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    Méfiance et discrétion à l'université d’été de La Manif pour tous

    Sur les deux jours de l'événement, un seul était accessible aux journalistes, entourés de très très près par la com' et la sécurité de La Manif pour tous.

    Ce dimanche matin, quand elle accueille les militants pour ce second jour de l’université d’été de La Manif pour tous, à Étiolles en banlieue parisienne, Ludovine de La Rochère remercie chaleureusement les médias dans la salle: «Merci à tous les journalistes, qui sont ici nombreux.»

    Et pourtant, si La Manif pour tous admet volontiers avoir besoin des médias, elle n’oublie pas de verrouiller sa com', visiblement craintive de voir les journalistes déambuler dans les couloirs tout le long du week-end.

    Sur deux jours d’université, les 16 et les 17 septembre, les médias n’ont été autorisés à venir que le dimanche. BuzzFeed News, souhaitant couvrir l’intégralité de l’université, avait acheté deux places pour pouvoir assister à la journée du samedi. Mais au lendemain de notre inscription, nous recevons un coup de fil de la chargée de communication, qui nous explique que les journalistes ne seraient pas acceptés le samedi –même s’ils se sont inscrits. Raison invoquée: «Nous allons travailler pour préparer la manifestation du 16 octobre, notamment sur les slogans, donc les journalistes ne peuvent pas être présents.»

    Sera-t-il alors possible d’assister uniquement aux plénières? La chargée de communication explique qu'elles ont été annulées. «On a changé le programme. L’université d’été sera dimanche. Samedi, on sera sur place en train de travailler mais ce ne sera pas l'université d’été.» Elle nous dit que si nous venons quand même, il sera peut-être possible d’interviewer Ludovine de La Rochère, mais pas d'assister aux ateliers de travail.

    Le samedi 16, quand nous arrivons sur place, Ludovine de La Rochère n’est finalement pas disponible. Nous demandons à la chargée de communication de pouvoir assister à la plénière sur «l’état des lieux du système scolaire français», mais elle nous redit qu’«elle n’est pas maintenue». Nous apprendrons plus tard qu’en réalité, les plénières ont eu lieu, sans journalistes pour les couvrir. D'autant plus étrange que plusieurs d'entre elles ont été diffusées sur Facebook. Pour pouvoir rentrer, il faudra revenir le lendemain.

    Des interviews sous surveillance

    Dimanche matin, donc, les journalistes arrivent à partir de 9h15, heure d'accueil. BuzzFeed News, mais aussi Le Monde, LCI, Radio France, C dans l’air... À 10 heures, quand le premier atelier débute, les médias n’ont toujours pas pu récupérer leur badge pour accéder au lieu où se déroule l’université.

    Ceux qui se rapprochent du chapiteau où ont lieu les conférences sont rattrapés par des agents de sécurité, qui les ramènent à l'accueil parce qu'ils n'ont pas de badge.

    Les personnes chargées de l’accueil expliquent que, là encore, et contrairement à ce qui est indiqué dans le programme, il s’agit de préparer la manifestation et que les médias ne peuvent donc pas y avoir accès. Il faudra attendre 11 heures.

    Plusieurs journalistes insistent. La rédactrice d’un quotidien s’inquiète de commencer à travailler aussi tard et craint de ne pas pouvoir rendre son article à temps. Quand les badges presse sont enfin distribués aux journalistes, il est 11h15 et c’est déjà... l’heure de la pause.

    Tout au long de la journée, si nous avons pu parler à des militants, les moments où nous avons pu les aborder ont été peu nombreux –et parfois sous surveillance. À plusieurs reprises, alors que nous interviewons un sympathisant du mouvement, des membres de la sécurité se placent ostensiblement à quelques centimètres de nous afin d’entendre la conversation. Pour écouter les questions que nous posions ou les réponses des interviewés? À d'autres moments, des militants à qui nous posons des questions sont éloignés, par la sécurité ou le service presse, parce qu'il est «l'heure de manger» ou de «reprendre les conférences».

    Arrivée l’heure du déjeuner, le service de sécurité nous interdit l’accès à la salle où les militants mangent, pour nous conduire vers une salle adjacente et nous proposer de déjeuner avec Ludovine de La Rochère, à la tête du mouvement. La Manif pour tous aurait-elle peur de ses propres militants? Pourquoi une communication si verrouillée?

    La chargée de communication Héloïse Pamart affirme n'avoir rien à cacher, et insiste même sur l'ouverture d'esprit du mouvement: «Si vraiment on avait pas envie que vous soyez là, on aurait appelé Yann et il vous aurait foutues dehors», nous dit-elle en blaguant. Yvan, adjoint du réseau, nous assure qu'«il n’y a eu aucune consigne» concernant la presse.

    Quant à Ludovine de La Rochère, lorsqu'on lui demande si elle se méfie des médias, elle nous répond en souriant: «Des médias, non, de BuzzFeed, oui.» La Manif pour tous est-elle maltraitée par la presse?

    «Non ça dépend des médias, ça dépend des journalistes, répond la présidente. On a besoin des journalistes, ils font un travail très difficile, pour lequel j’ai beaucoup d’admiration. Comme partout il y a des gens honnêtes, d’autres qui sont moins honnêtes. Il y a en qui sont des militants. Quand les choses sont détournées de leur sens, c’est exaspérant.»

    Des militants et organisateurs conscients de leur image

    Tous les responsables à qui nous avons parlé nient –en face-à-face comme sur Twitter– toute tentative d'enfumage ou de censure. «Si vraiment on restreint votre liberté tant que ça, comment vous expliquez que vous êtes les seules à nous dire ça? demande Albéric Dumont. Vous non plus, vous ne lâchez rien», ironise-t-il face à notre insistance. Au fil des discussions, il devient clair que La Manif pour tous a conscience de son image, et craint les dérapages.

    «Dans les ateliers il y a des gens qui posent des questions et qui sont un peu à côté de la plaque, on y fait aussi de la pédagogie. Il suffit que quelqu’un pose une question, vous allez faire un zoom dessus», râle Bruno Dary, conseiller stratégique de Ludovine de La Rochère. «Vous allez nous faire chier sur les t-shirts fabriqués en Chine ou je sais pas quoi», s'amuse Albéric Dumont, vice-président du mouvement et apparemment fidèle lecteur de BuzzFeed.

    Du côté des sympathisants aussi, la méfiance règne. Certains lancent des piques aux médias («alors les journalistes, au chômage?»), tandis que d’autres prennent en photo nos confrères avant de leur lancer «vous me prenez bien en photo, vous».

    Au premier abord, les réponses de ceux qui acceptent de nous parler semblent plus mesurées que les propos dérangeants recensés et tournés en dérision aux débuts du mouvement, en 2012: désormais, le seul mot d’ordre est «la famille», le bien-être des enfants est dans toutes les bouches, et quand quelqu’un dans l’assemblée tente une blague raciste au milieu d’une conférence, le reste de la salle lui fait signe de se taire.

    «On n'est pas contre les homosexuels. Étant croyant, je suis enfant de Dieu et ce sont des enfants de Dieu tout pareil», dit Pierre Lareigne, venu de Bordeaux pour l'occasion. «Pour moi ils se trompent, mais je n’ai pas le droit de leur en vouloir. Je partirais tout de suite de La Manif pour tous si La Manif pour tous était homophobe. Moi ce que je défends avant tout, c'est la famille.»

    Tous précisent n'avoir rien contre les couples homosexuels. «L'enfant, ce n'est pas un droit. [...] Mais tout ça ne remet pas en cause l’affection que deux personnes du même sexe peuvent avoir ensemble, ce n'est pas du tout le sujet», prévient Anne-Marie. Avant d'ajouter quelques minutes plus tard: «Maintenant il faut des droits pour tout c’est incroyable. [...] L’union homosexuelle n’est pas un mariage, non.»

    Une «famille» qui se protège

    Jusque dans la décoration de l’événement, la communication se fait sobre et discrète. Une ou deux pancartes avec le logo du mouvement, quelques ballons, et c’est tout.

    Si la prudence est de mise, c'est que l'enjeu est important pour le mouvement: il s'agit de peser sur l'élection présidentielle. «2016-2017 va être une année décisive pour l’avenir de la France: nous nous sommes levés en 2012, ce n’est pas pour rester assis en 2016!» prévient-elle sur son site. Deux hommes politiques ont fait la déplacement à Étiolles: Jean-Frédéric Poisson et Nicolas Dupont-Aignan, passé en coup de vent et «parce que je suis député du secteur», nous explique-t-il. Après le revirement de Nicolas Sarkozy, ils font partie des rares candidats à promettre encore l'abrogation de la loi Taubira, toujours souhaitée par La Manif pour tous.

    Ludovine de La Rochère indique que le site boomerang2017.fr exposera bientôt «de manière factuelle» les positions de chaque candidat sur les propositions du mouvement. Mais elle ne donnera pas de consigne de vote.

    Au final, les cadres et militants du mouvement semblent concevoir La Manif pour tous comme une «famille», dans laquelle les journalistes ne doivent pas s'immiscer. Pour justifier le fait de nous avoir interdit l'accès aux conférences du samedi, Albéric Dumont donne ainsi comme exemple: «On fait ce qu’on veut, si à votre anniversaire vous n'avez pas envie d’inviter votre collègue, vous faites ce que vous voulez.»

    «Les ateliers, c’est la vie de famille, explique quant à lui Bruno Dary. On est entre nous, on discute, ça ne regarde que nous. Vous, vous avez une vie de famille, on a une vie de famille, c’est privé et ça nous appartient.» Albéric Dumont partage cette opinion:

    «On a envie de se retrouver, on a envie de partager des choses, sans forcément avoir David Perrotin [journaliste de BuzzFeed News, ndlr] avec son micro sous la table.»