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    2017, année sanglante pour la communauté LGBT américaine

    Le nombre de personnes LGBT tuées en 2017 aux États-Unis dépasse déjà celui de l'année 2016. Un «signal d'alarme», pour les associations.

    Les associations de défense des droits civils ont déjà dénombré plus de meurtres de personnes LGBT en 2017 que pour l'ensemble de l'année 2016.

    Au mois d'août 2017, la Coalition nationale des programmes antiviolence (NCAVP) comptabilise 33 personnes LGBT tuées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur transidentité réelle ou supposée. En 2016, en excluant les 49 personnes tuées dans la fusillade du Pulse, une boîte de nuit gay à Orlando, en Floride, on en comptait 28.

    Ces chiffres représentent environ un meurtre tous les 13 jours pour l'année 2016. En 2017, ce ratio est jusqu'à aujourd'hui d'un tous les 6 jours.

    Parmi les personnes tuées cette année, 15 étaient des femmes trans de couleur, et au moins 12 d'entre elles étaient des hommes gays «cisgenres», c'est-à-dire non trans. Ces meurtres sont survenus partout aux États-Unis, du Texas à New York en passant par le Wisconsin.

    Selon le NCAVP, il n'y a pas d'explication unique à cette augmentation. L'ONG estime que cette augmentation de la violence à l'égard des personnes LGBT s'accompagne d'une meilleure couverture médiatique de ces meurtres et d'une meilleure identification de ces victimes par les forces de l'ordre. Ces derniers mois, l'attention médiatique accrue sur les droits LGBT, et en particulier sur les droits des transgenres, pourrait aussi expliquer en partie ce chiffre.

    «Qu'il s'agisse d'un renforcement de la couverture médiatique, d'une montée des violences, ou des deux à la fois, je crois que ce nombre devrait constituer un signal d'alarme pour l'ensemble de nos communautés, estime Beverly Tillery, directrice exécutive du Projet anti-violence de la ville de New York. Les actes de violence motivés par la haine ne disparaissent pas. De toute évidence, ils ne sont pas en baisse. Et ils sont symptomatiques de problèmes plus graves et plus profonds dans notre société, que nous n'avons toujours pas essayé de résoudre.» Son groupe, qui travaille en coordination avec le NCAVP, est l'organisme qui s'est occupé du rapport sur les violences.

    «Cela devrait constituer un signal d'alarme pour l'ensemble de nos communautés. Les actes de violence motivés par la haine ne disparaissent pas.»

    Les chiffres du NCAVP ne sont pas définitifs, mais en l'absence de données gouvernementales fiables, ils constituent l'indicateur annuel le plus complet sur le nombre d'homicides de personnes LGBT déclarés aux États-Unis. L'organisme rassemble des données à partir des articles de presse, des amis et des membres des familles des victimes, ainsi que des organisations membres à travers le pays.

    Ils catégorisent les homicides en tant qu'«actes de violence motivés par la haine» si les faits permettent d'affirmer que la victime a été la cible de ces violences en raison de son identité de genre ou de son orientation sexuelle. Cela ne veut pas dire pour autant que ces meurtres ont été classés comme des «crimes haineux» (hate crimes) par les forces de l'ordre, qui ont des normes légales différentes pour les catégoriser.

    Pour Dallas Drake, chercheur au Centre de recherches sur les homicides interrogé par BuzzFeed News, le taux d'homicides des femmes trans et des homosexuels vaut la peine d'être étudié, mais il n'y a aucun moyen de savoir si ces chiffres représentent une véritable montée des violences. Dans tous les cas, selon lui, il est probable que le NCAVP en sous-estime le nombre réel.

    «Le nombre d'homicides de personnes LGBT est bien plus élevé que celui publié», explique-t-il. «Ils ne parlent pas des meurtres ayant eu lieu dans de plus petites villes, ni des cas où ces crimes ne peuvent être facilement identifiés comme des homicides de personnes LGBT.»

    Vanessa Panfil, professeure assistante en sociologie et en justice criminelle à l'université Old Dominion de Virginie, estime que la montée des violences est en phase avec la réaction violente à laquelle on assiste face aux progrès réalisés en matière de droits des LGBT ces dernières années.

    Un retour de flamme, dit-elle, en partie encouragé par l'administration de Donald Trump qui revient sur les orientations et les politiques favorables aux personnes LGBT de l'ère Obama, comme le soutien aux droits des étudiants trans ou l'autorisation pour les personnes trans de servir dans l'armée. Le résultat, c'est qu'à travers tout le pays, des personnes transgenres doivent attendre les décisions des tribunaux pour savoir s'ils ont le droit d'utiliser les toilettes correspondant à leur identité de genre, une décision sur laquelle la Cour suprême a choisi de ne pas se prononcer lorsqu'elle a renvoyé une affaire de jurisprudence sur les droits des trans à un tribunal inférieur plus tôt cette année. Au niveau des États, les «lois sur les toilettes» pour les transgenres n'avancent pas beaucoup depuis la défaite de la loi HB2 en Caroline du Nord, mais certaines législatures locales envisagent à présent des lois qui empêcheraient les villes et les mairies de prendre des arrêtés de non-discrimination.

    L'augmentation des violences pourrait être «influencée par l'hétérosexisme, la transphobie et l'homophobie qui ont toujours existé mais que les réactions récentes ont encouragé», ajoute Vanessa Panfil, qui étudie les crimes de haine commis contre les personnes LGBT.

    Deux des meurtres de femmes trans de couleur ont eu lieu à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Quelqu'un a tiré sur Chyna Gibson, 31 ans, et l'a tuée à l'extérieur d'un centre commercial. Ciara McElveen, 25 ans, a été poignardée à mort dans le septième district de la ville. Il n'y a aucun lien entre les deux incidents.

    Née à la Nouvelles-Orléans mais vivant à Sacramento, Chyna Gibson était en ville pour fêter Mardi gras, ont dit ses amis au Times-Picayune en mars. Elle a été abattue un samedi de février à l'extérieur du centre commercial Bella Plaza où elle se rendait pour acheter une robe qu'elle comptait porter à une fête ce soir-là.

    Chyna était une artiste connue sur la scène drag-queen, où son nom de scène était Chyna Doll Dupree. «Ça a été un choc pour tout le monde car je ne l'ai jamais entendu parler de querelles», a dit au journal Dayshawn Brown, une de ses amies.

    Le lundi matin suivant, Ciara McElveen était poignardée à plusieurs reprises avant d'être retrouvée sur le trottoir. Le Times-Picayune assure qu'un témoin avait dit à la police avoir aperçu un homme au volant d'une voiture noire, avec Ciara McElveen dans le siège passager, s'arrêter sur le bas-côté. L'homme a ensuite sorti quelque chose du coffre de la voiture, est retourné du côté passager, et a poignardé Ciara McElveen, avant de la traîner hors de la voiture et d'écraser sa tête contre la chaussée. Il est ensuite reparti au volant de sa voiture.

    «Elle était extravertie… et elle avait la tête bien vissée sur les épaules», a raconté au journal Ayrielle, une amie de la victime, quelques jours plus tard. «La justice doit être rendue.»

    Les services de police de la Nouvelle-Orléans enquêtent sur le meurtre de Chyna Gibson qu'ils qualifient de crime haineux, mais pas sur celui de Ciara McElveen. Selon eux, cette enquête revient au FBI, à qui les autorités locales ont transféré l'affaire (en Louisiane, ainsi que dans douze autres États, les lois sur les crimes haineux couvrent les orientations sexuelles, mais pas l'identité de genre).

    Agent de liaison entre la communauté LGBT et les services de police de la Nouvelle-Orléans, le sergent Frank Robertson a expliqué avoir le sentiment d'avoir réalisé des progrès depuis deux ans en améliorant les relations entre la police et les résidents LGBT de la ville.

    «Les défis auxquels nous faisons face avec les membres des communautés trans et homo, c'est que leurs membres sont réticents à l'idée de venir nous parler pour des raisons évidentes. Ou ils ont peur, ou ils ne font pas confiance à la police», explique le sergent Robertson.

    Interrogée par BuzzFeed News, CoBella Monroe, 20 ans, porte-parole du groupe militant pour les droits trans de la Nouvelle-Orléans, BreakOUT, explique que sans mesures de protection contre les discriminations, de nombreuses personnes trans ne peuvent s'assurer une source régulière de revenus ou un endroit pour vivre.

    «Nous devons nous assurer que notre communauté a des ressources pour que ces chiffres baissent et que les gens ne soient pas victimes d'intimidations et d'attaques dans les rues», dit-elle

    Vingt-huit États américains ne disposent d'aucune loi protégeant spécifiquement les personnes LGBT contre les discriminations en matière de logement et d'emploi. Deux États, le Wisconsin et le New Hampshire, offrent ces protections, mais seulement en matière d'orientation sexuelle, et non en matière de transidentité.

    Lors d'une autre affaire en mars de cette année, Andrew Nesbitt a été poignardé à mort dans son appartement à Madison, dans le Wisconsin. C'était le jour de son quarante-sixième anniversaire.

    Andrew Nesbitt était sorti fêter son anniversaire avec des amis dans un bar du coin la veille au soir, a indiqué le Wisconsin State Journal. Les circonstances de sa rencontre avec son meurtrier sont troubles. Le colocataire d'Andrew Nesbitt l'a retrouvé mort dans leur appartement, avec de multiples blessures provoquées par des coups de couteau, le lendemain matin de sa fête d'anniversaire.

    Darrick E. Anderson, 23 ans, a été condamné pour homicide au premier degré après qu'un échantillon sanguin correspondant au sien a été retrouvé dans la cuisine d'Andrew Nesbitt.

    L'assassinat d'Andrew Nesbitt n'est pas considéré comme un crime haineux. Ni les services de police de Madison, ni le bureau du procureur de district du comté de Dane n'ont répondu à nos questions.

    Kathy Flores, de l'ONG Diverse & Resilient, basée dans le Wisconsin, connaissait très bien Andrew Nesbitt. Elle l'avait rencontré après qu'il avait été attaqué et gravement blessé près d'un bar gay en 2011. Un acte qualifié à l'époque de crime haineux.

    «Je travaille avec bon nombre de survivants qui se sont fait attaquer chez eux, devant leur travail, à l'intérieur comme à l'extérieur de bars LGBTQ, dans des parcs en ville, des choses de ce genre. Le message envoyé aux membres de la communauté LGBTQ est clair: nous ne pouvons être en sûreté nulle part», explique-t-elle.

    Selon elle, le rapport du NCAVP attire l'attention sur les meurtres qui ne collent peut-être pas à la définition juridique des crimes haineux au sens strict, mais où les victimes ont été de fait tuées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

    Elle a cité l'exemple d'un barman à Milwaukee, dans le Wisconsin, qui a été tué sortant d'un bar gay cette année. L'affaire n'avait pas été désignée comme un crime de haine. «L'intention était peut-être de le voler, mais le choix de la victime pouvait être lié au fait qu'il était gay et qu'il avait été aperçu en train de quitter un établissement LGBTQ. Je pense donc qu'il a été pris pour cible pour des motifs homophobes et avec des intentions haineuses.»

    Cet article a été traduit de l'anglais.