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    Marlène Schiappa à BuzzFeed : «Je ne suis pas la détentrice des tampons AOC du féminisme»

    Du cyberharcèlement à sa position lors de l'affaire Nicolas Hulot, la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes a répondu à nos questions. Presque toutes nos questions.

    À la une du Parisien Magazine, aux côtés de son compagnon dans Paris Match, invitée spéciale de «Touche pas à mon poste» (TPMP)... En quelques mois, la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes est devenue l'une des figures les plus médiatiques du gouvernement.

    Les prochaines semaines vont être décisives pour la fondatrice du réseau féministe Maman travaille. Son projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles va être présenté à la fin du mois. Le texte est actuellement en lecture au Conseil d'État. Marlène Schiappa table sur une adoption avant l’été. On retrouve dans le texte trois mesures-phares, largement commentées ces derniers mois : la lutte contre le harcèlement de rue, rebaptisé «outrage sexiste», la fixation à 15 ans de l'âge de consentement à un acte sexuel et l'allongement à 30 ans après la majorité – contre 20 actuellement – du délai de prescription des viols sur mineurs. Un quatrième volet a été annoncé il y a quelques jours, sur la lutte contre le cyberharcèlement.

    Nous avons interviewé Marlène Schiappa, vendredi 9 mars, au siège de son secrétariat d'État. Tout au long de notre échange, son conseiller spécial veille au grain. Après nos questions sur la tribune qu'elle a écrite dans Le Journal du dimanche sur l'affaire Hulot et sur ses positions sur le voile, nous interrogeons Marlène Schiappa sur Dominique Besnehard, qui a déclaré sur un plateau de télévision avoir envie de gifler Caroline De Haas. Mais son conseiller spécial nous coupe, énervé : «Il y a un problème.» Ce sujet lié à l'actualité du moment ne fait pas partie des thèmes que nous avions proposé lors de notre demande d'interview, plus d'un mois auparavant. Nous n'aurons pas de réponse à notre question. Marlène Schiappa aime la presse autant qu'elle s'en méfie.


    Vous avez annoncé la semaine dernière sur le plateau de «TPMP» une quatrième mesure pour lutter contre le cyberharcèlement. En quoi est-ce que cela consiste exactement ?

    C’est une loi qui vise à mieux condamner les violences sexistes et sexuelles. L’idée c'est de condamner ceux qui font du cyberharcèlement en meute, lors de raids numériques.

    Mais c’est déjà possible actuellement, le cyberharcèlement est punissable par la loi.

    Aujourd’hui, ce qui caractérise le harcèlement, y compris en ligne, c’est le fait qu’il y ait une répétition de messages. Quand il y a des choses coordonnées, comme ça a été le cas pour la chroniqueuse Nadia Daam, pour l'une des victimes déclarées de Tariq Ramadan, Henda Ayari, pour l'ancienne actrice de X Nikita Bellucci ou beaucoup d’autres femmes, on veut que même si vous n'avez participé qu'avec quelques messages, quelques e-mails, quelques tweets, vous puissiez être condamné.

    On veut que dès les premiers messages, chaque personne puisse être condamnée, qu’elle ne puisse pas se cacher derrière le «oui, mais moi je n’ai envoyé que quelques messages». Si vous êtes 1 000 à avoir envoyé quelques messages, c’est du cyberharcèlement. C’est une remontée qu’on a eu lors des concertations du Tour de France de l’égalité. Tous les jeunes lycéens nous ont parlé de ce problème, donc il était important d’apporter une solution.

    Concrètement, à partir de combien de messages sera constitué le délit de cyberharcèlement ?

    Le nombre restera à priori à l'appréciation du juge. Le texte de loi est en ce moment en lecture au Conseil d’État, donc on va affiner sa rédaction mais à priori l’idée c’est que les magistrats gardent une liberté d’appréciation là-dessus.

    Cela fait plus de 5 mois que l’affaire Weinstein a éclaté. De nombreuses autres affaires ont suivi à travers le monde. Mais en France, il n’y a pas de tant de révélations que ça. Comment l’expliquez-vous ?

    Cela ne signifie pas qu’en France, il n’y a pas de prédateurs sexuels. Il y en a partout. Je pense que ça signifie qu’on n'a pas vraiment encore réussi à abaisser notre seuil de tolérance face aux violences sexistes et sexuelles et qu’il reste encore du travail à faire.

    Vous pensez qu’en France, ça reste compliqué pour les victimes de prendre la parole ?

    Oui, et c’est pour cela que beaucoup de femmes se sont exprimées ensemble dans le cadre des hashtags #balancetonporc et #metoo, parce que c’est difficile de parler. Avec le ministre de l’Intérieur, nous lançons une grande plateforme de discussion pour les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, afin qu'elles puissent dialoguer en ligne avec des policières et policiers qui sont formés à les écouter et à les accompagner vers la plainte si elles le souhaitent.

    L'affaire Haziza «aurait dû être mieux gérée au sein de la chaîne»

    Aux États-Unis, de nombreux hommes ont démissionné ou ont été écartés de leur poste après des accusations de harcèlement ou d’agression sexuelle. Mais en France, dans le cas de Frédéric Haziza par exemple, c’est sa victime déclarée, Astrid de Villaines, qui a choisi de démissionner de La Chaîne parlementaire (LCP). Le présentateur, lui, a été maintenu à son poste. Quelle est votre réaction ?

    Malgré la réputation ou la caricature qu’on essaie de faire de moi, je ne réagis pas en général sur les cas particuliers. Je n’ai effectivement pas réagi publiquement sur ce cas, même si je me suis exprimée en privé, auprès de toutes les personnes auxquelles je devais m'adresser. Sur les faits, il y a eu une sanction disciplinaire envers Frédéric Haziza et il n’y a pas eu de sanction judiciaire.

    Mais ce n’est pas un bon signal qu’elle en vienne à démissionner. C’est un point de vue qui n’engage que moi, ça aurait dû être mieux géré au sein de la chaîne. Je pense que ce n’est pas un bon signal quand on n’arrive pas à créer un climat de sécurité pour cette femme en particulier et les femmes en général. C’est ça l'enjeu : qu’au sein de LCP et de toutes les autres chaînes on arrive à créer un climat de travail assez sécurisant pour les femmes, pour qu’elles ne se sentent pas mal à l’aise quand elles vont travailler.

    Est-il normal que Frédéric Haziza reste à l’antenne, selon vous ?

    Il faut s'en tenir à l’État de droit. Est-ce qu’il a été condamné en justice ? Est-ce que les faits dont on l’accuse sont établis comme une agression sexuelle ? Visiblement, la justice dit que non. [Une enquête est en cours, NDLR.]

    En février dernier, vous avez publié une tribune dans le JDD pour apporter votre soutien au ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, accusé de viol. Selon Le Canard enchaîné, c’est Emmanuel Macron et Édouard Philippe qui vont ont demandé d’écrire cette tribune. C’est vrai ?

    Oui, la théorie du complot [Elle rit]. Non, ce n’est pas le cas. Je ne pense pas que ça viendrait à l’esprit d’Édouard Philippe de m’appeler pour me demander d’écrire une tribune. J’ai une parole assez libre. Quand je ne parlais pas de Nicolas Hulot, on me disait peut être que l'Élysée avait demandé de ne pas parler. Ce n’est pas le cas. Quand j'ai écrit une tribune, on s’est dit : «Peut-être que c’est l’Élysée qui lui a demandé.» Ce n’est pas le cas non plus. Je suis majeure et vaccinée, et je prends la décision toute seule.

    Pourquoi avoir voulu apporter votre soutien à Nicolas Hulot ? Vous pensez que la victime ment ?

    J’avais besoin de prendre quelques jours pour savoir quel message je voulais envoyer et si j’avais besoin d'en envoyer un. J’ai estimé que mon message était assez complexe et subtil pour mériter une grande tribune. Pour moi, il y avait des sujets importants sur la parole des femmes dans cet article de Ebdo. Le fait qu’on parle d’un cas où la femme elle-même dit qu’elle n’a pas été victime de harcèlement sexuel [Selon l'enquête d'Ebdo, cette femme a déclaré avoir été victime de harcèlement sexuel, mais affirme que cette affaire n'a «aucun lien» avec Nicolas Hulot, NDLR.] Pourquoi en parler dans ce cas-là ? C'est une rumeur, pas une information journalistique.

    «Dans l'affaire Hulot, "L'Ebdo" n'a pas respecté la parole des femmes»


    Dans le deuxième cas, une autre femme dit : «J’ai déposé plainte pour viol.» La plainte a été classée pour prescription et pour des faits non établis selon la justice. La victime dit qu’elle ne veut plus en parler. Et on fait quand même un article. Cette dame se retrouve exposée sur les chaînes d’infos en continu. C’était ça mon sujet, dire qu’on était dans une forme de non-respect de la parole des femmes, et c’est une occasion en or pour tous les gens qui voulaient discréditer #metoo pour dire : «Vous voyez ça va trop loin.»

    Vous avez qualifié d’«abject» l'appel lancé par Anne Jouan, l'une des auteur-e-s de l'enquête, pour avoir d'autres témoignages. Pourquoi ?
    C’est ainsi que la presse arrive à écrire des articles sur des hommes comme Harvey Weinstein, parce que les témoignages se multiplient.

    J’ai été journaliste dans ma prime jeunesse. Je me souviens que si je n’avais pas deux ou trois sources recoupées, si je n’avais pas des infos fiables, mes papiers n’étaient pas publiés. Le premier article est une collection de ragots.

    Pourquoi c’est «abject» d’appeler à d’autres témoignages ?

    Parce que sinon n’importe qui peut appeler à des témoignages sur n’importe quoi. Et après on entend des choses comme : «Moi, un jour j’ai une copine qui m’a dit qu’une copine qui m’a dit qu’une copine avait été peut-être harcelé sexuellement par untel.» Si vous avez des faits, il faut porter ces faits devant la justice, ou devant des associations.

    Il y a quelque chose qui s’appelle la diffamation. C’est important de sécuriser cette parole. Le travail de la presse est crucial. Harvey Weinstein, c’est dans la presse que c'est sorti parce qu’il y a eu une enquête massive, avec des faits concordants, et c’était pas un appel à parler. Au-delà de ça, ce que j’ai trouvé abject, c’est qu'Ebdo ne respecte pas la parole des femmes. Le journaliste qui a fait l’enquête sur Harvey Weinstein, il l’a fait main dans la main avec les femmes. J’ai rencontré Asia Argento, Rose McGowan et d’autres actrices qui ont été les premières à dénoncer Weinstein, et elles ont travaillé avec les journalistes. Là, pour moi, il y a une forme de non-respect, on jette en pâture ces femmes.

    «Pardon, mais c’est qui, Lydia Guirous ?»

    Dans votre livre Laicité, point ! vous écrivez au sujet du voile que «le choix individuel de porter de tels vêtements est avancé pour les défendre – nous ne les remettons pas en question», mais que «la question c’est de savoir s’il existe véritablement une possibilité de choix individuel et éclairé».
    On a le sentiment de ne pas connaître exactement votre position sur le sujet.

    C’est celle-là ma position. On est dans une ère où on doit avoir une pensée oui-non, pour-contre, un truc qui peut tenir en 200 signes. Pourquoi moi, je serais pour ou contre le voile ? Est-ce que je dois valider le fait qu’on soit pour ou contre le voile ? Moi, ce que je défends comme politique publique et comme vision politique, c'est le choix pour les femmes de se vêtir comme elles veulent sans être discriminées. Si une femme est majeure, que c’est un vrai choix et non pas une obligation, que c’est sa religion et ses convictions personnelles qui la conduisent à porter le voile, elle a le droit de le faire et de ne pas être discriminée.

    Mais ce que je défend aussi, c’est le fait que partout dans le monde, il faut soutenir les femmes qui retirent leur voile. En ce moment-même, il y a des femmes qui sont tuées pour avoir retiré leur voile et être sorties têtes nues avec les cheveux au vent. Je crois qu’il faut faire attention au message que l’on envoie à ces femmes partout dans le monde et avant tout défendre le choix pour les femmes de se vêtir comme elles le souhaitent.

    Le 8 mars, dans une lettre ouverte, la porte-parole des Républicains, Lydia Guirous, vous a écrit : «J’aurais aimé que vous ayez le courage de dire que le voile est un instrument de soumission des femmes (...) Mais vous préférez le silence.»

    Pardon, mais c’est qui Lydia Guirous ?

    Elle est porte-parole des Républicains depuis l'élection de Laurent Wauquiez à la tête du parti. Vous ne la connaissez pas ?

    Non.

    Valérie Boyer vous a aussi interpellée sur le sujet.

    J’invite Valérie Boyer et Lydia Guirous à se rendre dans cet endroit qu’on appelle librairie, pour demander au libraire mon livre, qui s’appelle Laïcité, point !. Elles pourront lire ma vision de la laïcité et la manière dont on doit combattre l'obscurantisme. C’est dommage que Lydia Guirous m'écrive cette lettre le 8 mars, parce qu’au même moment, j’étais au ministère des Affaires étrangères où je prononçais un discours notamment contre l’obscurantisme avec Jean-Yves Le Drian, un plaidoyer pour la vision de la France dans le monde qui devait aider les femmes à retirer leur voile partout dans le monde. Je pense que ça serait intéressant qu’elles se renseignent avant de me reprocher de ne pas parler d’un sujet.

    Donc vous pensez qu’on peut être féministe et porter le voile ?

    J’ai toujours dit que je ne suis pas la détentrice des tampons AOC du féminisme. Donc, si telle ou telle personne décide qu’elle est féministe…

    Justement, vous avez déclaré début mars dans une interview à L’Obs : «C’est pas moi qui donne les diplômes et les brevets de féminisme». Or dans la préface de votre livre La Culture du viol, Raphaël Enthoven qualifie Caroline De Haas et l’association Lallab comme étant de «fausses féministes». Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?

    Aux dernières nouvelles, je ne suis pas Raphaël Enthoven. Je lui ai demandé de faire la préface de mon livre et je l’assume complètement. Je trouve que Raphaël Enthoven est un philosophe brillant, qui a réussi à démocratiser et à partager l’amour de la philosophie, l’allure de la réflexion et de la nuance.

    L’idée c’était d’avoir une préface contradictoire avec quelqu’un qui donne sa propre version de la culture du viol. J’ai trouvé ça intéressant quand j’ai entendu Raphaël Enthoven parler de la culture du viol sur Europe 1. Je me suis dit, voilà quelqu'un qui a une autre approche que moi de la culture du viol. Il dit des choses que je ne dis pas dans le livre, je pense que c’est intéressant de l’avoir en préface pour élargir le sujet. Après, à chaque lecteur de se faire son opinion.

    Vous pensez que Lallab et Caroline de Haas sont de fausses féministes ?

    Je viens de vous répondre…

    Caroline De Haas a expliqué qu’elle avait dû quitter Twitter après une vague de cyberharcèlement. Quelques jours plus tard, Dominique Besnehard a expliqué sur un plateau télé qu’il avait envie de la gifler …

    [Le conseiller de la secrétaire d'État nous coupe et nous demande de nous en tenir aux thèmes qu'on avait prévu d'aborder au moment de la préparation de l'interview. Puis c'est Marlène Schiappa qui se lève à son tour pour se plaindre de nos questions, NDLR.]

    Darmanin, Hulot, Caroline de Haas, Lallab, le voile, je crois qu’on est bons… On est d’accord pour répondre à certaines questions sérieuses sur les politiques publiques pas pour faire le commentaire des tweets de Lydia Guirous, Valérie Boyer, ou Caroline de Haas qui quitte Twitter. On est là aussi pour porter des politiques publiques.

    Les États généraux de la bioéthique sont lancés depuis janvier, avec à terme une révision de la loi bioéthique. Il y a un engagement de campagne du président de la République d’ouvrir la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires. L'ancien président de la République François Hollande n'a pas tenu sa promesse.
    Vous pensez vraiment qu’Emmanuel Macron va la tenir ?

    Il y avait deux engagements de la part d’Emmanuel Macron. Un engagement de fond : proposer d’ouvrir la PMA à toutes les femmes. Et un engagement de forme : ne pas en faire un sujet de discorde dans la société, ne pas cliver. C’est ce qu’il est en train de faire en organisant des consultations citoyennes partout en France. La ministre de la Santé présentera à l’automne les révisions de la loi bioéthique, et nous verrons ce qu’il en ressort.

    Vous ne pensez pas que le gouvernement peut prendre peur devant les résistances de certains ?

    Je ne pense pas que ce qui nous caractérise, c’est d’être gouverné par la peur.

    Les standards des numéros d’appel pour les femmes victimes de violences explosent. L’AVFT, l'Association contre les violences faites aux femmes au travail, a été contrainte de fermer sa ligne téléphonique. Est-ce que vous allez l'aider, ainsi que d’autres associations qui recueillent la parole des femmes ?

    Pendant trop longtemps, l’État a été un peu suiviste et n’a pas impulsé des politiques publiques. Je crois vraiment que l’Etat doit redevenir moteur. J’ai installé un groupe avec des personnalités qualifiées qui sont chargées d’examiner les finances, les subventions, de regarder précisément quel euro part à quelle association, pour quel résultat, afin de voir comment on finance quelle association qui répond à quelle politique publique. Donc certaines associations vont voir leur budget augmenter. On va créer des appels à projet et orienter ça de manière à ce que ce soit le plus efficace possible in fine pour les femmes.

    Est-ce que l’AVFT va avoir plus de budget ?

    Je ne peux pas vous dire ce qu'il en sera, maintenant. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a ce groupe de travail et on va voir ce qu’il propose. Il y a aussi un certain nombre de missions qui étaient faites par les associations, que l'État va reprendre en main, par exemple l’accompagnement des femmes victimes de violence vers la plainte. Gérard Collomb a annoncé la création d’une grande plateforme d'écoute et de dialogue avec des policières et policiers formés qui pourront accompagner ces femmes vers la plainte. C’est important parce qu’il y a eu une augmentation de 34 % des plaintes à la fin de l'année 2017. On ne peut pas être passif et attendre que les standards des associations soient débordés.