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    Raptor Dissident, Valek Noraj : dans la tête des youtubeurs réacs qui inspirent les harceleurs de jeuxvideo.com

    Les harceleurs du «blabla 18-25» de jeuxvideo.com ont leurs influenceurs: des youtubeurs aux centaines de milliers d'abonnés qui développent un discours réactionnaire et antiféministe d'une extrême violence. Ils expliquent clairement leurs ambitions dans une table ronde diffusée sur YouTube.

    C'est une visioconférence un peu irréelle. Un chat, un dinosaure, une émoticône, un rappeur nationaliste au masque de loup discutent avec un «modérateur» baptisé TeddyBoy RSA et un fan de Jean-Marie Le Pen qui se sert des vodkas-orange. Parmi eux, certains des youtubeurs les plus actifs de la sphère réactionnaire et identitaire. L'ambiance est rigolarde, mais l'on perçoit les idées derrière les personnages numériques que se sont construits ces influenceurs. Ils y expliquent qu'ils sont «un peu» misogynes, que la vulgarité permet «le combat au niveau des jeunes». On s'y félicite de «lever des verrous».

    Ce concile n'a fait que quelques dizaines milliers de vues, une audience faible comparée aux millions de vues qu’engrangent souvent les plus connus des participants. Elle est pourtant très intéressante pour comprendre l'ambition politique de ces vidéastes, plus ou moins cachée derrière les épaisses couches d'outrance et de second degré de leurs productions. Elle permet aussi de comprendre d'où viennent ces vagues de harcèlement en ligne réactionnaire et antiféministe qui ont fait l'actualité de ces dernières semaines. La culture misogyne, qui a pu tranquillement se développer sur les forums «blabla» de jeuxvideo.com, est aussi nourrie par ces influenceurs, qui reprennent les codes propres au forum et tiennent un discours politique réactionnaire, misogyne et ultraviolent.

    On retrouve dans cette table ronde :


    Le Raptor Dissident, auteur d'une «revue d'actualité avec une bonne dose de haine», qui cumule 25 millions de vues sur sa chaîne YouTube. Il compte 521 000 abonnés sur YouTube. Sa dernière vidéo, publiée dimanche 19 novembre, a atteint les premières places des tendances sur YouTube avec 500 000 vues en moins de 24 heures (avant d'en être retirée à la suite de signalements). Titrée «Malika Le Pen : femme de gauche», cette vidéo reproche à la présidente du Front national d'avoir une ligne politique de gauche, contrairement à son père, Jean-Marie Le Pen. Dans la première minute de la vidéo, il tient à rappeler qu'Emmanuel Macron est «fortement suspecté d'être homosexuel».



    Valek Noraj, un vidéaste issu du forum «18-25» de jeuxvidéo.com, en 2017, connu pour la voix de synthèse qu'il utilise dans ses productions. Valek, qui a commencé il y a 4 ans avec une vidéo sur l’affaire Léonarda, est l'un des premiers youtubeurs français à avoir adopté un style réac et violent. Sur sa page Facebook, la vidéo la plus ancienne évoque les «putes» qui «twerkent» et lui donnent envie re récupérer «un lance-flammes».




    Kroc Blanc, un «rappeur nationaliste» qui interprète notamment Bonobo (extrait : «Famas au poing je déboule dans ta ZUP/Claque une rafale, tu t’écroules dans ta hutte») et Cheetah dans son dernier album. Il est reconnaissable au masque qu'il porte en permanence.






    Peno, un youtubeur autant obsédé par Jean-Marie Le Pen que par la star du porno d'origine libanaise Mia Khalifa. Il a commencé par produire des mèmes mettant en scène l'ancien président du Front national, et sa page Facebook a été supprimée à de nombreuses reprises. Un article de 2016 de Rue89 l'évoque, et montre par exemple un mème qui consiste à dire que les personnes qui volent le plus ont un prénom d'origine arabe.




    Le Chat Patriote, un youtubeur un peu à part dans cette assemblée. Sa chaîne a été créée en pleine campagne présidentielle et défend des positions traditionnelles de l'extrême-droite : il considère que les «trois principaux problèmes de la France» sont «l'islamisation de la France», «le laxisme» et «la perte de notre souveraineté». Mais ses vidéos n'utilisent pas de «second degré» et s'employaient surtout à convaincre les gens de voter Marine Le Pen, lors de la campagne. Il promeut néanmoins régulièrement les autres membres du groupe sur son compte Twitter.


    TeddyBoy RSA, de son côté, est un vloggeur difficile à classer (nombre de ses abonnés lui ont reproché de publier cette table ronde). Il a laissé le choix des invités à Kroc Blanc. Le rappeur les présente comme «une alternative pour les jeunes», pour qu'ils ne soient pas obligés de «se construire dans l'adolescence par le gauchisme (...) et après de se réveiller grâce à des Soral». On peut difficilement faire plus clair.

    Les invités de TeddyBoy RSA s'accordent à se dire de droite, mais n'aiment pas trop se coller des étiquettes politiques, même si Valek estime que «le FN a toujours été le parti le moins pire», explique-t-il. «C'est normal qu'on soit catégorisé de droite parce qu'on tient un discours assez virulent, violent. C'est pas un gauchiste qui va sortir les trucs qu'on sort. (...) C'est du côté droit qu'il y a le plus de vérités», juge-t-il. Peno ajoute : «J'ai un humour de droite, ça c'est sûr. J'ai tendance à rentrer dans le lard. J'ai du mal avec les véganes, avec les féministes, on a tous les mêmes ennemis en commun.» «Si le FN applique son programme, ce sera toujours mieux que les mondialistes, égalitaristes, pro-PMA, pro-minorités, l'anti-France, quoi», dit Kroc Blanc, reprenant un terme utilisé par les ligues antisémites de la IIIe République et le régime de Vichy. Le rappeur se dit néanmoins royaliste.

    Ces créateurs citent également comme influence Marsault, un dessinateur dont les fans ont harcelé une militante féministe en 2016, et dont l'une des planches de son dernier album, Dernière pute avant la fin du monde, montre un mari exploser la tête de son épouse contre un mur. Ils évoquent aussi Papacito, blogueur et auteur des Fils de pute de la mode, décrit comme «une salve de haine gros calibre pour redresser ce pays de fiottes à coup de mornifles !» Marsault et Papacito ont réalisé un album ensemble.


    «Qui est misogyne, ici ?»

    La vidéo est coupée en quatre thèmes: «L'avenir des droites», «Le gauchisme culturel», «Femmes et féminisme», «La censure». Dans la partie «Femmes et féminisme», TeddyBoy RSA demande donc aux cinq hommes, avec calme et sérieux: «Qui est misogyne, ici ?» Après un court moment de réflexion, Kroc Blanc lâche : «Moi, un peu». «Ouais, moi aussi un peu» renchérit Peno. «Un peu», poursuit Valek Noraj. Le Raptor Dissident, un autre youtubeur du panel, se marre. Seul un dernier participant, Le Chat Patriote, reste silencieux.

    Ces «influenceurs» se retrouvent tous plus ou moins sur la questions des femmes et du féminisme, l'une de leurs cibles principales. Ils se marrent tous lorsque Peno raconte que son père a écrit «une bonne baffe de temps en temps, ça fait pas de mal» sur un groupe Facebook dédié aux femmes battues. Le Raptor et Valek sont d'ailleurs des virilistes assumés qui proposent des conseils payants en musculation. (Le Raptor cite comme inspiration Jean-Onche Le Musclay, un youtubeur body-building qui disait en 30 secondes de vidéo «salut les grosses tapettes» et «un milliard de grosses tapettes chinetouzes [un mot-valise composé de «chinteok» et «tarlouze»] qui vont s'entraîner sur des chaises de merde»). Après une première publication de cet article, Jean-Onche Le Musclay a dit à BuzzFeed News: «Je ne vois pas la raison pour laquelle je figure dans un article traitant des agissements du forum 18-25 sur la toile, dans le sens où premièrement je ne suis même pas présent sur ce forum. Et que deuxièmement, je ne cautionne pas les campagnes de cyber-harcèlement (qu'elles viennent du 18-25 ou non, qu'elles soient envers des féministes ou non).»

    Lorsqu'il s'agit de féminisme, la table ronde atteint le firmament de la conversation de comptoir. «Si le féminisme est poussé aussi loin», développe Valek, «c'est aussi en majorité à cause de la frustration. C'est à dire que les femmes sont frustrées. Donc elles arrivent à un stade où elles rejettent la beauté. On a pu le voir avec le fat-je-sais-plus-quoi, là [le «fatshaming»]. Frustrées par ce que montre la société.» «Moi je suis choqué quand je vois des mecs qui s'occupent de gosses à la crèche», balance Peno, rejoint par le Raptor Dissident. Juste avant, Peno expliquait que plombier était un métier d'homme, et que comptable était un métier de femme.

    «Ça fait un moment que je t'aurais balancée sur le bas-côté»

    Plusieurs vidéos du Raptor Dissident appellent clairement à la violence contre les femmes. Dans une d'entre elles, il s'adresse à Annaliese Nielsen, une femme harcelée par l'alt-right nord-américaine après avoir reproché de façon insistante à un chauffeur Lyft d'avoir sur son tableau de bord une figurine hawaïenne caricaturale. Voici ce qu'il lui dit : «Toi, par contre, ta grosse gueule, tu l'ouvres, tu l'ouvres, moi, c'est simple si j'étais le conducteur, ça fait un moment je t'aurais mis un coup de frein à main dans la gueule histoire de tester ton port de ceinture, et que je t'aurais balancée sur le bas-côté pour que tu comprennes la différence entre les sièges en cuir de ma caisse et un putain de trottoir froid en béton.»

    Dans une autre vidéo, évoquant plus généralement les militantes féministes qu'il qualifie de «SJW» («Social Justice Warriors», un terme péjoratif pour désigner les militants antidiscrimination), il dit aussi : «Tu te rends compte au bout de deux minutes de conversation avec elles qu’elles sont ultra pète-couilles, et si t’es un homme normalement constitué ton instinct primitif, c’est soit gentiment lui dire d’aller se faire foutre, soit de punir son insolence en lui ébouriffant d’une claque humiliante ses cheveux mal coiffés.»

    Ces insultes gratuites peuvent passer pour du«trolling», des propos sans réel fond idéologique dont l'objectif ne serait que de choquer. Le youtubeur affirme effectivement «taper sur tout le monde». Mais pour les fans comme pour les opposants, il est parfois difficile de s'y retrouver entre ce qui est de l'ordre du second degré et ce qui ne l'est pas. «J'ai du mal à voir s'il trolle ou pas», commente un utilisateur de Twitter sous un tweet du Raptor Dissident où il compare l'avortement à un génocide. «Il trolle tellement que tu peux même pas être sûr.» De fait, il ne trollait pas, comme on peut le voir dans une capture de ses propos tenus sur Snapchat où il développe sa pensée anti-avortement sur 6 minutes. Dans la table ronde, il ne cache rien du «sérieux» des idées qu'il défend : «Rajouter des insultes, ça a aussi cette capacité de diminuer le niveau, de rabaisser le niveau de la vidéo pour qu'on se dise "bon c'est pas trop sérieux, on rigole", même si les choses sont sérieuses, les idées sont sérieuses.»

    «La vulgarité a un côté familial, convivial», explique Valek. «Je parle comme ça depuis toujours», ajoute le Raptor Dissident.

    Valek et le Raptor insèrent, comme d'autres, des éléments tirés de la culture des «blablas» de jeuxvideo.com dans leurs productions. Il reprend des extraits de Risitas (ce comédien espagnol érigé en icône par le forum) ou le tic de langage de l'idéologue d'extrême droite Alain Soral, «faut l'savoir hein». Valek Noraj aussi échange avec cette communauté. «Il a vraiment inventé des mots qui peuvent se revoir sur le "15-18" ou le "18-25"», commente avec admiration Peno dans la table ronde de Teddyboy RSA. Valek raconte : «Je squattais souvent les forums de jeuxvidéo.com. Je me suis fait un peu mon style en me basant sur les délires qu'on avait avant.»

    «Le premier combat se fait au niveau des jeunes.»

    Valek Noraj est le plus ancien de ces vidéastes. Pour lui, les «SJW» méritent la même violence. Après s'être moqué de l'acronyme «LGBTQ» (lesbienne, gay, bi, trans et queer), Valek fait parler un contradicteur imaginaire qui lui reprocherait de faire des raccourcis, avant de lui répondre «je vais te mettre un coup de coude sur le front, fils de pute». S'adressant à une communauté de militants dans une autre vidéo, il affirme «vous méritez sérieusement qu'on vous gifle avec une règle Maped.»

    Valek assume totalement ce style pour «mener le combat au niveau des jeunes». «Si tu arrives à allier l'humour à ça, tu frappes dans la tête des jeunes. (...) Pour moi le premier combat se fait au niveau des jeunes. Aujourd'hui encore, les jeunes ont honte de dire "je vote à droite". (...) Quand j'étais au collège, dire "Marine Le Pen", c'était le mot interdit.» Le Raptor Dissident abonde : «Mon objectif premier, c'est de lever des verrous (...). Aujourd'hui, même moi avant, tu dis même le mot "Noir", tu te sens raciste

    Deux autres producteurs de vidéos un peu moins suivis, Pavalek Norajovitch et Psyko Sauce, utilisent les mêmes codes que Valek : une voix de synthèse, de nombreuses références aux mèmes propres aux forums de jeuxvideo.com. Pavalek Norajovitch a pour image de profil un smiley :hap:, un des plus populaires du forum, grimé en Hitler. Dans une vidéo sur le journaliste du Monde Adrien Sénécat, il dit : «mon gros poing inclusif dans ton cul d’épouvantail. Va bien te faire foutre Adrien, faudra pas te cacher dans le grenier pour écrire ton journal si un jour ça tourne mal.»

    Psyko Sauce emploie aussi des mèmes de jeuxvideo.com comme Risitas ou Larry Silverstein dans une vidéo où il dit d'une personne trans qui se genre au masculin : «Elle, à peine elle commence une phrase, j'ai déjà envie de la baffer, c'est typiquement une personne qui brille de progressisme.» Sur Twitter, Psyko Sauce utilise la publication d'une page féministe parodique pour affirmer que les militantes méritent des coups de pied.


    Des milliers de messages haineux

    Avec un tel goût pour la haine, la violence et un tel rejet des féministes, ces influenceurs s'amusent ou cautionnent des initiatives de harcèlement initiées par des membres du «blabla 18-25» de jeuxvideo.com contre Nadia Daam, Eliott Lepers et Clara Gonzales.

    Un forum normaux avec des gens normal L'affaire Nadia Daam qui prend une tournure tragique

    Hey @Google étant navigateur vous soutenez le cyber harcèlement #BoycottWebedia issou j'oubliais @EDFofficiel qui a… https://t.co/D195vOrVD4

    Étonné de voir ce temps pluvieux depuis plusieurs jours, en fait il s'agissait juste des larmes de Nadia Daam et Ma… https://t.co/KtFmo3h3s8

    Certains d'entre eux ont clairement alimenté des campagnes de harcèlement eux-mêmes. Dans une vidéo publiée en août 2016, le Raptor Dissident s'attaque principalement à Marion Seclin, vidéaste féministe qui a notamment travaillé avec le site Madmoizelle. Un article du site décrit le harcèlement dont elle a été victime après la vidéo du Raptor Dissident. Ce dernier a invité ses fans à se rendre sur la vidéo de la vidéaste pour «poser son com». Vu le ton de ses remarques, la violence des commentaires n'est pas surprenante. Des milliers de messages haineux sont publiés, qui vont des appels à la violence, au viol aux menaces de morts. «Il n'y a pas grand-chose que je peux faire sur internet aujourd'hui qui ne sera pas attaqué par ces gens-là», a-t-elle récemment dit dans une interview à LCI. Il n'y a pas que des membres actifs des forums de jeuxvideo.com parmi «ces gens». Avec plus de 500 000 abonnés, le Raptor Dissident a une audience bien plus large que le «blabla 18-25» du site de Webedia, qui compte en général autour de 2 000 personnes connectées simultanément. Lors de la vague de harcèlement qui a touché les créateurs du «numéro anti-relou», Clara Gonzales et Eliott Lepers, il a retweeté ce dernier auprès de ses 100 000 abonnés sur Twitter. Valek_Noraj agit lui aussi comme un «lanceur d'alerte». Lors de la campagne de harcèlement qui a touché la journaliste Nora Bouazzouni au mois d'octobre, et qui a largement dépassé le cadre du «blabla 18-25», un de ses tweets a été parmi les plus retweetés.

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    «Dès que les féministes gauchistes ont eu des infos sur moi sur le Net, ça a été les premières à faire du harcèlement», se défend le Raptor Dissident, lorsque TeddyBoy RSA lui demande s'il a des «équipes de trolls» («non, je n'ai pas d'équipe, j'ai des fanboys quoi», évacue-t-il). Depuis que son identité réelle a été dévoilée à la fin de l'année 2016, le Raptor Dissident se fait régulièrement interpeller par des féministes car il aurait fait plusieurs années de xylophone au conservatoire. Terrible.


    Mise à jour Mercredi 22 novembre: Après la publication de l'article, le Raptor Dissident, contacté avant publication, a tweeté un message ironique citant la phrase d'Alain Soral: «un journaliste, c'est soit un chômeur, soit une pute.»

    BuzzFeed toujours au top.. et pas prêt de chômer ! @JulesDrmnn qui fait du très bon boulot ici et honore sa réputat… https://t.co/Rtktq0bcka

    Toujours après la publication de l'article, Valek Noraj a répondu ironiquement par mail, demandant à BuzzFeed News de le payer pour qu'il réponde à nos questions. Kroc Blanc a envoyé un mail d'insulte. Le Chat Patriote n'a toujours pas répondu à nos sollicitations.