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    A Calais, les migrants racontent leur histoire

    Certains politiques ou journaux n’hésitent pas à comparer les migrants de Calais à une horde menaçante et violente qui se faufile dans les camions pour rejoindre le Royaume-Uni. Qui sont ces gens, d’où viennent-ils et pourquoi ont-ils quitté leur pays? BuzzFeed News est allé à leur rencontre.

    A Calais, des centaines de migrants venus de toute l’Asie et du continent africain tentent désespérément de rallier le Royaume-Uni, en se faufilant à l’arrière de camions prêts à embarquer sur les ferries ou en voyageant clandestinement à bord des trains qui traversent le tunnel sous la Manche.

    «Parfois, quand on va dans le centre-ville, des gens nous jettent des bouteilles.»

    Ces individus, dont la plupart ont parcouru des centaines de kilomètres sur plusieurs continents et survécu à la traversée de la Méditerranée avec l’espoir d’une vie meilleure n’ont désormais nulle part où aller, et nulle part où rentrer. La police aux frontières est débordée par le flux de migrants et des milliers d’entre eux vivent dans un campement semi-permanent —qu’ils surnomment «la jungle»— en bordure de la ville.

    Syed Etim, 23 ans

    «Je viens du Darfour, qui est en guerre. Un génocide y est commis en ce moment-même, et des gens se font violer. Le conflit n’a toujours pas été résolu. Au Soudan, je vivais dans un camp de réfugiés, puis je suis parti pour la Libye. J’ai payé 3.000 dollars [2.700 euros] pour monter dans un bateau qui allait en Italie. On a passé plus de 15 jours en mer parce qu’elle était très agitée. On s’est même arrêtés quelque part pendant trois jours tellement c’était dangereux.»

    «Je veux aller en Grande-Bretagne parce qu’au camp de réfugiés, j’apprenais l’anglais. Je ne sais pas parler français et je ne sais pas me débrouiller avec les gens en France.»

    «Ici, la situation est devenue très difficile. On vit dans une jungle, comme des animaux. Parfois, quand on va dans le centre-ville, des gens nous jettent des bouteilles.»

    «Certaines personnes ne veulent pas de noirs dans leur ville.»

    Ali Muhammed

    Ali Muhammed, originaire du Soudan, a été blessé par balles à plusieurs reprises et laissé pour mort par les rebelles, avant de fuir son pays. Il aimerait obtenir un permis de séjour en France.

    «Je suis arrivé à Calais il y a trois mois, après avoir fui le Soudan à cause des miliciens arabes. Ils sont venus dans notre village et ils ont tué tout le monde. Mon frère a été tué, moi j’ai été touché à l’épaule et si j’ai survécu, c’est parce qu’ils ont cru que j’étais mort.»

    «Je n’ai pas envie de souffrir encore. J’ai souffert toute ma vie. C’est terminé.»

    «Je suis allé en Libye et on m’a enfermé pendant cinq mois dans la prison d’al-Kuwayfia. J’ai été torturé par la milice, qui nous nourrissait à peine. Six personnes sont mortes en prison quand j’y étais. Un haut-gradé qui s’appelait Salim m’a fait sortir et j’ai travaillé pour lui pendant un mois. On me donnait des coquillettes et du riz, mais ce n’était pas assez. J’ai travaillé pour lui parce que je voulais seulement être libre.»

    «J’ai essayé deux fois de rallier l’Europe par la mer. La première fois, seulement deux personnes ont survécu. Je me suis accroché à un gros bidon et je n’ai pas lâché. Ensuite, j’ai dû attendre un mois parce que le passeur m’a dit que je pouvais recommencer, comme j’avais payé la première fois.»

    «Ça fait trois mois que je suis ici et j’ai fait une demande d’asile il y a une semaine. Je n’ai aucune raison de rentrer, je n’ai pas envie de souffrir encore. J’ai souffert toute ma vie. C’est terminé.»

    David, 22 ans

    David, originaire d’Erythrée, nous a raconté comment enfant, on le torturait en lui battant les pieds jusqu’au sang.

    «Ça fait trois mois que je suis ici et j’ai essayé de partir une fois. Et puis j’ai vu l’église [du camp] et j’ai pensé "Il faut que tu la termines". J’ai fait une promesse à Dieu, je ne partirai pas avant d’avoir fini de la construire. Coûte que coûte. Et après, j’essaierai de monter dans un train.»

    «La police nous asperge de gaz lacrymogène. On sait que ce n’est pas de leur faute, qu’ils font juste leur travail et qu’ils savent que ce n’est pas correct.»

    «On a fui l’Erythrée parce que là-bas, il n’y a aucune liberté et mes parents souffraient de ne pas pouvoir pratiquer leur religion. Alors, quand j’avais 6 ou 7 ans, on est partis au Soudan. Mon père est mort quand j’avais 3 ans. Ma mère n’a jamais vraiment su pourquoi. Elle m’a dit qu’un jour, des gens sont venus en disant qu’ils étaient du gouvernement et qu’ils l’ont emmené avec eux. Ma mère est morte d’un cancer quand j’avais 15 ans. Ma femme est morte en accouchant de notre fils.»

    «Du Soudan, il m’a fallu un an et demi pour arriver en France. Je suis passé par tellement de prisons en Libye. Certains paient pour faire libérer les autres. Je n’ai plus personne sur cette Terre à part mon fils, alors qui paiera pour moi? Et puis j’ai vu des gens s’évader, alors je les ai suivis. Il y avait des voitures qui les attendaient dehors. Personne ne m’attendait.»

    De nombreuses habitations sortent de terre à l’intérieur et en bordure du camp. La construction de celles-ci vient tout juste de commencer. Elles seront ensuite isolées grâce à des sacs plastiques et des couvertures.

    «On m’a attrapé et j’ai été emprisonné encore une fois parce que je n’avais pas de papiers, j’étais un immigré illégal. Ils m’ont fouetté les mains et les pieds. Il y avait des prisonniers à qui on avait pris leurs reins.»

    «[Quand je suis sorti de prison], j’ai demandé à des pilotes de bateaux de m’aider, au nom de Dieu. Dieu m’est venu en aide. Je lui ai dit "Je ne devrais pas avoir à subir une telle vie, je ne suis encore qu’un bébé".»

    «Je veux aller en Grande-Bretagne parce que je parle anglais. Je veux étudier. Mais c’est compliqué; quand on traverse la route pour aller vers les camions, la police nous asperge de gaz lacrymogène. On sait que ce n’est pas de leur faute, qu’ils font juste leur travail et qu’ils savent que ce n’est pas correct. C’est au gouvernement qu’on en veut.»

    Gulbaz Zatran, 20 ans

    «Les gens disent qu’il n’y a pas de violence, pas de combats dans notre pays. Vraiment? Chaque jour, une bombe explose quelque part. Il y a beaucoup de violences en Afghanistan. Ma famille est là-bas. Mon père est mort dans une explosion.»

    «S’il n’y avait pas de problèmes, pourquoi serais-je venu ici? Est-ce que c’est une vie? Non. C’est pour ça que je suis ici.»

    «En Angleterre, la vie est meilleure. Les gens vous respectent plus.»

    «J’ai travaillé dans l’armée afghane pendant quelques temps. Les talibans voyaient ça d’un mauvais œil et ils m’ont demandé "Pourquoi travailles-tu ici?" Alors je me suis enfui. Ils ont menacé de tuer mon père mais je ne suis pas rentré.»

    Ma mère, mon père, ma famille —ils ont tous été tués par les talibans. Je suis seul, désormais.

    Je suis passé par l’Iran, la Turquie et l’Italie avant de me retrouver ici. Je n’avais pas d’argent et j’ai dû me glisser sur un bateau. Ça fait huit mois que je suis dans cette jungle et chaque jour j’essaie d’en sortir.

    J’essaie de gagner de l’argent pour me faire aider par un passeur. En Angleterre, la vie est meilleure. Les gens vous respectent plus.

    Je n’ai personne. Qu’est-ce que je devrais faire? Ma vie n’est pas bonne en Afghanistan et je n’ai plus personne. Les gens ne viennent pas ici parce qu’ils en ont envie.»

    Alpha Dia, 32

    Le père d’Alpha Dia s’est battu contre l’Allemagne aux côtés des troupes françaises en 1945. On lui avait promis un logement, pour sa famille. Quand Dia —qui a refusé d’indiquer son pays d’origine par peur des représailles— l’a signalé aux autorités françaises, on lui a répondu que son père n’avait signé aucun papier.

    «Dans mon pays, ils appliquent la Charia. On est traités comme des esclaves. S’ils me retrouvent ici, je vais avoir des problèmes.»

    «Je suis parti en 2005 et je suis resté en Turquie pendant un an, puis en Grèce pendant six ans. J’ai passé quelques jours en Bulgarie, puis trois mois en Belgique, et je suis parti à Paris. Je vis en France depuis trois ans, et à Calais depuis six mois.»

    «En Grande-Bretagne, on met six mois à nous dire si on peut obtenir l’asile. En France, ça prend un an. Ici, à Calais, il y a une ou deux voitures qui viennent deux fois par semaine. Ils prennent notre argent et nous frappent jusqu’à ce qu’on soit à terre, ils frappent aussi les jeunes. Dix personnes ont fini à l’hôipital ces trois dernières semaines.»

    «Parfois, la police prend nos chaussures et nous dépose à plusieurs kilomètres pour qu’on arrête de marcher.»

    «On a montré les plaques d’immatriculation à la police, mais elle n’a rien fait. Certains me disent "Viens, on casse leur pare-brise", mais je refuse parce qu’on pourrait nous voir. C’est par nos actions que l’on montre qui on est.»

    «Je suis sûr que si ma mère me voyait ici, elle pleurerait. Avant, je vivais en centre-ville mais tous les jours, la police me chassait. Maintentant, je me repose. Parfois, la police prend nos chaussures et nous dépose à plusieurs kilomètres [si elle nous surprend en train de monter dans un camion] pour qu’on arrête de marcher.»

    «Je vais rester ici quelques temps. Je suis fatigué, mes amis aussi. Je ne sais pas comment passer de l’autre côté. J’ai essayé trop de fois.»

    Daniel Fsai, 17 ans

    «J’ai quitté Khartoum parce que parfois, je trouvais du travail et parfois non. Ça fait un an et trois mois que je suis en Europe, et neuf mois que je suis dans la "jungle". Il ne faut pas appeler ça un camp, c’est une jungle. Et la jungle, c’est pour les animaux, pas pour nous.»

    «J’ai essayé tellement de fois de partir; trois fois rien qu’aujourd’hui, j’ai tenté de monter dans un camion. Mais je me suis fait prendre et ils m’ont déposé devant le KFC. Je me suis fait pincer trois fois hier. Parfois, il n’y a pas de voitures, parfois, il y en a beaucoup. Ça dépend des jours.»

    «Maintenant, la police utilise du gaz lacrymogène —je m’en suis pris une fois aujourd’hui et deux fois hier. Alors après, je fume une cigarette pour me calmer.»

    Derek

    «Ça fait six mois que j’essaie d’entrer au Royaume-Uni. J’ai fait une demande d’asile, récemment. Mais je n’abandonne pas et chaque jour j’essaie de monter sous les camions et de m’accrocher entre les pneus. J’ai déjà réussi dix fois.»

    «Je fais ça la nuit, entre une et trois heures du matin. Le trafic est plus dense et les camions roulent plus lentement, donc on a plus de chance de réussir à se glisser en dessous.»

    Le prénom de Derek a été changé pour des raisons de sécurité.

    Mohammed Ibrahim, 33 ans

    «Ça fait un mois et une semaine que je suis ici. Depuis le Soudan, j’ai traversé le désert pour arriver en Libye, puis j’ai pris un bateau jusqu’en Italie. Ensuite, j’ai pris une voiture jusqu’à Paris et je suis arrivé à Calais.»

    «Sans argent, tu deviens leur otage.»

    «Le régime soudanais a détruit mon village à coups de mortiers. Ils ont tout détruit, alors je suis parti avec ma femme et mon bébé et on est allés jusqu’au camp de Kalma. A l’époque, mon fils avait tout juste un an. Ça fait un an que je ne les ai pas vus.»

    «En Libye, quelqu’un nous a tout volé. Ils ont pris nos téléphones portables et notre argent. Et sans argent, tu deviens leur otage. Ils te donnent un téléphone et te font appeler tes proches pour qu’ils t’envoient de l’argent. J’ai dû retourner au Soudan et travailler pour regagner l’argent volé pour pouvoir payer le voyage.»

    «Certaines personnes en France —les fascistes— nous voient comme des animaux et nous traitent mal. On nous jette des pierres, on nous fonce dessus en voiture. Mon ami Idris a eu les deux jambes cassées après qu’une voiture lui a roulé dessus. Il est à l’hôpital. Ils [le gouvernement] veulent nous garder dans une grande cage, comme des animaux.»

    «Quand j’ai essayé de traverser la Manche, ils m’ont mis dans un centre de rétention et m’ont présenté un agent spécialisé dans les demandes d’asile. Ils m’ont aussi donné un avocat et un interprète, puis ils m’ont relâché. Ils ont essayé de me renvoyer au Soudan, mais mon avocat leur a dit que je courais un "grand danger" si j’y retournais. Maintenant, il faut que je fasse une demande d’asile.»

    «Les noirs faisaient la queue. Les blancs, eux, entraient sans faire la queue.»

    Ahmied Hessen, 36 ans

    Ahmied Hessen nous montre son sac et sa chemise, tachée de gaz poivre après qu’une dizaine de policiers ont dispersé par la force et à renfort de gaz lacrymogène des centaines de migrants assis dans un champ. La plupart attendait que la circulation reprenne pour tenter, une nouvelle fois, de s’introduire dans un camion.

    «J’ai quitté le Soudan parce que je n’y étais pas en sécurité. Mon village a été attaqué; j’étais avec ma femme, mais je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Les militaires attaquent tous les villages, ils attaquent tout le monde. Je suis venu me réfugier ici. Je suis toujours en cavale.»

    A propos des taches de gaz poivre sur sa chemise:

    «On est allés au supermarché, et on a fait la queue pour entrer. Les noirs faisaient la queue, on avait le droit d’entrer par groupe de cinq maximum. Les blancs, eux, entraient sans faire la queue. On a acheté de quoi manger, et j’ai payé avec de l’argent.»

    «On avait besoin de manger. Quand on est sortis, la police était là et nous a chassés et aspergés de gaz.»

    «Je voudrais aller en Grande-Bretagne pour être en sécurité. Comment peut-on rester ici avec des gens comme ça?»

    Zabeen Rasooli, 23 ans

    «Mon père est mort il y a 15 ans. Il combattait et il a été tué par les talibans. C’était dangereux pour moi de rester là-bas parce qu’il travaillait pour une entreprise américaine. J’ai travaillé pour trois sociétés de construction et j’ai aidé à construire un camp militaire pour l’armée afghane et la police, comme [celui qui est à] Helmand. Il servait à la fois pour l’armée américaine et pour l’armée afghane.»

    «Les talibans m’ont dit "Arrête de travailler pour eux, sinon, on te tue." Alors j’ai arrêté, mais personne d’autre n’aidait ma famille. Alors j’ai quitté l’Afghanistan et ça fait six ans que je suis en Europe.»

    «Comment peut-on vivre dans une jungle? La jungle, c’est pour les animaux, pas pour les humains.»

    «L’Allemagne a refusé ma demande d’asile. Je travaillais dans une pizzeria mais ils ne m’ont pas gardé, alors je suis retourné en Italie. Je suis resté là-bas pendant deux ans et ils m’ont donné une carte de séjour valable cinq ans. Mais il n’y avait pas de travail. Je dormais dans un parc.»

    «Même ici, ce n’est pas une vie pour moi. Je ne peux pas dire à ma mère et à mes cinq frères que je vis dans la "jungle". Quand je leur parle, et qu’ils demandent où j’habite, je leur dis "Dans un immeuble, j’ai un appartement". Je ne peux pas retourner voir ma famille. Je ne les vois que par Skype.»

    «Je veux travailler au Royaume-Uni. En Italie, il n’y avait pas de travail. La plupart des gens quittent l’Italie pour le Royaume-Uni pour trouver du travail. Si tu fais une demande d’asile ici, on ne te donne pas de logement. Ça fait quatre mois que j’habite ici. On vit dans la jungle. Comment peut-on vivre dans une jungle? La jungle, c’est pour les animaux, pas pour les humains.»

    Traduit par Nora Bouazzouni

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