’y a pas de groupe conséquent dont l’objectif est précisément de nier que le harcèlement soit un problème, il existe une culture qui considère que ce comportement n’est pas important et qu’il faut simplement que les femmes s’y fassent. «Se sentir constamment en vitrine est une forme de mauvais traitement» a confié une femme.

    Marie Kirschen, France: Malheureusement, certains nient encore que le harcèlement est une réalité courante. Par exemple, quand une femme raconte son histoire sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir des hommes qui refusent de la croire ou qui essaient de minimiser l’étendue du problème. Autre exemple: l’année dernière, en réaction à l’étude qui révélait que 100% des femmes ont été harcelées dans les transports en commun, une chroniqueuse TV, Sophie de Menthon, a tweeté qu’il ne fallait pas «tout confondre» et que «se faire siffler dans la rue est plutôt sympa.»

    Nirali Shah, Inde: L’Inde connaît un IMMENSE mouvement contre les crimes sexuels en ce moment. Certains politiciens et membres de la MRA [mouvement de défense du droit des hommes] profèrent de parfaites absurdités pour balayer le problème sous le tapis. Des politiciens ont déclaré que «les garçons sont comme ça, on n'y peut rien» et que le problème vient des téléphones portables et des jeans. Nous avons publié un article sur tous les arguments ridicules qui ont été avancés.

    Eimi Yamamitsu, Japon: Dans mon pays, il n’y a ni reconnaissance, ni déni de l’existence du «harcèlement de rue».

    Nanjala Nyabola, Kenya: Beaucoup de Kenyans —des hommes et des femmes— pensent que c’est à la femme de se protéger en couvrant son corps. Ce que je trouve le plus intéressant c’est qu’il n’y ait pas davantage d’hommes offensés par l’idée qu’ils sont des animaux incapables de contrôler leurs instincts les plus vils. Il y a là un vestige du colonialisme —la morale ordinaire dans le Kenya colonial consistait essentiellement à protéger la femme blanche des «sauvages» noirs qui, lorsqu’ils étaient «confrontés à la tentation de la chair blanche, étaient incapables de se contenir». Vraiment, ça me contrarie que les hommes kenyans ne se rendent pas compte à quel point ce qu’ils estiment être de la «décence» vient essentiellement de l’idée horriblement raciste que les hommes noirs ne sont pas capables de se contrôler.

    Bibine Barud, Mexique: Je ne pense pas que quiconque oserait nier le problème mais nous sommes une société profondément antiféministe qui croit que certains actes répondent simplement aux «besoins de l’homme». Donc il n’y a pas de déni —mais il n’y a pas de confrontation non plus. Parfois les médias l’encouragent même. En octobre cette chose s’est produite au Mexique: une présentatrice a été tripotée par son collègue devant les caméras malgré ses protestations. Et Televisa a fait pression sur elle pour qu’elle dise que ce n’était qu’un jeu. C’était vraiment triste à voir. Mais enfin, il se passe des choses absolument horribles.

    Rossalyn Warren, Royaume-Uni: Si les groupes ou journalistes antiféministes ne constituent pas une présence vraiment conséquente au Royaume-Uni, ils n’en arrivent pas moins à se faire entendre. Le dénigrement du problème du harcèlement de rue se voit surtout dans les réseaux sociaux, et de la part des groupes antiféministes. Mais dans l’ensemble, les choses sont en train de bouger, et la vision du harcèlement de rue progresse.

    Rachel W. Miller, États-Unis: Tant qu’il y aura du sexisme, il y aura des gens partout pour nier son existence ou pour dire aux femmes de prendre sur elles. Il y a encore tant de gens qui insistent pour dire que c’est un compliment, qu’il n’y a pas de quoi en faire des histoires, etc. Lisez les commentaires de n’importe quel article sur le harcèlement et vous les entendrez, ces voix-là.

    Hannah Giorgis, États-Unis: À chaque fois que j'ai écrit sur le harcèlement de rue, j’ai dû me préparer à des ripostes dans le style «Pas de quoi en faire un fromage! Pourquoi ne pas tout simplement sourire gentiment et répondre que tu n’es pas intéressée?» même de la part d’hommes bien intentionnés. C’est épuisant, parfois même plus que le harcèlement lui-même. Et bien sûr il y a des groupes plus organisés et vicieux comme les Men’s Rights Activists qui font tout leur possible pour invalider la voix des femmes.

    Lane Sainty, Australie: Beaucoup de femmes se sentent abandonnées par les gouvernements et la police dans le domaine du harcèlement. Dans beaucoup de discours publics, on entend que c’est aux femmes de «faire en sorte d’être en sécurité» en faisant des choses du genre ne pas rentrer chez elles à pied seules la nuit, et ne pas attirer l’attention. Non seulement ça met la pression sur les femmes, mais en plus cela rejette la responsabilité sur les victimes.

    Plusieurs femmes australiennes ont confié à BuzzFeed News qu’elles utilisaient des applications de localisation, qu’elles faisaient semblant d’être au téléphone avec quelqu’un, qu’elles faisaient attention à envoyer des sms à leurs amis quand elles rentraient chez elles ou qu’elles gardaient des clés dans leurs mains lorsqu’elles étaient seules pour pouvoir se défendre en cas d’agression.

    Marie Kirschen, France: En juillet dernier, le gouvernement a lancé un programme pour lutter contre le harcèlement sexuel dans les transports en commun. Il comportait une campagne qui disait «Stop, ça suffit», mais aussi la mise en place «d’arrêts à la demande» sur certaines lignes de bus, pour que les femmes n’aient pas besoin de marcher seules la nuit. Dans la région parisienne, une nouvelle unité de huit policiers est chargée des agressions sexuelles dans les transports, qui vont des hommes qui se frottent aux femmes jusqu’au viol.

    Mais il faut noter que les mesures prises ne concernent que le harcèlement sexuel dans les transports publics et que rien n’est fait contre les sifflements, réflexions et autres insultes dans la rue.

    Nous pouvons tous et toutes dire "stop ça suffit" #HarcèlementAgissons

    Nirali Shah, Inde: Des applications comme celles-ci pour améliorer la sécurité ont été créées. Il existe même des cellules spéciales pour les femmes et les enfants destinées à agir quand il se passe quelque chose. Mais on peut rarement aller en justice si on n’a pas de preuve. Il y a eu quelques cas de harcèlement par des chauffeurs Uber, etc. Donc les grandes entreprises mettent des boutons SOS sur leurs applis maintenant.

    En outre, les wagons de train réservés aux femmes sont courants et bien respectés dans toutes les grandes villes à présent. Mumbai s’apprête justement à mettre en service des auto-rickshaws roses conduits par des femmes et destinés aux femmes. Ça existe déjà à Ranchi et dans l’État d’Odisha: à Bhubaneshwar, Cuttack ainsi qu’à Gurgaon depuis 2012. Il y a même des taxis réservés aux femmes, mais je n’en ai personnellement jamais utilisé, ni même vu.

    Eimi Yamamitsu, Japon: Malheureusement peu de choses sont faites contre le harcèlement de rue. Les préfectures se contentent de déconseiller aux gens de suivre des inconnus. Des wagons réservés aux femmes ont été mis en place dans les années 80, principalement à Tokyo, pour les protéger des agressions. L’interdiction des hommes à bord de ce genre de wagons n’a pas de fondement légal, mais elle est rendue possible «avec la coopération des passagers masculins.»

    Plus récemment, les entreprises de transport ont sorti des autocollants de prévention et des badges à la fois pour les hommes et les femmes. Ceux des femmes disent «Je ne veux pas pleurer dans mon lit» et ceux des hommes «Le harcèlement est mon ennemi».

    Jina Moore et Nanjala Nyabola, Kenya: Il y a eu beaucoup de réactions indignées après que le conducteur de minibus a déshabillé une femme en plein centre de Nairobi, et beaucoup de politiciens et d’entreprises de transport ont qualifié ce comportement d’inacceptable —mais il y a aussi eu de nombreux incidents du même genre après. Et à notre connaissance, personne n’a été poursuivi.

    Bibine Barud, Mexique: Eh bien en réalité, les transports au Mexique ont beaucoup changé pour tenter de gérer ce problème, mais la solution proposée ne fait que nous attrister. Il existe des taxis et des rames de métro spéciaux, et des bus Metrobus «réservés aux femmes», qui sont d’ailleurs peints en rose. C’est terrible d’être obligées d’avoir recours à ces mesures ridicules mais ô combien nécessaires.

    Il y a également eu récemment une campagne réalisée par «Les filles de la violence» (vidéo ci-dessous), un groupe de femmes mexicaines qui parlent directement à leurs agresseurs par le biais de musique punk, c’est un moyen d’exprimer à quel point le harcèlement de rue est gênant.

    Rossalyn Warren, Royaume-Uni: En gros, il y a principalement des campagnes organisées par les compagnies de transport, comme Transport For London, qui essaient d’aborder le problème du harcèlement (avec des affiches, des avertissements, etc.) mais le harcèlement quotidien dans l’espace public n’est généralement pas considéré comme un problème digne de beaucoup d’attention de la part de la police ou des politiques.

    Rachel W. Miller, États-Unis: Je pense qu’il y a eu des campagnes mais je ne sais pas combien ont eu un succès fracassant. Il semble tout de même que certains groupes ont réussi à inciter le réseau de transports de New York (MTA) à faire davantage d’efforts pour stopper le harcèlement sexuel.


    Lane Sainty, Australie: Les lois anti-harcèlement varient en fonction des États et des territoires australiens. Dans toutes les juridictions, les agressions sont considérées comme des délits et il existe un genre de loi contre les discours blessants ou obscènes. Ce sont les lois les plus courantes qui devraient en principe s’appliquer dans les cas de harcèlement de rue —mais elles ne sont pas exclusivement dédiées à ce problème.

    Ceci dit, la tendance sociétale consistant à considérer le harcèlement de rue comme quelque chose de peu d’importance ou d’anodin pousse souvent les femmes à ne pas passer par des voies officielles pour en parler, de peur de ne pas être prises au sérieux. C’est particulièrement vrai lorsque le harcèlement est verbal plutôt que physique.

    Marie Kirschen, France: Il est possible de porter plainte lorsqu’on est insultée, ce qui fait encourir au harceleur six mois de prison et une amende de 22.500 euros. Pour des attouchements, cela peut aller jusqu’à 5 ans et 75.000 euros d’amende. Mais ça c’est la théorie, parce que la plupart du temps les femmes n’osent pas porter plainte et parce que ces agressions sont très difficiles à prouver. En outre, les réflexions sexuelles, les regards insistants ou la drague non consentie ne rentrent pas dans le cadre de la loi.

    Récemment, une députée a introduit un article dans un projet de loi pour lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports publics. Cet article de loi exigeait des compagnies de transport qu’elles mettent en place un plan de prévention pour combattre le harcèlement sexiste ainsi que des formations de sensibilisation de certains employés. Mais en février, le Sénat a supprimé cet article 14, ce qui a provoqué une polémique, et certains ont accusé les sénateurs de ne pas se préoccuper des problèmes des femmes. Après la polémique l’article a été rapidement réintroduit.

    RENDEZ-NOUS L'ARTICLE 14 ! #HarcèlementAgissons #HarcèlementSexiste #TeamBagarre #article14 https://t.co/7spfyByOzi

    Nirali Shah, Inde: Des lois sont déjà mises en place pour gérer le harcèlement de rue. Par exemple, les gestes, remarques, chansons ou citations obscènes sont interdits par le code pénal indien (section 294), tout comme le fait de montrer des images, des livres ou des journaux pornographiques ou obscènes à une femme (section 292). La section 509 prévoit que les gestes obscènes, le langage corporel indécent et les commentaires négatifs à l’intention d’une femme ou d’une fille, ainsi que l’exhibition de tout objet portant atteinte à l’intimité d’une femme, fassent encourir une peine de prison d’un an, une amende ou les deux.

    Mais bon, c’est tellement traumatisant que la plupart des cas ne sont pas signalés. Le problème réside aussi dans la manière dont la police gère ces affaires, où c’est la victime qui finit humiliée, tourmentée et au bout du rouleau. Cela s’arrange maintenant que les femmes utilisent les caméras de leurs téléphones et les médias sociaux pour dénoncer les harceleurs et apporter des preuves. En voici un très bon exemple:

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    Eimi Yamamitsu, Japon: Il n’existe pas de loi spécifique pour le harcèlement de rue. En ce qui concerne les trains, il n’y a pas de définition concrète de ce qu’implique une agression, et cela relève rarement du droit pénal. À la place, les tripoteurs tombent sous le coup de l’ordonnance sur les troubles à l’ordre public.

    Jina Moore et Nanjala Nyabola, Kenya: Le Kenya ne dispose pas de loi sur les injures, et le harcèlement relève principalement des lois pénales concernant les agressions. Cependant le problème n’est pas de savoir s’il existe une loi, mais d’appliquer les lois qui existent. L’Ouganda, qui connaît aussi le problème, a choisi d’adopter une nouvelle loi —l’interdiction des minijupes— en 2014. Évidemment, les femmes ont été furieuses.

    Bibine Barud, Mexique: Un article du code pénal protège plus ou moins les femmes du harcèlement sexuel, principalement sur le lieu de travail. Mais il faut que l’agression soit répétée et perpétrée par un supérieur hiérarchique. Ce crime est punissable de 6 mois à 4 ans de prison. Nous sommes donc toutes plutôt vulnérables face à toutes les formes de harcèlement.

    Rossalyn Warren, Royaume-Uni: Comme il existe des lois qui punissent les comportements portant atteinte à l’ordre public, certaines permettent d’arrêter les gens qui sont publiquement insultants, mais il n’y a rien qui concerne spécifiquement le harcèlement sexiste. En général, la police ne prend pas vraiment au sérieux les plaintes pour agression sexuelle ou attouchements en public, et encore moins les injures et les railleries salaces.

    Rachel W. Miller, États-Unis: Il y a des lois écrites; elles varient en fonction des États. Mais il est difficile d’imaginer que la plupart puissent être appliquées étant donné qu’elles impliquent plus ou moins qu’un policier soit à proximité, qu'il ait vu l’incident se produire et arrête le harceleur, ou que vous connaissiez le nom de votre agresseur. Dans la plupart des cas de harcèlement dans l’espace public, ce n’est pas réalisable.

    Hannah Giorgis, États-Unis: Et pire encore, cela suppose que les victimes de harcèlement fassent suffisamment confiance à la police pour porter plainte. Pour les femmes de couleur et les membres de la communauté LGBTQ, interagir avec la police est souvent plus dangereux qu’avoir affaire à un harceleur. Non seulement les policiers se rendent eux-mêmes coupables de harcèlement sexuel, mais ils se livrent à des violences physiques avec une relative impunité (même contre des personnes qui sollicitent leur aide). Pas franchement le genre de recours qui va me réconforter si je suis victime de harcèlement.

    Traduit par Bérengère Viennot