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    Calais : frappés par la police, ces réfugiés témoignent

    «J’ai vécu au Soudan, en Égypte, au Djibouti… et la police là-bas est très dure. S’ils vous attrapent, ils vous frappent sans raison. Je ne pensais pas que la police française serait comme ça».

    CALAIS, France — Pour environ 4000 réfugiés qui vivent ici, la vie dans la Jungle est synonyme d'incertitude car ils résident dans un camp non reconnu, soumis aux décisions des autorités françaises, à Calais. Le 25 février, la justice a approuvé l'expulsion des personnes vivant dans la partie sud du camp. Lundi, des centaines de CRS se sont lancés et l'expulsion forcée d'environ deux tiers du camp a débuté.

    «La police là, ils ne vous parlent pas, ils vous frappent.»

    Entre les gaz lacrymogènes et les canons à eau, les autorités ont démonté les tentes et les structures permanentes et, en cas d'expulsion totale, plus de 3000 personnes perdront leurs maisons au sein du camp. Le gouvernement déclare planifier l'hébergement des déplacés dans un ensemble de conteneurs situés à proximité ainsi que dans des centres de réfugiés ailleurs en France. Mais la plupart de ces personnes ne veulent pas partir — beaucoup semblent hésiter à échanger leur liberté de mouvement et leurs espoirs d'un jour traverser la Manche pour atteindre le Royaume-Uni, où certains d'entre eux ont de la famille, pour un lit et un dossier examiné en France.

    Le gouvernement britannique dépense une partie des 19 millions de dollars qu'il a promis pour renforcer les frontières en différents points, subventionnant des clôtures à double épaisseur surmontées de barbelés, ainsi qu'une surveillance accrue et des rotations supplémentaires de policiers déployés à travers la ville. Ce sont ces forces de l'ordre françaises que les réfugiés accusent. Selon eux, elles s'engagent systématiquement sur la voie de la violence contre les réfugiés qui tentent la traversée et font un usage excessif de la force lors des patrouilles au camp.


    Ahmad Ibrahim, 26 ans, a tenté de se faufiler dans un conteneur attaché à un camion avant que la police ne les attaque, lui et ses amis, lui causant plusieurs fractures à la main avec une matraque et le menaçant avec du gaz poivré pour le faire sortir. «La police ici est vraiment comme en Afrique», confie-t-il. «J'ai vécu au Soudan, en Égypte, au Djibouti, en Éthiopie, et la police là-bas est très dure. S'ils vous attrapent, ils vous frappent sans raison. Je ne pensais pas que la [police] française serait comme ça».


    «L'Europe est bien. Mais ça, c'est "scheisse" [allemand: de la merde]», explique Mohammed, un réfugié soudanais de 27 ans qui montre des déchets et des grenades de gaz lacrymogène à l'endroit où sa tente se trouvait avant.

    Né dans un camp de réfugiés au Darfour, ses mains portent les traces de ses tentatives de traversée, typiques pour ceux qui n'ont pas assez d'argent pour payer un passeur. «La police déteste les réfugiés.»


    Sur les onze mois que Mohammed a vécus en tant que réfugié à Calais, il en a passé deux en prison. Il a été arrêté avec cinq autres personnes alors qu'ils tentaient de s'infiltrer dans un train du tunnel sous la Manche. Il se rappelle son incarcération:

    «La police là, ils ne vous parlent pas, ils vous frappent.»

    Mohammed, 27 ans, a passé un an en Allemagne, mais n'est pas parvenu à obtenir des papiers. Il essaie régulièrement de se faufiler dans un camion en partance pour le Royaume-Uni, dans des ferrys et des trains, mais il n'est pas arrivé à doubler la police, qui le frappe souvent, lui laissant des plaies sur les mains.

    Ils l'ont laissé saigner sur le sol jusqu'à ce qu'un jeune calaisien le trouve et appelle une ambulance.


    Avant de fuir le recrutement de l'État islamique et des talibans, Javeed Ahmedzai, 18 ans, était un joueur professionnel de cricket en Afghanistan, où il évoluait dans deux coupes de la ligue junior.

    Après seulement quelques jours dans la Jungle, alors qu'il escaladait une barrière au port, la police l'a frappé et aspergé de gaz lacrymogène, ce qui l'a fait tomber et lui a causé une fracture ouverte de la jambe gauche. Ils l'ont laissé saigner sur le sol jusqu'à ce qu'un jeune calaisien le trouve et appelle une ambulance, qui l'a emmené à l'Hôpital central de Calais, où il récupère actuellement après plusieurs opérations. Il témoigne:

    «La police, l'État islamique - c'est la même chose. Tout le monde tue. Quand les gens ne regardent pas, la police nous frappe. Vraiment. Juste parce que mon pays connaît des problèmes, je n'ai pas d'avenir. Je ne peux aller nulle part. Si vous êtes Américain, alors, il n'y a pas de problème.»

    Javeed souhaite poursuivre une carrière professionnelle dans le cricket quand il sera au Royaume-Uni, mais n'est pas sûr de récupérer l'usage complet de sa jambe.

    Le coup porté à la tête de Mujeeb l'a plongé dans le coma durant un mois et demi. En plus d'avoir perdu une partie de sa boîte crânienne, Mujeeb a subi des dommages au cerveau.


    Mujeeb Rahman doit porter un casque quand il quitte son lit d'hôpital. Cet Afghan de 22 ans de la province de Nangarhar avait prévu de se faufiler dans un camion et se dirigeait vers le port, quand la police les a trouvés, lui et son frère, le long de la barrière près de la Jungle, et ont commencé à les frapper avec des matraques.

    Le coup porté à la tête de Mujeeb l'a plongé dans le coma durant un mois et demi. En plus d'avoir perdu une partie de sa boîte crânienne, Mujeeb a subi des dommages au cerveau et il souffre de pertes de mémoire et de retards du fonctionnement cognitif.


    Ahmad Tscha, 18 ans, d'Afghanistan, a fui la violence qui ronge sa région dans la province du Koundouz, et est arrivé à Calais en novembre dernier.

    Alors qu'il était assis à proximité du périmètre du camp début janvier, la tension est montée d'un cran entre la police et les réfugiés, et Ahmad a été touché au front par une balle de Flashball.

    Bilan: une lacération et de sévères contusions. Il tient à critiquer les États-Unis et d'autres pays occidentaux qui sont, selon lui, «responsables de l'instabilité qui règne dans son pays».


    Shakir Jawed, un infirmier du Pakistan, a installé une petite caravane indépendante, qui est rapidement devenue une institution dans le camp. C'est l'un des rares endroits qui fournit une assistance médicale après 17h et durant la nuit, quand la grande partie de la violence policière s'abat.

    La nuit, Shakir a soigné Ahmad Tscha (photo ci-dessus), il a également été touché par une balle en caoutchouc à la poitrine, près du cœur.

    «Il y a un nombre croissant de blessures causées par la police», constate Dominique Bernard, coordinateur de projet pour Médecins sans Frontières (MSF) à Calais. «L'usage de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc représente un gros problème, notamment à l'intérieur du camp.»


    Gereisadke Mandafarra, 29 ans, d'Érythrée, s'est brisé trois disques du cou après avoir été percuté par une voiture alors qu'il courait accidentellement vers l'autoroute après avoir été aspergé de gaz lacrymogène par la police.

    Mandafarra raconte qu'il était choqué et incapable de voir, il ne savait donc pas où il se dirigeait. Il partage désormais une chambre avec un autre réfugié d'Érythrée, qui a été touché à courte distance par une grenade lacrymogène et se remet d'une mâchoire brisée.


    Sollicités à de multiples reprises, les responsables de la police nationale n'ont pas donné suite.