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    Ce que j'ai appris sur Julian Assange en travaillant avec lui

    Le fondateur de WikiLeaks veut régler ses comptes avec Hillary Clinton et s’affirmer comme un acteur incontournable de la scène internationale. James Ball, reporter de BuzzFeed News et ancien collaborateur de Julian Assange révèle les coulisses peu glorieuses de l'organisation.

    On est le 29 novembre 2010. Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, condamne devant un parterre de journalistes la publication, par WikiLeaks ainsi que cinq grands quotidiens nationaux, de documents classifiés.

    Ces révélations, dit-elle, «mettent des vies en danger», «menacent la sécurité nationale» et «sapent nos efforts de collaboration avec la communauté internationale.»

    «Les rendre publics représente un véritable risque pour des gens en chair et en os», note-t-elle, avant d’ajouter: «Nous avons pris des mesures radicales afin que ceux qui ont dérobé ces informations soient tenus responsables.»

    C'est à la télé, dans le salon d’Ellingham Hall, une demeure d’époque située dans la campagne du Norfolk, à presque 200 km de Londres, que Julian Assange a observé cette conférence de presse.

    J’étais assis à deux mètres de lui pendant qu’il fixait l’écran de télé, les meubles et tapis anciens recouverts par des ordinateurs, des câbles et tout le fourbi nécessaire à une minuscule organisation responsable de l’info du jour partout dans le monde.

    Quelques minutes plus tard, le vrombissement d’un avion militaire se faisait entendre au-dessus de nos têtes. J’ai regardé autour de moi et tout le monde semblait penser la même chose, sans oser le dire. Mais non, bien sûr que non. Sûr et certain? Évidemment, l’avion a continué son chemin –Ellingham Hall est proche d’une base de la Royal Air Force– mais la pression, l’adrénaline et la paranoïa étaient telles, dans cette pièce, autour de Julian Assange, que rien ne semblait impossible.

    Ces quelques mois passés aux côtés du fondateur de WikiLeaks et de sa garde rapprochée, ainsi que les pressions exercées sur eux et dont j’ai été le témoin privilégié, m’ont permis d’avoir une compréhension assez fine de la manière dont l’organisation est devenue ce qu’elle est aujourd’hui.

    Qu'est devenu le WikiLeaks de 2010?

    Pour quelqu’un d’extérieur, le WikiLeaks de 2016 n’a semble-t-il rien en commun avec celui de 2010. À l’époque, l’organisation était la coqueluche des gens de gauche, une organisation qui travaillait avec les journaux les plus réputés du monde entier pour dénoncer les drones tueurs, les meurtres de civils en Afghanistan et en Irak, ainsi que la surveillance des cadres les plus haut placés à l’ONU.

    Aujourd’hui, WikiLeaks est la coqueluche de la droite très à droite et publie des mails piratés pour, semble-t-il, influencer la présidentielle, arguant que l’élection américaine est «truquée» et soutenant d'autres théories conspirationnistes. Cette semaine, sur Twitter, l’organisation a évoqué la mort de deux sympathisants, tous deux décédés de causes naturelles, en parlant d’une «année sanglante pour WikiLeaks» et a exhorté à se méfier de médias «contrôlés par» des membres de la famille Rothschild –un classique de la rengaine antisémite.

    On pose rarement les bonnes questions à propos de cette organisation et son chef: qu’est-il arrivé pour que WikiLeaks change autant? Julian Assange est-il instrumentalisé par Vladimir Poutine? Est-ce que WikiLeaks soutient un candidat à la présidentielle décrit comme raciste, misogyne, xénophobe et j’en passe?

    Ces interrogations passent à côté d’une vérité plus générale: ni Julian Assange, ni WikiLeaks (l’un et l’autre se confondent) n’ont changé –le monde, en revanche, oui. L’organisation est, d’une certaine manière, toujours la même entité intrépide, téméraire et paranoïaque, mais la manière dont elle l’affiche et qui la soutient, voilà ce qui est différent.



    La publication des câbles diplomatiques

    Hillary Clinton ne faisait que son job en condamnant la publication par WikiLeaks et consorts de câbles classifiés. Même si elle avait été l’une des plus ferventes admiratrices du site –même si cela semble très improbable– elle était obligée de condamner la publication des documents.

    Ce n’est pas ce qu’on ressentait, à ce moment-là, chez WikiLeaks. L’anxiété était palpable, le monde entier parlait de WikiLeaks; sur chaque chaîne de télévision, sur toutes les unes de journaux. Les médias se pressaient à la moindre conférence de presse en lien, aussi ténu soit-il, avec l’organisation. Les commentateurs appelaient à l’arrestation, l’expulsion, la rendition voire l’assassinat de Julian Assange et de ses associés.

    Pendant ce temps, Visa et Mastercard gelaient les transactions de WikiLeaks, Amazon Web Services suspendait l’hébergement du site et Julian Assange passait une semaine dans une prison britannique (avant d’être remis en liberté provisoire) pour une affaire d’agressions sexuelles en Suède.

    Chez WikiLeaks, une minuscule organisation avec seulement quelques milliers de dollars en banque, la pression était énorme. La majorité de ses membres étaient des militants de gauche, beaucoup étaient jeunes et sans expérience, et peu avaient foi dans le gouvernement américain –surtout après des mois passés à lire des câbles relatant les erreurs commises par les États-Unis et ses réactions excessives rapportées dans les «journaux de bord» des guerres en Afghanistan et en Irak, souvent avec de tragiques conséquences.

    Comment leur pays allait-il réagir, ou surréagir, cette fois? WikiLeaks craignait des conséquences légales ou extralégales pour Julian Assange et le reste de l’équipe. Les WikiLeakers étaient furieux contre le blocus financier mis en place par des entreprises américaines contre l’organisation, sans que cela soit justifié par une décision de justice ni un jugement, simplement parce qu'un sénateur avait publié un communiqué de presse.

    La figure de proue de cette riposte n’était autre qu’Hillary Clinton. Pour Julian Assange cela avait pris, dans une certaine mesure, un tournant personnel.

    Ravi d'ignorer l'antisémitisme de certains de ses soutiens

    Il serait injuste, ou du moins simpliste, d’accuser Julian Assange d’anti-américanisme. Il répondrait qu’il soutient le peuple américain, mais que son gouvernement, sa politique et ses entreprises sont corrompues.

    Par conséquent, il ne partage pas la vision du monde qu’ont les Américains, il n'éprouve aucune haine à l'égard de Vladimir Poutine ou tout autre chef d’État omnipotent au bilan démocratique contestable.

    Et ça se voit avec certains de ses sympathisants. Quelques jours après notre arrivée à Ellingham Hall, un homme plus âgé s’est présenté, et disait s’appeler «Adam». Julian Assange avait invité des journalistes indépendants du monde entier à venir sur place consulter les câbles relatifs à leur pays –en général, pas plus de quelques milliers de documents à la fois.

    Mais «Adam» n’était pas comme les autres: il a immédiatement demandé à voir tout ce qui concernait la Russie, l’Europe de l’Est ainsi qu’Israël –et l’a obtenu, en tout plus de 100.000 documents. Quelques commentaires sur les «Juifs» m’ont fait tiquer, mais un autre WikiLeaker eut vite fait de les balayer d’un «Ne sois pas bête… Il est juif lui-même, non?»

    Quelques semaines plus tard, j’apprenais la véritable identité d’«Adam», ou plutôt le patronyme qu’il utilise le plus souvent: il s’agissait d’Israel Shamir, un écrivain et journaliste connu pour son antisémitisme et sa proximité avec le Kremlin. Une association de défense pour la liberté d’expression s’était inquiétée de le voir photographié sortant du ministère de l’Intérieur biélorusse, évoquant la possibilité que le dictateur à la tête du pays ait désormais accès aux câbles et renseignements concernant les groupes d’opposition.

    Julian Assange ne s’en est pas ému, faisant fi de ces allégations jusqu’à ce que les médias lui demandent de s’exprimer à ce sujet. Alors, il a simplement nié qu’Israel Shamir ait jamais disposé du moindre document.

    C’était faux, Julian Assange le savait et je le savais –c’est moi qui, sur ses ordres, lui en ai fourni l’accès. Quelques jours après, un journaliste russe a écrit à WikiLeaks:

    «Je ne comprends vraiment pas pourquoi Wikileaks coopère avec le magazine "Russian Reporter" qui n’a jamais crititiqué (sic) le gouvernement russe. J’ai contacté la personne chargée des contacts avec Wikileaks en Russie (Israel Shamir) mais il m’a dit que nous ne pouvions pas consulter les câbles et a demandé de l’argent ce qui n’est pas très pratique pour nous (pas à cause de l’argent mais parce que nous voudrions nous aussi consulter les documents).»

    L’antisémitisme n’a jamais semblé jouer un rôle essentiel dans le plan de Julian Assange –je ne l’ai jamais entendu faire de remarque problématique dans ce sens– mais c’était une caractéristique qu’il était ravi d’ignorer chez les autres. Idem pour ce qui est de soutenir la Russie ou ses puissants alliés d’Europe de l’Est: un détail tolérable si ces personnes étaient alliées de WikiLeaks et faisaient ce que disait Julian Assange.

    L’organisation n’a jamais eu de problème avec la Russie; ni avant, ni maintenant.

    Un don pour le mensonge

    Invariablement idôlatré par ses partisans ou diabolisé par ses détracteurs, on en vient à oublier qui est vraiment Julian Assange.

    À mille lieues de l’autiste scotché à son ordinateur qu’on l’imagine souvent, c’est un orateur charismatique qui s’impose facilement dans une conversation comme dans une pièce. Il a beau n’être que peu intéressé par ce que les autres ont à dire, il est capable de deviner s’il a ou non toute votre attention et sait changer d’attitude pour que ce soit le cas. Il a maintes fois démontré sa capacité à manipuler les médias, qui le suivent par monts et par vaux, pour finir par assister à des conférences de presse qui s’avèrent être des pétards mouillés. Aucun doute là-dessus, sa technique est bien rôdée.

    «Ce qu’on a tendance à sous-estimer, c’est son don pour le mensonge.»

    Ce qu’on a en revanche tendance à sous-estimer, c’est son don pour le mensonge. Julian Assange est très fort pour raconter des mensonges éhontés –et il ne s’en prive pas: WikiLeaks suit des protocoles très complexes; WikiLeaks a été fondée par un groupuscule de douze activistes, principalement originaires de Chine; Israel Shamir n’a jamais eu accès aux câbles; nous avons reçu des informations laissant croire que [nom d’une personne qui critique WikiLeaks] entretient des liens avec le renseignement américain.

    Parfois, ce genre de mensonge ne fait de mal à personne et peut s’avérer brillant. Le jour où les câbles sont sortis, le site de WikiLeaks n’était pas prêt (on n’avait même pas écrit le texte d’introduction) et on l’avait laissé offline après une courte attaque par déni de service. Julian Assange en a alors profité pour tweeter que le site subissait une attaque sans précédent, pour nous laisser le temps de tout préparer.

    Six heures plus tard, le monde avait les yeux rivés sur WikiLeaks: que pouvaient bien contenir ces câbles pour qu’on veuille à ce point empêcher le site d’être accessible? La surenchère a fonctionné, mais les mensonges qui ont suivi étaient idiots et dangereux, sapant la confiance qu’avaient tous ceux qui essayaient de travailler à ses côtés.

    Expurger les documents relevait de l'opportunisme

    L’expurgation des documents –sans doute le changement le plus manifeste entre le WikiLeaks de 2010 et celui de 2016– en a fait les frais. Pour Julian Assange, expurger les publications relevait d’abord de l’opportunisme: l’organisation éviterait ainsi toute attaque du Pentagone ou de l’État, tout en conservant ses partenaires médiatiques. Pour la presse, c’était la seule manière responsable de publier ce genre d’informations ultra-sensibles.

    «Il déteste quiconque a autant de pouvoir que lui et il déteste être mis en difficulté –surtout par une femme.»

    Aujourd’hui, les documents sortis par WikiLeaks sont systématiquement non-expurgés et semblent n’avoir fait l’objet d’aucune vérification préalable. L’opportunisme a changé de camp; il n’y a plus de partenaires médias à ne pas fâcher. Chaque partie y voit la confirmation que sa position était légitime: s’il est difficile de nier que la publication de certains documents contenant des informations personnelles est inutilement intrusive et potentiellement dangereuse, rien ne prouve, à ce jour, que quiconque ait directement souffert des révélations de WikiLeaks.

    Julian Assange fait plus confiance aux inconnus qu’à ceux qu’il côtoie depuis longtemps: il déteste écouter l’avis d’autrui, il déteste quiconque a autant de pouvoir que lui et il déteste être mis en difficulté –surtout par une femme. C’est lui qui mène la danse, comme il le souhaite, et sans jamais déléguer. Il adore jouer sur les pulsions conspiratrices des autres, sans qu’on puisse deviner si lui-même y croit.

    Pressions pour signer un accord de confidentialité

    Julian Assange est prêt à tout, ou presque, pour contrôler son entourage. Ceux qui travaillent pour WikiLeaks –une organisation radicale qui prêche la transparence et basée sur l’idée que toute puissance doit répondre de ses actes– ont dû signer une clause de confidentialité couvrant toutes les conversations, la gestion ainsi que les documents, Julian Assange étant seul à pouvoir divulguer quoi que ce soit. L’amende, en cas de non-respect de cet accord, s’élève à 12 millions de livres sterling (13,5 millions d’euros).

    «J'ai été réveillé très tôt par Julian Assange qui, assis au bord de mon lit, me donnait des petits coups avec une girafe en peluche et m’a tout de suite mis la pression pour que je signe.»

    J’ai refusé de signer ce document, qu’on m’a tendu sans explication pendant ce qui devait être une courte visite dans une des maisons de campagne utilisées par WikiLeaks. Les autres personnes présentes –qui avaient toutes signé sans prendre la peine de lire– ont essayé, tour à tour, de me mettre la pression, de m’amadouer, de me convaincre, de me charmer ou de me harceler, seules ou à plusieurs, pour que j’appose ma signature, et ce bien après 4 heures du matin.

    Comme la maison était dans un coin reculé, il m’était impossible de partir. J’y ai donc passé la nuit et me suis fait réveiller très tôt par Julian Assange qui, assis au bord de mon lit, me donnait des petits coups avec une girafe en peluche et m’a tout de suite mis la pression pour que je signe. J’ai mis deux heures à me débarrasser de Julian Assange pour pouvoir (enfin) enfiler un pantalon, et plusieurs heures encore avant de réussir à quitter cette maison sans signer cet accord ridicule. Un employé penaud qui avait assisté à cette mascarade m’a plus tard avoué qu’on leur avait donné ordre de me mettre une «pression psychologique» afin que je signe.

    L'impossibilité de la critique

    «Critiquer Julian Assange, c’est être carriériste, c’est vendre son âme pour un peu de pouvoir, c’est être un espion, un informateur.»

    Et une fois qu’on s’est mis Julian Assange à dos –en le prenant à parti trop ouvertement, en le critiquant en public ou en ne filant pas assez droit à son goût– c’en est fini. Il n’y a pas de place pour la critique, ni pour une divergence loyale de points de vue concernant une position politique ou une politique tout court.

    Critiquer Julian Assange, c’est être carriériste, c’est vendre son âme pour un peu de pouvoir ou des avantages, c’est être un espion ou un informateur. Pour vous épargner une ou deux recherches sur Google, il vous dira que j’ai fait partie de WikiLeaks en tant que «stagiaire» pendant «quelques semaines» et que j’ai, durant tout ce temps, été la taupe du Guardian, volé des documents et possiblement entretenu des liens avec le MI5. Comparé à d’autres, je m’en tire plutôt bien.

    Ceux qui ont subi les pires tourments, ou plutôt celles, sont évidemment les deux femmes qui l’ont accusé d’agression sexuelle en Suède, durant l’été 2010. Les détails de ce qui s’est passé restent du ressort de la justice suédoise et non de la spéculation, mais pour avoir vu et entendu Julian Assange et son entourage parler de l’affaire, pour avoir lu les documents juridiques et pour avoir suivi la procédure d’extradition du Royaume-Uni jusqu’à la Cour Suprême, je sais que cette affaire d’agression sexuelle et de viol est bien réelle, et complexe. Il ne s’agit pas d’un travail de sape de la CIA et le seul lien avec WikiLeaks, c’est qu’il a rencontrées les deux femmes parce qu'il y travaillait.

     «Je sais que cette affaire d’agression sexuelle et de viol est bien réelle, et complexe.»

    Que Julian Assange –et lui seul– ait décidé de mettre dans le même sac cette affaire en Suède et la moindre poursuite dont il faisait l’objet aux États-Unis est pour le moins cynique. Ça lui a permis de rallier nombre de gens à sa cause, aux côtés de celles de Chelsea Manning ou Edward Snowden. Et pourtant, il est plus difficile, et non l’inverse, d’extrader Julian Assange aux États-Unis depuis la Suède que depuis le Royaume-Uni –si tant est que Washington en fasse un jour la demande.

    Julian Assange en est arrivé à croire que son propre baratin est responsable de ses six dernières années d’emprisonnement. Mais personne ne l’oblige à rester à l’ambassade équatorienne –où il s’est brouillé avec ses hôtes– personne sauf lui, et la crainte de perdre la face. Les femmes qui l’ont accusé ont perdu au moins autant que lui. Les mois et les années ont fait d’elles deux des personnes les plus haïes d’internet, traitées de «putes», d’«espionnes de la CIA» et j’en passe. Et personne ne leur rendra ce temps-là.



    Au bonheur de la Russie

    Voilà ce dont est faite la mouture 2016 de WikiLeaks. Julian Assange se méfie du gouvernement américain, déteste Hillary Clinton et a passé des années piégé dans le petit immeuble d’une ambassade de l’ouest londonien, sa santé mentale et physique déclinante détaillée, minute par minute, dans des rapports établis par ses hôtes équatoriens de moins en moins confiants.

    «Julian Assange n’a pas besoin d’accords en sous-main pour agir comme les Russes voudraient. C’est déjà ce qu’il fait, et de lui-même.

    Je ne crois pas qu’il puisse être, en toute conscience, un instrument du pouvoir russe: si Vladimir Poutine lui donnait des ordres, il les ignorerait. Mais si un groupuscule anonyme ou sous pseudo lui proposait des documents confidentiels anti-Clinton, il trouverait un homme ravi de ne pas poser trop de questions qui fâchent, avec une situation presque parfaite pour les poster et leur donner l’impact le plus retentissant. Comme l’a écrit le poète Humbert Wolfe: «On ne peut espérer soudoyer ou faire pression, Dieu merci! sur le journaliste britannique. Mais, voyant ce dont il est capable sans être corrompu, cela est inutile.»

    Voilà qui fait le bonheur de la Russie: si c’est bien elle qui se cache derrières ces fuites, comme l’affirme le renseignement américain, Julian Assange n’a besoin ni d’accords en sous-main, ni de mobile pour agir comme les Russes voudraient. C’est déjà ce qu’il fait, et de lui-même.

    Et maintenant?

    La question est de savoir s’il s’en trouvera déçu. Il est convaincu que WikiLeaks a joué un rôle essentiel dans le Printemps arabe, qui a mené à d’importants soulèvements dans une douzaine de pays. C’est là que Julian Assange est persuadé d’avoir un rôle –l’équivalent d’un chef d’État, celui qui occupe toujours la scène médiatique.

    Pendant un temps, c’est ce qu’il a été. L’importance de WikiLeaks dans le Printemps arabe reste à débattre, mais Julian Assange a été en première ligne d’une avalanche de révélations. Depuis, ses tentatives pour revenir sous les projecteurs sont restées vaines.

    WikiLeaks a reposté des informations publiques comme s’il s’agissait d’une fuite, publié des documents piratés par Anonymous ou Lulzsec avec un impact modéré et dévoilé la correspondance électronique de plusieurs entreprises de renseignement privées de moindre envergure. Même sa tentative pour venir en aide à Edward Snowden a été bâclée, laissant le lanceur d’alerte bloqué pendant plusieurs semaines dans un aéroport
    moscovite. Ces derniers temps, l’intéressé a même désapprouvé publiquement la gestion par Julian Assange des leaks démocrates.

    @Snowden Opportunism won't earn you a pardon from Clinton & curation is not censorship of ruling party cash flows https://t.co/4FeygfPynk

    Edward Snowden: «La démocratisation de l'information n'a jamais été plus vitale qu'aujourd'hui, et @Wikileaks y a contribué. Mais c'est une erreur d'être aussi hostile au moindre effort de sélection et d'éditorialisation du contenu.»

    Réponse de Wikileaks: «@Snowden L'opportunisme ne vous obtiendra pas le pardon de Clinton et l'éditorialisation n'est pas la censure de l'argent du parti au pouvoir.»

    Son approche a fait de WikiLeaks, autrefois l’une des forces les plus connectées et influentes d’une nouvelle ère journalistique, une entreprise amateure menée au bon-vouloir (ou non) de l’Équateur. Voilà comment Julian Assange entend réclamer sa place sur la scène mondiale et, par la même occasion, régler ses comptes avec Hillary Clinton.

    C’est un orateur de talent, capable de promener les médias, mais aux prises avec son impuissance à professionnaliser son opération et écouter les conseils; un homme qui a souvent fait passer la diabolisation de ses opposants devant sa mission.

    C’est ce qu’on dit régulièrement de Donald Trump, principal bénéficiaire des récentes activités de WikiLeaks et son champion lors des débats. C’est aussi ce qui retient Julian Assange depuis quatre ans dans sa chambre d’une ambassade londonienne, pleine de boîtes cadeaux que lui achètent ses visiteurs dans les grands magasins avoisinants.

    Reste à voir ce que WikiLeaks fera pour Donald Trump.

    Traduction de Nora Bouazzouni.