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    «Paris maltraite sa bibliothèque féministe depuis des années»

    La mairie de Paris veut que la bibliothèque Marguerite Durand quitte ses locaux actuels pour intégrer la bibliothèque historique de la ville de Paris l'année prochaine. Mais ce déménagement soulève de nombreuses critiques.

    «La Mairie de Paris veut vraiment faire la peau à la bibliothèque Marguerite Durand.» C'est ainsi que commence le post de blog du Syndicat CGT Culture de la direction des affaires culturelles de la ville de Paris, publié le 28 juillet. Selon ce texte, la Mairie de Paris veut transférer la bibliothèque féministe dans un lieu «totalement inadéquat». Et ce projet provoque pas mal de remous.

    La bibliothèque Marguerite Durand (BMD), c'est la bibliothèque de la ville de Paris spécialisée sur les femmes et le féminisme. On y trouve une très riche collection de livres, mais aussi des archives, des photos, des cartes postales, des lettres, des dossiers thématiques... Ce qui fait d'elle un lieu précieux pour toutes les personnes (et notamment les chercheurs) travaillant sur l'histoire des femmes. En 2010, l’exposition «Photo, femmes, féminisme» a présenté une petite partie du fond photographique de la bibliothèque. La BMD a été fondée en 1932, quand la journaliste et féministe militante Marguerite Durand, la fondatrice du journal La Fronde, a donné ses archives à la ville de Paris. Hébergée dans un premier temps dans la mairie du 5e arrondissement, la bibliothèque a déménagé en 1989 dans un bâtiment également occupé par la médiathèque Jean-Pierre Melville, dans le 13e arrondissement.

    «Les gens ne viendront plus»

    Or ce bâtiment doit fermer en juin 2018, pour une période de travaux. Il réouvrira 18 mois plus tard... sans la bibliothèque Marguerite Durand. «La direction des affaires culturelles de la ville de Paris (DAC, ndlr) a annoncé à l'équipe de Marguerite Durand qu’ils devaient partir des lieux actuels», détaille à BuzzFeed News Bertrand Pieri, de la CGT des bibliothèques parisiennes. Selon le syndicat, la ville de Paris aurait proposé aux agents d'intégrer la bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), située dans le Marais, et donc plus centrale. Sauf que... le lieu manque déjà d'espace.

    Les bureaux des bibliothécaires seraient aménagés dans les vieux appartements de l’ancien conservateur de la BHVP. «Pour sept personnes, faudra se serrer», tacle la CGT. Surtout, l'essentiel du fond de la bibliothèque Marguerite Durand ne pourrait être conservé sur place. Selon le texte de la CGT:

    «La bibliothèque historique n’a pas de place dans ses réserves: elle a même de ce fait mis pas mal de documents à la benne ces dernières années. Les archives du féminisme iraient donc dans un entrepôt. À condition d’en trouver un. Et pour les chercheurs et universitaires obstinés qui voudraient quand même les consulter, il faudrait en faire la demande au moins deux jours à l’avance...»

    Bertrand Pieri craint que la BMD, en plus de son espace, perde son identité. «Le projet fait que, à terme, le fond de la BMD va mourir de sa belle mort, en étant absorbé. Cela va faire que les gens ne viendront plus.»

    Sur Twitter, plusieurs personnes ont apporté leur soutien à la BMD ou ont interpellé Anne Hidalgo, la maire de la capitale.

    Madame @Anne_Hidalgo la bib Marguerite Durand doit être conservée et son accès public amélioré #féminisme #histoire https://t.co/qUk2rlxzF3

    La @bibMarguerite est une ressource précieuse pour les chercheurs du monde entier qui s'intéressent au féminisme fr… https://t.co/mZse6MmPTm

    @laurossignol @FeminismePop @PFDMedias :Pourquoi les archives du féminisme doivent déménager? Ville de Paris https://t.co/NSbJAp0RaF

    «Il n'est pas question de la fermer»

    Contactée par BuzzFeed News, la ville de Paris confirme le déménagement de la BMD à la BHVP en juin 2018, mais reste assez flou sur les détails. «Les conditions de déménagement sont en train d'être travaillées, explique-t-on. On est en train de diagnostiquer les collections et ce travail se poursuivra avec l’équipe de la BMD à la rentrée pour étudier les meilleures conditions de leur déménagement. Mais la bibliothèque continuera de s’appeler "Marguerite Durand" et restera une unité à part entière.»

    Les objectifs mis en avant sont de rassembler le fond de la BMD avec le fond Marie-Louise Bouglé, sur la même thématique et déjà situé à la BHVP, ainsi que de garantir un accès au public sur une tranche horaire plus importante (48h pour la BHVP contre 20 actuellement pour la BMD). La mairie précise également qu'une équipe «constituée d’au moins un-e spécialiste de l’histoire des femmes et du féminisme et un budget spécifique continueront à être dédiés spécifiquement à la bibliothèque Marguerite Durand». Et assure qu'il n'y aura aucune réduction budgétaire pour la BMD.

    Sollicité par BuzzFeed News, Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris chargé de la culture, n'a pas fait suite à notre demande d'interview mais nous a transmis cette réponse via le service presse:

    «Cette bibliothèque est pour nous indispensable et il n'est pas question de la fermer. Si son déménagement est en effet envisagé, c'est pour rendre plus accessible et pour mieux valoriser ses formidables ressources.»

    «On est face à un déni de l’impact négatif du projet»

    L'historienne du féminisme Christine Bard, présidente de l'association des archives du féminisme, fait partie des personnes qui ont tweeté en soutien de la BMD. «Le fonctionnement de la bibliothèque changera complètement, estime-t-elle. On voit bien que la Mairie de Paris va nous dire: "Mais non, vous ne comprenez pas, la bibliothèque ne va pas fermer." Mais on est face à énormément de mauvaise foi et à un déni de l’impact négatif du projet.»

    Non à la mort programmée de notre bibliothèque de l'histoire des femmes et du féminisme. Archives du féminisme en c… https://t.co/PH8dwtCxTU

    La professeure à l'université d'Angers ne décolère pas:

    «On n'est pas contre un déménagement en soi, mais là il n’y aura pas de place pour les lectrices et lecteurs, il n’y aura pas de place pour le personnel et il n’y aura pas de place pour les collections.

    On se demande vraiment pourquoi la mairie le fait. Pour économiser quoi? C'est grotesque, ce sont des sommes ridicules par rapport au budget de la ville de Paris. Paris maltraite cette bibliothèque depuis des années sans réaliser que c’est un trésor et qu’il faut le protéger et lui donner des moyens. C'est un lieu de recherche absolument essentiel, avec des fonds magnifiques.»

    Si, en 2000, l'universitaire a créé l'association des archives du féminisme et le Centre des archives du féminisme à l'université d'Angers, c'est justement parce que la BMD était saturée, faute d'espace. «Grâce à ce dispositif à Angers, on a pu sauver de gros fonds d’archives que la BMD ne pouvait pas prendre, mais c’est une roue de secours. On a toujours considéré que la BMD était la bibliothèque historique.»

    Une pétition en ligne

    Il y a dix mois, un autre projet de déménagement de la BMD avait déjà provoqué de nombreuses inquiétudes. L'association des archives du féminisme avait publié une tribune sur le site de Libération, intitulée «Pour un projet ambitieux de bibliothèque d’histoire des femmes et du féminisme à Paris», et lancé une pétition sur Change.org.

    Le mois suivant, le Conseil de Paris avait voté un vœu relatif à la bibliothèque Marguerite Durand, sur proposition des élu-es du groupe communiste et Front de gauche, demandant «que le déménagement ne soit envisagé que dans un lieu plus grand et fonctionnel».

    Malgré ces bonnes résolutions, pour Bertrand Pieri, le nouveau projet est «encore pire, ils auront encore moins de place pour leur bureau». «J’espère qu'on va rappeler à Anne Hidalgo ses devoirs féministes, avance de son côté Christine Bard. Fermer LA bibliothèque historique des femmes et du féminisme, c’est aussi un symbole. C’est énorme. On a tellement peu de lieux de mémoire du côté des femmes et des féminismes...». L'universitaire conclut: «On va se bagarrer, on est très très en colère.»

    Mise à jour

    Ajout de nouvelles informations sur le projet (sur l'ouverture de 48 heures et le maintient du budget de la BMD) envoyées par la mairie de Paris après publication de l'article.