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«Je ne m’attendais pas à autant de sexisme dans les assos LGBT»

Dans la foulée des débats sur le mariage pour tous, de nombreuses femmes homos ou bi ont voulu s’investir dans le mouvement LGBT, accusé d’être dominé par les hommes gays. Mais cinq après, le bilan de certaines militantes est amer.

Une image qui choque. Des hommes, et uniquement des hommes, sur les plateaux télé, en train de débattre de la PMA, sans les premières concernées. Cette configuration s’est répétée à de nombreuses reprises pendant la période du débat sur le mariage pour tous, en 2012. «Ça a été un électrochoc pour de nombreuses militantes», décrit Amandine Miguel, ancienne porte-parole de l’Inter-LGBT. À l’époque, les journalistes contactent les représentants des grosses associations LGBT ou les militants les plus connus… qui sont très souvent des hommes.

«On voyait quasi-uniquement des gays comme représentants de la communauté LGBT, continue la militante lesbienne. C’était problématique que le sujet de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes soit avant tout défendu par des hommes. À ce moment-là, il y a eu une réelle prise de conscience que la confiscation de la parole des LGBT par les gays ne pouvait plus durer.»

Les femmes, homos ou bi, sont peu nombreuses à s'investir dans les collectifs qui se veulent «LGBT» (pour «lesbiennes, gays, bi et trans»). Comme les personnes trans. La grosse majorité des adhérents sont généralement des hommes gays. En révélant ce manque, les débats de 2012 ont eu un réel impact sur le militantisme des femmes queer. De nombreuses jeunes femmes qui n’avaient jamais mis un pied dans une asso se sont mises à militer, pour défendre leur voix. Le collectif Oui Oui Oui, très majoritairement composé de lesbiennes, se monte pour peser dans la discussion. Les «Gouines comme un camion» (qui géraient alors un char pour la marche des fiertés de Paris) et le collectif habituellement festif Barbi(e)turix se mettent à appeler à des rassemblements pour la PMA.

«Une génération de femmes qui voulait sa place»

À l'automne 2014, plusieurs associations de femmes (Barbi(e)turix, Gouine comme un camion, Cineffable et FièrEs) demandent à rejoindre l’Inter-LGBT, vu comme le principal interlocuteur du gouvernement. Avec l’idée que, si les lesbiennes et les bi veulent que leurs revendications soient portées avec force, elles doivent investir les lieux de pouvoir.

«Tout d’un coup, il y a eu une génération de femmes qui voulait vraiment sa place dans un mouvement mixte», se rappelle Gwen Fauchois, militante et blogueuse lesbienne, qui a lancé avec d'autres la Pride de nuit. «Ça a été un grand espoir, que ça fasse nombre et que les choses changent.»

Mais tout ne se passe pas exactement comme espéré pour certaines de ces militantes. La confrontation avec des milieux majoritairement masculins est parfois conflictuelle. Sophie M. (qui préfère que l’on ne donne pas son nom, pour se protéger à son travail) fait partie des jeunes femmes qui se sont engagées post-débat. «Après toute la violence qu’on s’était prise dans la tronche, j’avais vraiment envie de militer», se souvient-elle.

«Certains ont l’impression qu’ils ne peuvent pas être sexistes parce qu’ils sont gays»

Elle intègre la commission lesbophobie de SOS homophobie en 2013. Mais rapidement des tensions apparaissent. La commission veut monter un atelier d’autodéfense en non-mixité, uniquement pour les femmes et les personnes trans. À SOS, plusieurs militants, des hommes mais aussi quelques femmes, tiquent et les débats sont âpres. «À titre personnel, je pense qu’il faudrait ouvrir cet atelier aux hommes gays et bi parce qu’ils sont tout aussi victimes du patriarcat», commente aujourd’hui Joël Deumier, président de SOS homophobie. «Je ne suis pas très favorable au fait d’introduire des distinctions», plaide-t-il.

Mais Sophie ne comprend pas cette frilosité vis-à-vis d’une pratique courante dans le mouvement féministe.

«Ils ne se rendaient pas du tout compte de l’importance que la non-mixité pouvait avoir pour nous, regrette Sophie. On voulait aussi inscrire dans nos statuts le fait que l’association était féministe. C’est finalement passé mais ça a été très compliqué, pour certains c’était impossible à comprendre. Ils ne réalisaient pas que la lesbophobie est aussi une violence sexiste et qu’il est donc important pour nous de lutter contre ça.»

Selon elle, progressivement, la commission lesbophobie a été vue comme «le groupe un peu radical et chiant de l’asso. Ces débats-là nous ont vraiment usés. Pour moi, c’est le moment qui a marqué le début de la fin de mon engagement là-bas.» Sophie démissionne du CA en 2015, puis quitte définitivement SOS fin 2016.

Autre exemple de déconvenues: à l'intérieur de l’Inter-LGBT aussi des militantes ont affronté leurs camarades gays sur la question du sexisme. «Il y a une volonté d'apparaître comme non sexiste mais il n’y a pas du tout de remise en question en interne», juge Vanessa de Castro, porte-parole de FièrEs, une association féministe, lesbienne, bi et trans, qui a intégré l’interassociative début 2015. Elle est très remontée contre les débats qu’il y a pu avoir en interne.

«Certains ont l’impression qu’ils ne peuvent pas être sexistes parce qu’ils sont gays. Mais quand on prenait la parole, on voyait certains lever les yeux au ciel, d’autres n'écoutaient pas et pouffaient dans leur coin. Il y avait l’idée: “Ce sont les féministes folles hystériques donc ce n’est pas important.” Je ne m’attendais pas à autant de sexisme, je me suis pris ça en pleine face.»

La discussion s’envenime quand, sur la liste de diffusion par mail de l’Inter, des hommes, présents lors de la manifestation du 8 mars pour les droits des femmes, font part de leur incompréhension vis-à-vis de slogans menaçant les violeurs de «coups de cutter».

«Des hommes se sont plaints sur la liste et ça a ouvert les vannes à des pavés sur ce que devaient faire les femmes ou non, regrette Vanessa de Castro. Tout le monde avait son avis sur ce que devaient faire les féministes. Mais ce n’est pas aux hommes d’expliquer aux femmes comment elles doivent gérer leur oppression. C’est la base de toute lutte: si tu veux être allié-e, tu écoutes.»

Après plusieurs accrochages sur des actions menées par l’Inter, FièrEs décide de quitter l’interassociative, en mai 2015. «Nous ne voulons pas, alors que nous ne sommes pas écoutées, et régulièrement mises à l’écart, continuer à servir de caution féministe à l’Inter-LGBT en en restant membre», explique le collectif féministe dans une longue lettre. Elles ne sont pas les seules associations lesbiennes à être parties. «On nous reprochait souvent notre non-mixité, les paroles par mails pouvaient être sexistes et agressives... On ne se sentait pas à notre place», avance Chrystèle Marie, de Cineffable, asso qui a quitté l'Inter à peu près à la même période. Stéphanie Fichard, de Gouine comme un camion, évoque des déceptions liées à la place des femmes au sein de l'Inter ainsi que, plus généralement, à l'échec des combats menés sur la PMA, qui ont abouti à la mise en sommeil du collectif.

«Les listes mail ne sont pas le lieu approprié pour faire des débats, commente aujourd’hui Clémence Zamora-Cruz, la porte-parole de l’Inter-LGBT. C’est un système qui favorise le conflit. Je comprends qu’à un moment donné on puisse se sentir découragée parce qu’il y a des personnes qui tiennent des propos sexistes ou transphobes. Depuis, nous avons mis le holà sur les débats sur la liste, en expliquant que les discussions devaient se faire en face à face, lors des réunions, pour pouvoir s’expliquer et désamorcer les conflits. En tant que personne concernées, on doit aussi comprendre que les gens peuvent parfois être très maladroits et qu’il faut faire de la pédagogie. Même si ce n’est pas toujours évident à faire.»

«Les femmes pouvaient s’y sentir moins à l’aise»

Mais les doléances des femmes ne sont pas limitées à une ou deux structures spécifiques. Selon la dizaine de militantes que nous avons interrogées, ces problèmes se retrouvent dans l’ensemble du tissu associatif LGBT. Si certaines militantes sont moins dures dans leur constat que FièrEs, toutes évoquent les difficultés de travailler dans des assos très majoritairement masculines. Et si ces plaintes ont été évoquées avec force ces dernières années par des militantes déçues, elles ne sont pas nouvelles.

«C’est vrai qu’il y a une dimension de sociabilité masculine à HES (Homosexualités Et Socialisme, ndlr)», concède Gilles Bon-Maury, qui fut président de 2007 à 2012 de ce collectif LGBT proche du PS. «Je pense que pas mal de militants venaient à HES pour se faire une soirée entre gays et peut être que les femmes pouvaient s’y sentir moins à l’aise.»

Peu nombreuses dans ces structures mixtes, les militantes ont parfois du mal à être réellement prises en compte en interne. «Il est arrivé que je dise quelque chose qui n’était pas entendu, raconte Flora Bolter, présidente du Centre LGBT Paris-île-de-France. Et quand mon co-président de l’époque disait la même chose, tout d’un coup c’était entendu.»

«Ça m’est déjà arrivé qu’on me dise qu’il fallait "avoir des couilles"»

Socialisés différemment depuis l’enfance, les hommes et les femmes prennent la parole de manières différentes, et leurs paroles ne sont pas écoutées de la même façon. Et cela joue fréquemment contre les femmes. «Souvent les femmes ne perdaient pas leur temps à répéter des trucs déjà dits, elles allaient droit au but et ce souci d’efficacité finissait par leur nuire», se souvient Gwen Fauchois, qui a milité à Act Up dans les années 90. «On avait tendance à se dire qu’un mec qui parlait souvent et longtemps disait forcément quelque chose de bien. Alors qu’il y avait peut-être une nana qui avait dit exactement la même chose mais en 30 secondes.»

Résultat: quand il s’agit d’élire un-e président-e ou porte-parole, ce sont plus souvent des hommes qui vont être vus comme le candidat providentiel. «Ça m’est déjà arrivé qu’on me dise qu’il fallait une personne "à poigne", qu’il fallait "avoir des couilles"», se souvient aussi Flora Bolter. De l’avis de la plupart des militantes interrogées, les femmes elles-mêmes se sentent souvent moins légitimes pour candidater, alors que les hommes hésitent moins à se présenter.

Des conséquences politiques

C’est le cercle vicieux: numériquement trop faibles, les femmes n’arrivent pas à renverser les rapports de force. Épuisées, certaines finissent par quitter leurs structures, diminuant encore le nombre de militantes. Et leurs mésaventures ne donnent pas envie à d’autres de les remplacer.

«Au final, c’est une perte d’énergie car on doit à la fois combattre les inégalités dans la société mais aussi au sein de notre propre milieu», résume Amandine Miguel, arrivée en 2012 à l'Inter-LGBT et qui, après avoir été déléguée en charge de la visibilité lesbienne et porte-parole, a choisi de ne pas se représenter en septembre dernier.

Si la question de la place des femmes au sein des associations LGBT est si capitale pour beaucoup de militantes, c’est qu’elle a, selon elles, des conséquences politiques. Avec, en filigrane, cette question: ces structures peuvent-elles se revendiquer comme porteuses de la parole des LGBT, si elles sont avant tout majoritairement gay?

«C’est évident qu’il y a eu un impact politique», estime Alix Béranger, militante passée par Oui Oui Oui, aujourd’hui en sommeil, cofondatrice et présidente de la Lig, un fond de dotation lesbien.

«Je considère qu’une partie des gays est responsable de l'invisibilisation de la PMA, poursuit-elle. Les responsables LGBT auraient dû systématiquement inviter des femmes autour de la table. L’absence de visibilité nous a nui. Lors des débats télé, je pense que les “antis” auraient été gênés aux entournures.

C’est moins facile de dire que les lesbiennes ne sont pas des mères comme les autres quand il y en a une en face de vous qui peut directement vous répondre: “Vous êtes en train de remettre en cause ce que j’ai vécu moi?” Je pense qu’il y aurait eu beaucoup d’arguments puissants qui auraient fait mouche pour le grand public, qui auraient permis de montrer qu’on est déjà des mères.»

«Une seule et même cause»

On aurait pourtant pu croire le milieu LGBT moins sexiste que le reste de la société. Homophobie et sexisme ne sont-ils pas liés, quand les hommes gays sont raillés et présentés comme des sous-hommes, efféminés, qui s’abaissent à un statut de femmes? «Mouvements féministes et mouvements homosexuels ne sont pas parallèles ou convergents, c’est une seule et même cause», résument Louis-George Tin et Carine Favier, à l’époque respectivement président du comité Idaho et présidente du Planning familial, dans une tribune pour Libération.

Lutter contre l’homophobie, ce serait donc évidemment lutter contre le sexisme. Mais la réalité est un peu plus compliquée que ça... «On retrouve du sexisme chez les LGBT comme dans le reste de la société», analyse Flora Bolter. «Il y a des gays pour qui il est important de se distancier de cette association entre les gays et les femmes. J’ai pu avoir des conversations assez épiques avec des amis qui me disaient: "Je suis gay, mais je suis un homme, un vrai." Ce n’est pas parce qu’on déconstruit les représentations liées à l’orientation sexuelle qu’on déconstruit forcément le sexisme et la subordination homme-femme.»

Ces engueulades entre gays et lesbiennes ne datent pas d’hier. Dans les années 70, c’est à un groupe de lesbiennes féministes, rejointes par quelques gays, que l’on doit la création du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR), structure emblématique de la libération homosexuelle. Mais très vite, la bonne entente entre les gays et les lesbiennes tourne court. Les hommes sont de plus en plus nombreux à se rendre aux réunions, notamment pour draguer, et, déjà à l’époque, les femmes se plaignent de voir les préoccupations féministes passer au second rang.

 «Plus on est nombreux, plus on est forts»

Elles finissent par quitter le navire pour constituer un groupe exclusivement féminin, les gouines rouges. Des années 70 à nos jours, pendant que les hommes se concentrent sur la libération gay, les lesbiennes vont largement s’investir dans les mouvements féministes, aux côtés des hétérosexuelles. Dans les années 80, quand la mobilisation contre le sida commence, si quelques lesbiennes se mobilisent, ce sont naturellement les gays qui rejoignent massivement les associations communautaires.

Aujourd’hui, comme les Gouines rouges en leur temps, une partie des militantes lesbiennes plébiscitent le fait de militer dans des structures uniquement féminines. «Tu découvres le plaisir de pouvoir discuter de choses de fond et de ne pas te prendre la tête à réexpliquer le b.a.-ba ou tout simplement la légitimité de ce que tu es en train de dire», défend Vanessa de Castro, de FièrEs.

Mais d’autres militantes ne renoncent pas à intégrer les structures dites «LGBT»: «Je pense que toutes nos luttes sont liées et qu’on peut tous s’entraider, expose Florine Godet, référente de la commission lesbophobie à SOS homophobie. Plus on est nombreux, plus on est forts.»

«C’est dans les grandes assos que l’on peut avoir plus de grosses victoires, avance de son côté Aminata Coulibaly-M'Bengue, déléguée en charge de la visibilité lesbienne à l’Inter-LGBT. Mais je pense qu’il faut des deux: les assos non mixtes ont tendance à réveiller les assos mixtes, à les pousser à se remettre en cause, à se poser plus de questions.»

«Les évolutions sont lentes mais elles sont là»

Critiquées de l’extérieur par les assos non mixtes, secouées en interne par des militantes lesbiennes et bi, les structures LGBT évoluent tant bien que mal. Même si elle convient qu’il reste beaucoup de choses à faire sur le sexisme à l’Inter-LGBT, sa porte-parole, Clémence Zamora-Cruz, se défend: «On entend souvent dire que l’Inter est une structure des blancs, bobo, gay et cis. Mais ce n’est pas le cas: aujourd'hui notre présidente est lesbienne, et je suis une porte-parole femme, trans et racisée.»

Après un mot d’ordre consacré aux droits des trans pour la marche des fiertés l’année dernière, l’Inter-LGBT a choisi cette année: «PMA sans conditions, sans restrictions, c'est maintenant.» Joël Deumier met lui en avant qu’il est désormais écrit dans les statuts de SOS homophobie que l’association est «féministe». «Les évolutions sont lentes mais elles sont là», estime Flora Bolter.

«Il faut vraiment faire l'effort d’aller chercher les femmes»

Quand on demande aux militantes lesbiennes que nous avons interrogées ce qui pourrait être mis en place pour améliorer la situation, elles citent de nombreux exemples de bonnes pratiques (dont certaines sont parfois déjà mises en place dans certaines assos et ont porté leurs fruits). Comme par exemple: inscrire la parité dans les statuts pour les porte-parole, le bureau et le conseil d’administration, communiquer clairement en direction des femmes lesbiennes et bi, condamner les remarques sexistes, réserver certaines activités aux femmes pour leur donner envie de venir, évoquer les questions de sexisme et la place des femmes dans le mouvement LGBT dans les formations données aux nouveaux adhérents, ou encore, lors des réunions, donner la parole en priorité aux minorités dans la minorité: les lesbiennes, les bi et les trans.

«Il faut vraiment faire l'effort d’aller chercher les femmes», résume Florine Gaudet, de SOS homophobie. Elle évoque la possibilité d’un colloque où se retrouveraient toutes les militantes lesbiennes et bi «pour confronter nos avis et nos expériences, et essayer de trouver des solutions entre nous». Coïncidence, Alix Béranger a eu la même idée de son côté: «Il faudrait organiser une réflexion entre militantes, pour faire le point entre nous, propose la cofondatrice de la Lig. On pourrait en tirer une charte à faire signer aux associations, ou un kit qu’on pourrait télécharger dès qu’on crée une structure et qui expliquerait les bonnes pratiques, et qui pourrait dépasser la question femme-homme». Une grande AG des militantes? «Oui, ce serait bien.» Aux grands maux, les grands remèdes.