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    «Madame cuisine, monsieur bricole»: les annonces clichées des employés de maison

    BuzzFeed a parcouru les annonces de recrutement d'employés de maison. Où l'on découvre de nombreuses offres discriminantes.

    Une offre d'emploi pour un couple de gardiens, publiée par Century 21 le 2 mars, a été retirée face aux critiques. Cette annonce discriminante proposait en effet à la femme un salaire inférieur de 200 euros à celui de son mari.

    Dites @CENTURY21, on peut savoir ce qui justifie cet écart de salaire entre l'homme et la femme ? Merci, bisous.

    En précisant que le couple doit être constitué d'un homme et d'une femme, elle induit également qu'un couple homo ne pourrait pas postuler.

    Après cette polémique, nous nous sommes penchés sur d'autres annonces de recrutement de personnel de maison. Où l'on s'aperçoit vite que l'offre de Century 21 est loin d'être un cas isolé.

    Parmi les annonces pour les couples de gardiens que l'on peut trouver sur indeed.fr, beaucoup sont uniquement destinées aux couples hétérosexuels.

    Les tâches que le couple devra effectuer sont très souvent classées selon le sexe: il y a celles que devra faire la femme, et celles que devra faire l'homme.

    «Monsieur doit être bon bricoleur», alors que madame doit s'occuper de «l'entretien complet de l'intérieur» et savoir cuisiner.

    Variante: monsieur doit être «chauffeur», madame «cuisinière» et «gouvernante».

    Quand l'emploi concerne une personne seule, il est souvent précisé s'il doit s'agir d'un homme ou d'une femme. Par exemple, cette offre pour un poste d'employé de maison stipule qu'il doit s'agir d'un «monsieur».

    Le problème, c'est que toutes ces formulations sont discriminatoires, juge Emmanuelle Boussard-Verrecchia, une avocate spécialisée en droit du travail avec une qualification spécifique en discriminations.

    Interrogée par BuzzFeed, elle explique:

    «L'attribution sexuée des tâches me paraît contestable. La loi n'autorise pas à sexuer des tâches, hormis certains cas très spécifiques où le sexe est déterminant, comme dans le cas des mannequins. S'il n'est pas déterminant, il n'est pas possible de sexuer. En l'occurrence, il n'est pas nécessaire d'être une femme pour faire la cuisine ou d'être un homme pour conduire une voiture.

    Par ailleurs, en attachant une tâche à un sexe, on exclut automatiquement les couples homosexuels d'un emploi et je ne vois pas comment l'employeur pourrait le justifier.»

    L’article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination en fonction du sexe et de l'orientation ou identité sexuelle.

    Dans cette fiche pratique, le défenseur des droits rappelle qu'on ne peut pas faire figurer dans les offres d’emploi des références liées, entre autres, au sexe et à l’orientation sexuelle. Il existe seulement trois exceptions pour le critère du sexe.

    Monique Lambert, qui dirige une agence de recrutement de personnel de maison, a publié plusieurs de ces annonces genrées. Interrogée par BuzzFeed France, elle ne semble pas vraiment consciente du problème. Elle déclare:

    «Si on s'occupe des lois, on ne fait plus rien.»

    Monique Lambert nie tout sexisme, et se justifie en expliquant que certains emplois nécessitent «de la force et un vrai travail d'homme». Elle dit avoir déjà recruté un couple d'hommes, «mais c'est plus compliqué pour les couples de femmes car il faut parfois de la force».

    Pour justifier la formulation des annonces, elle met en avant les demandes de ses clients:

    «Les employeurs me demandent de rédiger ainsi les textes. On est tributaires de leurs demandes.»

    Même son de cloche du côté de l'agence Morgan & Mallet, qui a également publié plusieurs annonces qui spécifient le rôle de l'homme et de la femme. «Ce sont les clients qui font cette demande» avance Morgan Richez, qui dirige l'agence française.

    «C'est discriminant, je suis d'accord. C'est un peu machiste. Mais c'est la réalité du terrain. Il y a la loi et le terrain, et les deux sont contradictoires. En tant que prestataire de service, on doit répondre à la demande de nos clients.»

    Le gérant explique pourtant refuser deux choses: les discriminations en fonction «de la race et de l'origine sociale. Là on est fermes et définitifs, on n'accepte pas ce genre de demandes.»

    Alors, pourquoi ne pas agir de la même manière en ce qui concerne les discriminations basées sur le genre ou l'orientation sexuelle?

    «Ça nous paraît moins discriminant. Et puis si on doit respecter la loi à la lettre, il y a un moment où ça devient ridicule, on ne va pas publier des annonces qui font trois pages pour inclure tous les cas possibles.»

    Il est pourtant possible de rédiger une annonce brève, en employant tout simplement des termes neutres. Certains employeurs le font, comme dans cet exemple.

    Mais Morgan Richez dit préférer être «honnête avec les candidats». «Si je sais que l'employeur ne voudra pas les embaucher, autant leur dire tout de suite, même si je prends un risque juridique, plutôt que de leur faire perdre du temps.»