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    Nous avons interrogé les ados qui ont quitté les réseaux sociaux

    Les adultes disent souvent qu’ils vont supprimer leur compte Facebook ou arrêter Twitter. Les ados, eux, le font. Car ceux que l’on croit accro sont souvent plus doués lorsqu’il s’agit de se protéger.

    Après avoir terminé le lycée, ses amis ont déménagé pour aller à la fac, mais Becca Ann est restée dans sa ville natale pour faire ses études dans une petite université locale. Ses amis et ses amies avaient tous déménagé pour aller dans d'autres universités plus grandes que la sienne. Sur Snapchat, elle se sentait bombardée par leurs photos et leurs vidéos en soirée, comme si elle avait été laissée de côté. «Ça paraît vraiment mesquin, mais ma santé mentale ne pouvait plus le supporter. Ça ne faisait que renforcer l’idée que j’avais été remplacée et laissée en arrière», explique-t-elle. Elle n’a pas supprimé son compte Snapchat, mais elle ne le consulte plus vraiment. Pareil pour son compte Instagram. Maintenant, elle se connecte sur Instagram uniquement sur un compte séparé créé spécialement pour suivre sa comédie musicale préférée, The Phantom of the Opera.

    «Pour être honnête, c’est épuisant d’essayer de tout suivre», avoue Jacob Whiting, 18 ans. «Je me fiche de 99 % des publications sur Instagram, je ne veux pas me comparer sur Snapchat à tous ceux qui s’amusent plus que moi, je me fiche de l’opinion en 140 caractères des autres sur Twitter. Je suis déjà assez anxieux ; j’utilise Facebook pour poster des conneries et pour être en contact avec ma famille, je n’ai pas vraiment besoin d’autre chose.»

    On pense que les ados sont connectés aux réseaux sociaux comme à un cordon ombilical, et qu’ils ne peuvent pas s’en détacher. Mais peut-être que seuls ces vrais habitués, qui sont entrés en maternelle quand MySpace était à son apogée, se connaissent assez bien pour savoir quand se déconnecter.

    Le stress des ados, loin du désenchantement des adultes

    Récemment, une nuée d’adultes — et en particulier des journalistes — disent et écrivent qu’ils vont supprimer leurs comptes Facebook, faire une pause loin de Twitter, ou de l’utiliser pour autre chose. Comme mon collègue Charlie Warzel le fait remarquer, cette tendance chez les journalistes spécialisés dans la tech montre un problème plus large : les gens n’en peuvent plus de ces géants sociaux. Ils sont frustrés par le manque d’action pour stopper le harcèlement en ligne, par l’extrémisme qu’on laisse s’étendre, par le manque de transparence sur la manière dont les données personnelles sont utilisées, et par le fait que personne n’a pu empêcher les Russes de s’immiscer dans la campagne. Et les gens qui gèrent ces grosses plates-formes voient également les problèmes. Twitter demande à des entreprises extérieures de l’aider à évaluer si les conversations qui s'y déroule sont «saines». Après avoir annoncé une nouvelle mesure qui détermine si le «temps [passé sur Facebook a été] bien utilisé» en janvier, Mark Zuckerberg a été obligé de se répandre en d’excuses en raison du scandale Cambridge Analytica.

    Si mes collègues journalistes souhaitent faire un pause loin de Twitter, ou commencer à l'utiliser différemment, c'est parce que le flux constant d'informations auquel ils sont confrontés génère beaucoup de stress. Mais pour les ados, le stress causé par Instagram ou Snapchat est très différent du désenchantement des adultes par rapport à Twitter et aux informations, et les enjeux sont souvent beaucoup plus importants.

    C’est vrai que les ados actuels sont plus actifs sur les réseaux sociaux que toutes les autres tranches d’âge. Ils préfèrent des plates-formes différentes des adultes. Jusqu’à l’automne dernier par exemple, 47 % des ados déclaraient que Snapchat est leur réseau social préféré, ce qui n’est pas le cas des trentenaires comme moi. Et la manière dont ils utilisent les réseaux sociaux est fondamentalement différente : ils utilisent Twitter pour partager des mèmes plutôt que des opinions sur Trump, et Facebook est un truc ringard où les parents traînent. Sur Instagram, il est assez courant pour les ados d’avoir un «finsta», un compte privé avec seulement quelques amis, où vous publiez les photos que vous ne voulez pas avoir sur un compte public que vos parents pourraient voir.

    Il n’existe pas de données indiquant combien d’ados font une pause ou quittent les applications de réseaux sociaux. Mais certaines données montrent que les réseaux sociaux peuvent avoir un impact négatif sur la santé mentale des jeunes. Une étude du Pew Center en 2015 sur les ados et les réseaux sociaux a trouvé que 53 % des ados ont vu des publications sur des événements auxquels ils n’étaient pas invités. 21 % des ados ont déclaré avoir une image de leur propre vie dégradée à cause du post d'un de leurs amis. Un rapport de 2017 de chercheurs britanniques a établi qu’Instagram était la plate-forme ayant les pires effets sur la santé mentale des jeunes (de 14 à 24 ans), et qu’elle entraînait des sentiments d’anxiété, de solitude, et des problèmes d’image du corps, particulièrement chez les jeunes filles.

    Effet sur la santé mentale

    De nombreux jeunes que j’ai interrogé ont parlé des effets d’Instagram sur l’estime de soi et la santé mentale. «Bien avant d’arrêter, j’ai compris [qu’Instagram et Facebook] avaient un effet négatif sur ma santé mentale et mon bonheur en général», explique Kate Dart, 21 ans, qui utilise toujours Facebook. «J’avais tendance à comparer ma vie à celle de parfaits inconnus. Je savais au fond de moi que je ne voyais qu’une version épurée et embellie de leur vie, mais c’était quand même facile de me convaincre que tout le monde était heureux et "avait une vie géniale" 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et que c’était moi qui avais un problème.»

    Gigi Bateman (nom modifié), 18 ans, a dû quitter tous les réseaux sociaux lors d'un séjour en hôpital psychiatrique. Depuis, elle s’en tient éloignée (à part Facebook, mais pour une ado c’est aussi intéressant que de lire L'Argus de l'assurance). «En général, je lis seulement les nouvelles, regarde mon fil d’actualité Facebook de temps en temps, et j’essaye de m’occuper autrement, en recommençant à apprendre le français par exemple ou en restant plus ancrée dans la réalité et en contact avec ma famille», détaille-t-elle. Ça a été dur d’arrêter : elle a parfois dû demander à sa mère de cacher son téléphone pour elle. Mais maintenant elle est plus heureuse sans Instagram, Twitter ou Snapchat. L’année prochaine elle part à l’université, et elle ne prévoit pas de se reconnecter. «J’ai eu l’impression d’avoir créé une routine toxique pendant quelques années, et abandonner cette routine a été difficile, parce que maintenant ça fait pratiquement partie de ma mémoire musculaire.»

    Morgan Mase, en terminale, n’a jamais eu Facebook ou Twitter, et elle a arrêté Instagram. «Je pense que beaucoup de gens passent trop de temps à essayer de donner cette image d’eux sur les réseaux sociaux, et à un moment j’ai simplement décidé que c’était inutile», dit-elle. «J’ai supprimé Instagram à la fin de la 4e, et mon estime de moi s’est beaucoup améliorée depuis (probablement pas directement parce que j’ai supprimé Instagram, mais je suis sûre que ça n’aidait pas). De 13 à 14 ans, c’est l’âge où on se sent tous peu sûr de nous et de qui on est, et pour moi Instagram a vraiment exacerbé ces insécurités.»

    Morgan a quitté Snapchat il y a 6 mois pour une autre raison : elle trouve que ça prenait trop de son temps libre. Elle n’est pas la seule à arrêter les réseaux sociaux pour être plus productive. Devin, une lycéenne de New York, explique qu’elle et ses amis arrêtent souvent de se rendre sur les réseaux sociaux pendant les périodes d’examen ou quand ils se sentent dépassés. «En général, Instagram et Snapchat disparaissent en premier, alors que Facebook/Messenger, qui sont presque une nécessité, restent», dit-elle. Elle adore envoyer des messages vocaux et des notes, et même des textos à l’ancienne pour conserver sa vie sociale.

    Devin a une théorie pour expliquer pourquoi elle et ses pairs gèrent mieux la pression des réseaux sociaux que les adultes. «Peut-être qu’on arrive bien à faire le ratio mauvaises-nouvelles/soirées-auquelles-vous-n’étiez-pas-invité VS super-mème-excellent-qui-me-met-de-bonne-humeur.» ●