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    Cette bande d'amis veut qu'on ose enfin dessiner le sexe féminin

    «Pourquoi les gens gribouillent tout le temps des bites, mais pas des chattes?»


    «On voit des bites dessinées partout sur les murs, mais jamais des chattes». C’est ce constat qui a donné envie à AnGi, Auriane, Fabien et Olivier de lancer le projet Vagina Guerilla. À l’été 2015, ces quatre collègues d’une boîte parisienne spécialisée dans le web ont créé un symbole pour représenter le sexe féminin, relayé sur des comptes Facebook et Instagram. Ils ont également lancé une boutique en ligne, sur laquelle il est possible d’acheter des tote bags, des stickers et bientôt des badges arborant fièrement le symbole.

    Dans un court manifeste, ils expliquent: «Dessiner un zizi sur un mur ou un bout de papier est un geste quasiment inné chez tout un chacun. Pourquoi la représentation du sexe féminin n'aurait-elle pas droit de cité, elle aussi, sur nos murs?».

    Leur Vagina Guerilla sera donc «une tentative d'inception dans la société d'un signe universel de la vulve.» Les réseaux sociaux permettent de propager le visuel sur le web, les tote bags de le diffuser dans la rue, les stickers peuvent se coller un peu partout, sur sa coque de portable ou dans les toilettes des bars.

    «Dessine-moi un vagin»


    L’idée du mouvement a germé lors d’une soirée arrosée, en janvier 2015, «où tout le monde s’est mis à dessiner des bites» se souvient Auriane. «On s’est demandé pourquoi les gens gribouillent tout le temps des bites, mais pas des chattes». La fête s’est donc transformée en atelier «dessine-moi un vagin». «Certains trouvaient ça sale et étaient gênés, alors qu’ils ne l’étaient pas pour dessiner un pénis» remarque AnGi.

    «Ce déséquilibre dans les représentations graphiques en dit long sur la vision des hommes et des femmes dans notre société.»

    L’anecdote les fait réfléchir. «On voyait que c’était un peu tabou et qu’il y avait un vrai déséquilibre sur la manière de représenter les sexes», décrit Fabien. «Pour la bite, il y a une représentation communément admise, comme une sorte de symbole. Ce déséquilibre dans les représentations graphiques en dit long sur la vision des hommes et des femmes dans notre société. On s'est dit qu’on allait essayer de lancer un mouvement à notre petit niveau, pour rééquilibrer les forces.»

    Dans les semaines suivantes, la bande propose régulièrement à des proches ou à des inconnus dans des bars de dessiner des vulves, pour voir la façon dont les gens les représentent.

    «On a eu tous les styles, beaucoup de petits triangles, des croquis très SVT avec les ovaires, mais aussi des trous noirs, sans le clitoris...» se rappelle Auriane. Puis c’est AnGi, la graphiste du groupe, qui est chargée de créer le symbole.

    L'idée était de garder un dessin ni trop simpliste, ni trop réaliste, pour avoir un vrai pendant aux représentations de pénis qu'on voit un peu partout sur les murs. Un dessin qui soit aussi facile à reconnaître et dessiner que l'ovale accompagné de deux boules, mais aussi réaliste sur le plan anatomique. La forme du triangle, «trop simple et trop pudique», n’a donc pas été retenue.

    La diversité des sexes féminins

    «Pour s’inspirer, on a regardé ce que faisaient les artistes qui représentaient des sexes féminins» raconte AnGi. «Au final, on s’est dit qu’il fallait voir: des lèvres, un clito et des poils. Pour la couleur, on ne voulait pas une couleur “chair”, car tout le monde n’a pas la même carnation, donc nous avons choisi un rose pas réaliste, et un trait bleu, couleur des garçons, pour jouer avec les clichés.»

    Lors de leurs nombreux débats sur le projet, AnGi, Auriane, Fabien et Olivier identifient plusieurs écueils potentiels. À commencer par l’aspect forcément réducteur d’un dessin unique pour représenter une multitude de sexes, tous différents les uns des autres. «C’est un problème que l’on a cerné tout de suite, mais c’est inhérent au symbole, on ne pouvait pas faire autrement» justifie Auriane.

    Pour rendre compte de la diversité des sexes féminins, AnGi a préparé un autre visuel, par encore publié, avec six vulves différentes. Il s’agit à chaque fois du symbole, mais dessiné de manière différente: un peu plus large, un peu plus asymétrique, avec un trait plus gros… «Comme quand on dessine une bite, on ne les fait jamais toutes pareilles» décrit-elle.

    Le nom du projet a également fait débat. «J’ai plaidé pour qu’on utilise le mot “vagin”, bien qu’il s’agisse anatomiquement d’une vulve» admet Fabien. «Mais quand tu parles de vulve à des mecs, ils ne savent pas forcément ce que c’est. On voulait être accessibles. Là, avec vagin, il y a un côté “dans ta face”, tu sais tout de suite de quoi ça parle.»

    «Si tu ne sais pas comment parler féminisme avec tes potes, fais leur dessiner des chattes.» 

    Les collègues font imprimer les sacs en petite quantité, 20 par 20, qu’ils écoulent progressivement. Ils promettent qu’il n’y a pas de profit personnel sur la vente: tous les bénéfices sont réinvestis dans l’achat de nouveaux sacs et de stickers. Ils envisagent de lancer une association, dont ils sont en train d’écrire les statuts.

    Une porte d'entrée

    Depuis le lancement de la «guerilla», l’été dernier, les retours ont été «très positifs». «Les gens collent les stickers dans les bars et nous envoient les photos» rapporte AnGi. «Quelqu’un en a collé à New York, un copain en a mis au Mexique… On a aussi reçu la photo d’un sticker collé sur le déambulateur d’une femme de 84 ans

    La jeune femme note que, dans les échanges sur le sujet avec leurs proches ou des inconnus, «les discussions qui suivent sont toujours très intéressantes. Le dessin est comme une porte d’entrée pour parler de choses plus profondes.»

    Le petit groupe plébiscite donc le dessin de vulve pour lancer la discussion sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Fabien résume: «Si tu ne sais pas comment parler féminisme avec tes potes, fais leur dessiner des chattes.»