Aller directement au contenu

    Juanita Broaddrick, qui accuse Bill Clinton de viol, veut qu'on la croie

    Depuis des décennies, Juanita Broaddrick, qui a aujourd’hui 73 ans, dit que Bill Clinton l'a violée. Aujourd’hui, son témoignage est une épine dans le pied des progressistes, et de Hillary Clinton en particulier —cette dernière défend le droit des victimes de viol à être entendues et crues. Pour le camp de Trump, c’est du pain béni.

    VAN BUREN, Arkansas — Juanita Broaddrick a créé son compte Twitter en 2009. Cette femme de 73 ans, ancienne gérante de maison de retraite à Van Buren dans l’État de l’Arkansas, a d'abord un peu tweeté sur la météo, sur Weight Watchers, sur le fait de boire une tasse de café sur son porche. Et puis elle avait ensuite laissé tomber le réseau social jusqu’à l’automne 2015. Hillary Clinton venait de tenir une série de propos, et elle était furieuse.

    En septembre dernier, Hillary Clinton a tweeté que toutes les victimes d’agression sexuelle avaient «le droit d’être crues». En novembre, elle a réitéré que «toute victime d’agression sexuelle mérite d’être entendue, crue, et soutenue». Le mois suivant, lors d’un meeting de campagne, un membre du public lui a demandé si les femmes qui avaient accusé son mari de harcèlement et d’agression sexuelle —et parmi elles Juanita Broaddrick— méritaient elles aussi d’être «crues».

    «Eh bien, je dirais que tout le monde mérite d’être cru au départ, jusqu’à ce que les preuves montrent le contraire», répond alors Hillary Clinton avec un sourire un peu trop lent pour ne pas être gêné.

    Juanita Broaddrick déborde de cette hospitalité propre au Sud des États-Unis, sincère et douce comme du thé sucré, mais les propos de Hillary Clinton sur les agressions sexuelles la rendent «dingue», nous explique-t-elle. Cela fait des années qu'elle n’avait pas fait parler publiquement des Clinton. «Que puis-je dire pour que cette histoire devienne crédible pour les gens, que cela m’est vraiment arrivé?», a-t-elle pensé en voyant les commentaires de la candidate, assise chez elle, seule et furieuse. Elle s'est donc reconnectée à son compte Twitter resté inactif et a commencé à taper. En janvier, un de ses tweets est devenu viral: «J’avais 35 ans lorsque Bill Clinton, procureur général de l’Arkansas, m’a violée et que Hillary a essayé de me faire taire. J’ai maintenant 73 ans… cela ne disparaît jamais.»

    Juanita Broaddrick affirme que Bill Clinton, alors procureur général de l’Arkansas, l'a violée en 1978 pendant ce qui aurait dû être une réunion d’affaires matinale. Tout comme beaucoup d’accusations de viol, il n’y a aucun moyen de prouver une bonne fois pour toutes ce qu’il s’est réellement passé, en particulier car Juanita Broaddrick a mis plusieurs décennies pour témoigner. Un avocat de Bill Clinton en 1999 rapporta que son client niait avoir agressé Juanita Broaddrick et il n’a jamais été inculpé. (Un porte-parole a refusé de donner plus de détails à BuzzFeed News.) Mais contrairement aux allusions de Hillary Clinton, il n’existe pas non plus de «preuve» concrète qui discréditerait l’accusation de viol. Ces allégations dérangent depuis longtemps les Démocrates —pour les Républicains, en revanche, c’est une cause en or dont ils peuvent se faire les défenseurs.

    «Les femmes savent que c’est une attaque injuste envers Hillary, et c’est pour cette raison que cela continue d’exister dans le petit monde des médias de droite»

    La nostalgie des années 90 ne s’arrête pas aux rediffusions de Friends, aux colliers ras-du-cou ou aux Pokémon. Nous rejouons et rejugeons aussi les scandales de cette décennie, avec le recul que nous offre le XXIe siècle. Notre perception des abus sexuels a évolué, grâce au nombre exceptionnel de femmes qui témoignent. Depuis les campus universitaires en passant par l’armée ou le cadre professionnel, les victimes d’agression sexuelle parviennent à obliger les violeurs, et les institutions qui les protègent, à rendre des comptes. Elles éradiquent également les mythes bien enracinés concernant les victimes «parfaites» et le comportement qu’elles devraient, ou auraient dû, avoir.

    En y regardant de plus près, O.J. Simpson n’est pas seulement resté impuni pour le meurtre de son ex-femme et de son compagnon, mais également pour violences conjugales. De la même manière, il est difficile d’imaginer aujourd’hui qu’un juge soit appointé à la cour suprême des États-Unis alors même qu’il est accusé de harcèlement sexuel, comme c’est le cas du juge Clarence Thomas, accusé par son ancienne assistante au département de l’Éducation du gouvernement américain, Anita Hill –et elle ne serait probablement pas balayée et décrite comme étant «un peu folle et un peu salope». Dans les années 90, les médias ont caractérisé Monica Lewinsky de «traînée»; aujourd’hui, on admire son travail et sa prise de position contre le harcèlement. Bill Cosby n’est plus le «Papa de l’Amérique», mais bien «un probable prédateur sexuel».

    Et le cas de Juanita Broaddrick semble se prêter parfaitement à cette nouvelle analyse. Mais les conséquences politiques de ses accusations sont trop catastrophiques pour que les hommes /femmes politiques et éditorialistes progressistes lui apportent leur soutien, en particulier à quelques semaines de l’élection. Seuls les conservateurs qui haïssent Clinton ont l’air en colère à ce sujet. Et plus ils défendent l’histoire de Juanita Broaddrick, plus les progressistes deviennent méfiants.

    «Les femmes savent que c’est une attaque injuste envers Hillary, et c’est pour cette raison que cela continue seulement d’exister dans le petit monde des médias de droite», explique Marcy Stech, directrice adjointe à la communication du comité d’action politique Emily’s List.

    Juanita Broaddrick ne cesse de répéter que ses intentions ne sont pas politiques. Elle insiste sur le fait qu’elle ne veut pas faire campagne pour Donald Trump et qu’elle votera uniquement pour lui car elle ne veut pas voir l’homme qui l’a violée —et la femme qui l’a soutenu— de retour à la Maison-Blanche. En 2008, elle avait voté pour Barack Obama pour les mêmes raisons, explique-t-elle.

    «Que quelqu’un décide de me donner raison… Ça fait du bien.»

    Mais même si elle refuse de l’admettre, Juanita Broaddrick se rapproche de plus en plus des Républicains à mesure qu'approche l’élection. Auparavant, elle ne tweetait presque qu’à propos de sa propre histoire, et sur le thème des agressions sexuelles; ces temps-ci, son fil Twitter regorge de théories du complot sur Clinton plus ridicules les unes que les autres et d’articles amers sur Benghazi. Si un jour, elle a fait une donation de plus de 1000 dollars à la campagne d'Obama, elle relaie aujourd’hui des tweets le critiquant lui et sa femme.

    Or, le basculement à droite de Juanita Broaddrick entache sa crédibilité. Le camp progressiste ne va pas jusqu’à dire que c’est une menteuse, mais il ne comprend pas non plus pourquoi elle apporte son soutien à Trump, en particulier dans la mesure où son parti a été majoritairement absent du débat actuel sur les violences sexuelles —quand il n’y a pas été clairement hostile. Mais les progressistes qui ont lancé le débat ne sont pas enclin à y intégrer Juanita Broaddrick. Si le soutien de la droite est motivé politiquement, ses représentants affirment au moins croire son récit: c’est pourtant bien la seule chose qu’elle a toujours voulu entendre.

    «C'est très respectueux de me dire qu'on est désolé», nous dit-elle, «mais quand quelqu’un me dit “je vous crois”, c’est probablement ce qui me fait le plus de bien, car je veux que l’on me croie. C’est difficile d’en parler publiquement. Que quelqu’un décide de me donner raison… Ça fait du bien.»

    Les autres femmes qui ont accusé Bill Clinton d’agression ou de harcèlement sexuel –comme Gennifer Flowers (adultère), Paula Jones (harcèlement sexuel), Kathleen Willey (attouchements), et bien sûr, Monica Lewinsky (adultère aggravé)— ont cherché la célébrité, des accords financiers, ou des contrats littéraires. Pas Juanita Broaddrick. Lorsqu’elle ne vivait pas dans l’ombre du couple politique le plus puissant des dernières décennies, elle a pu profiter d'une vie confortable, loin des regards. Elle a bien gagné sa vie en tant qu’administratrice d’une maison de retraite et vit maintenant une retraite de rêve, avec cours de tennis et croisières occasionnelles en Europe.

    Elle vit à Van Buren, une ville de 23.000 habitants à la frontière de l’Oklahoma, dans une demeure de style colonial. La maison se démarquerait du reste de la ville si elle n’était pas cachée dans son ranch de près de 10 hectares. Celui-ci n'est accessible que depuis une voie isolée après un virage abrupte depuis la route principale où s’alignent une église, un garage automobile et une poignée de fast-food.

    Lorsque je lui rends visite, Juanita Broaddrick s'arrête de balayer son porche, habillée d’un jean relevé aux chevilles et d’un débardeur jaune et bleu, pour m'accueillir. Elle m’invite vite à fuir la chaleur écrasante et à m'installer dans le salon, dans l’un de ses nombreux fauteuils moelleux. Son petit-fils de 13 ans, Ridge, qui était en train de repeindre la clôture du jardin, m'emmène faire un tour de la propriété en quad à motifs camouflage.

    Juanita Broaddrick lui avait raconté son histoire avec les Clinton plus tôt cette année, quand il avait surpris des conversations d’adultes déroutantes, et avait remis les pièces dans le bon ordre grâce à Google.

    «Ça a été très difficile. J’ai presque pleuré», raconte-t-elle. «Il m’a dit: “Je sais ce qui s’est passé. Je sais ce que M. Clinton t’a fait.” Et j’ai répondu: “Tant mieux, je suis contente que tu sois enfin au courant parce que cela fait longtemps que j’ai peur que tu l’apprennes.”»

    Maintenant, Ridge aussi est sur Twitter. Il y est aussi précoce et sérieux qu’en personne et espère aider sa grand-mère à «informer sur Hillary et Bill Clinton, du point de vue d’un enfant/d’un adolescent.» Jusqu’à présent, cela consiste surtout à fabriquer beaucoup de mèmes anti-Hillary.

    Dans le jardin, Ridge et moi sommes passés devant des mûriers, un étang avec des nénuphars, un trampoline et une cabane dans les arbres. La maison a aussi une allée privée, longue et ombragée, entourée d’une clôture électrique. Juanita Broaddrick dort avec la porte de sa chambre fermée à clé. Elle porte une casquette de baseball quand elle fait des courses, bien qu’elle ne soit pas certaine que les voisins connaissent son passé, ni même qu'ils en auraient quelque chose à faire. Elle ne pensait pas non plus que ses amies de l’église étaient au courant. Jusqu’au jour où, cette année, lorsque les médias ont recommencé à parler de l’affaire, et que le nom de Juanita Broaddrick a de nouveau fait la une, elles se sont toutes levées et l’ont applaudie quand elle est arrivée à leur dîner hebdomadaire.

    «J’ai découvert qu’elles le savaient toutes, mais qu’elles ne m'avaient jamais rien dit», se souvient-elle. «J’ai pleuré comme un bébé.»

    Voici ce qu'elle raconte depuis des décennies:

    Juanita Broaddrick, alors âgée de 35 ans, rencontra Bill Clinton, procureur général d’Arkansas âgé lui de 31 ans, pendant sa campagne, alors qu’il visitait la maison de retraite où elle travaillait. Ils avaient discuté de sa maison de retraite à elle et de sa campagne à lui —Juanita Broaddrick ne s’intéressait pas beaucoup à la politique, mais elle avait récemment commencé à faire du bénévolat pour sa campagne avec une amie. Clinton lui avait dit d’appeler son bureau si jamais elle se trouvait dans la ville de Little Rock. C’est ce qu’elle fit quelques semaines plus tard, alors qu’elle était de passage pour assister à un congrès d’infirmières. Ils décidèrent de se retrouver un matin au café de l’hôtel où se passait le congrès. À la dernière minute, Clinton lui demanda s’ils pouvaient en fait se retrouver dans sa chambre, car il y avait des journalistes dans le hall. Elle accepta. Quelques minutes après être entrés dans la chambre, il essaya de l’embrasser, raconte-t-elle, et lui mordit la lèvre supérieure avec force.

    Choquée, raconte-t-elle, elle s’opposa à Clinton, lui disant qu’elle était non seulement mariée, mais qu’elle avait aussi un amant (qui deviendrait, plus tard, son second mari). Il l’ignora, la poussa sur le lit et la viola. Elle raconte qu’après, il mit ses lunettes de soleil et lui dit de demander de la glace pour apaiser sa lèvre enflée avant de quitter la chambre.

    «Il n’y avait aucun remord,» dit Juanita Broaddrick. «Il s’est comporté comme si c’était quelque chose de parfaitement normal. Il ne s’est pas excusé le moins du monde. C’était tout simplement irréel.» Elle dit s’être ensuite précipitée vers la porte pour la verrouiller: elle craignait que quelqu’un ne revienne pour la tuer.

    Deux de ses amies, qui participaient elles aussi à la conférence, la retrouvèrent en pleurs, la lèvre enflée et bleue. Elle leur raconta ce qu’il s’était passé mais leur fit promettre de ne rien raconter à personne. Elle avait peur des représailles, elle était persuadée que personne ne la croirait, et culpabilisait d’avoir laissé Clinton monter dans sa chambre.

    «Je n’avais jamais rencontré qui que ce soit qui avait été violé», explique-t-elle. «Je n’avais jamais imaginé que quelqu’un puisse se retrouver dans une telle situation sans pouvoir trouver un moyen de s’en sortir.»

    Peu de temps après, raconte Juanita Broaddrick, elle rencontra Hillary Clinton dans un meeting politique. Elle avait promis à des amis qu’elle y serait présente. Hillary lui serra la main et la remercia pour tout ce qu’elle avait fait pour Bill. Juanita Broaddrick interpréta ce geste comme une menace pour qu’elle garde le silence. En tant que procureur général et plus tard en tant que gouverneur, Bill Clinton était «la personne principale qui régulait mon salaire et mon commerce», explique-t-elle. «Après ce qu’elle m’a dit, j’ai juste pensé, "je vais me taire".»

    L’équipe de campagne de Hillary Clinton a refusé de répondre à BuzzFeed News, mais a dénoncé par le passé les tentatives pour prendre contact avec la candidate au sujet d’allégations contre Bill, argumentant qu’«elle a passé toute sa vie à défendre les femmes et toute accusation affirmant le contraire est un mensonge grossier et injuste.»

    Juanita Broaddrick dit que Bill Clinton l’appela plusieurs fois après l’aggression, mais elle ne répondit jamais. Outre une lettre envoyée par le bureau du gouverneur lorsqu’elle gagna un prix pour sa maison de retraite en 1984 —au bas de laquelle Clinton avait griffonné «je vous admire beaucoup»— elle n’entendit ensuite parler de lui qu’en 1991, lorsque, dit-elle, il vint la voir en personne pour s’excuser. Elle se demanda ce qui l’avait fait changer d’avis. Peu de temps après, il annonça sa candidature à l’élection présidentielle.

    Juanita Broaddrick a tenté de faire en sorte que l’histoire ne sorte pas de son cercle intime d’amis, mais malgré ses efforts, les histoires vont vite dans le petit monde de la politique de l’Arkansas. Les Républicains locaux qui s’opposaient à Clinton tentèrent de la convaincre de parler publiquement. Les avocats de Paula Jones, une ancienne employée du gouvernement de l’Arkansas qui attaquait Clinton pour harcèlement sexuel, envoyèrent des enquêteurs privés chez Juanita Broaddrick en 1997.

    «C’est juste que c’était il y a longtemps et je n’ai pas envie de revivre ça», leur expliqua-t-elle alors, selon les informations d’un entretien rendu public (et enregistré sans qu’elle en ait connaissance). «Vous ne pouvez pas l’atteindre, et je ne vais pas ruiner ma réputation pour le faire.»

    Quand elle fut citée à comparaître par les avocats de Paula Jones, Juanita Broaddrick accepta de signer une déclaration sous serment niant que Clinton l’avait un jour violée. Elle avait pris cette décision elle-même. «Je ne voulais pas être impliquée, et j’ai signé pour rester en dehors de tout ça», m'a-t-elle dit. L’année suivante, Clinton était mis en accusation —selon la procédure de l’impeachment— pour avoir fait obstruction à la justice dans l’affaire Jones. L’équipe d’investigation du procureur fédéral Ken Starr lui demanda si Clinton l’avait forcée à signer une fausse déclaration. Elle raconte avoir eu peur de mentir devant un jury fédéral. Après que Ken Starr lui garantit qu’elle ne serait pas poursuivie pour parjure, elle décida qu’il était temps de dire toute la vérité.

    Juanita Broaddrick a toujours voulu rester absolument anonyme, mais les avocats de Paula Jones utilisèrent son nom dans un dépôt de plainte en 1998. Lorsque la date du procès d’impeachment de Bill Clinton approcha, des journalistes commencèrent à camper devant sa maison et la presse à scandale lança de vicieuses rumeurs sur sa famille. Juanita Broaddrick accepta alors de participer à une interview télévisée avec Lisa Myers pour l’émission Dateline sur NBC News. Elle espérait aussi faire inculper Clinton.

    Mais le reportage de Dateline, dont les faits étaient méticuleusement vérifiés, sortit deux semaines après le procès, au cour duquel Clinton avait été acquitté. Ken Starr, le procureur fédéral, affirma que les accusations pour viol n’étaient pas concluantes —le délai de prescription était dépassé depuis longtemps— et ne les avait pas intégrées au dossier, bien qu’il accepta que les Républicains y aient accès.

    Désolé, cette page n'existe plus.
    Voir une version améliorée de cette page.
    NBC / Via dailymotion.com

    Un extrait de l'interview pour l'émission Dateline.

    NBC a expliqué que ce temps de délai de 35 jours pour qu'un reportage soit diffusé était standard. Lisa Myers, qui ne s’était jamais autant battue pour diffuser un reportage, expliqua le délai à Juanita Broaddrick: «La bonne nouvelle, c’est que vous êtes crédible. La mauvaise, c’est que vous êtes très crédible.»

    La journaliste, qui passe aujourd’hui sa retraite en Floride, est depuis restée en contact avec Juanita Broaddrick.

    «Personne ne peut s’intéresser à l’histoire de Juanita sans être troublé» raconte Lisa Myers. «L’une des choses qui la rend si crédible, c’est sa personnalité —ouverte, directe, et franche.»

    Lorsque le reportage sortit enfin, il ne fit pas beaucoup de remous. Peut-être parce que NBC le diffusa la même nuit que les Grammy Awards. Peut-être parce que le public était fatigué des scandales du clan Clinton. Ou peut-être parce que, dans les années 90, une affaire d’adultère était une chose, un date rape en était une autre —le terme, qui désigne une personne violée par quelqu’un qu’elle connaît déjà, commençait à être popularisé. Aujourd’hui, avoir été violé-e est moins stigmatisant et beaucoup de victimes choisissent d’en parler publiquement. Ces récits sont souvent complexes, mais les journalistes n’ont plus peur de couvrir des histoires sans qu’elles aient de preuves claires ou de réponses. Ce n’était pas le cas à l’époque. Une grande partie de la couverture médiatique après le reportage de Dateline s’intéressa davantage à la raison pour laquelle NBC avait mis tant de temps à diffuser les accusations pour viol de Juanita.

    «Personne ne peut s’intéresser à l’histoire de Juanita sans être troublé.»

    Ou peut-être que rien ne s’est passé parce que même ceux qui la croyaient ne savaient pas quoi faire. Environ un tiers des Américains croyait ses accusations, selon un sondage CNN de 1999. Deux tiers en revanche estimaient que les médias devaient arrêter d’en parler. Cela faisait des décennies qu’il était trop tard pour porter plainte. Le procès pour impeachment était terminé. Le camp Clinton niait l’aggression. Juanita Broaddrick raconte qu’elle était dévastée que son témoignage n’ait aucun impact. Elle se retira du public et refusa dès lors toute interview.

    La vie n’était pas horrible —Juanita Broaddrick était entourée de sa famille et sa maison de retraite continua de grandir jusqu’à devenir un centre important. Mais les accusations de viols, et les rebondissements qui s’en suivirent pendant des décennies, étaient toujours «une tache horrible dans ma vie», raconte-t-elle. Il y avait les petites conséquences, comme changer d’église lorsque le prêtre commença à bénir le président en le nommant. Et puis il y avait les grandes.

    Juanita Broaddrick raconte qu’elle a encore peur des espaces clos, depuis les banquettes à l’arrière des voitures jusqu’aux derniers rangs des avions. Après l’agression présumée, elle arrêta de recevoir des hommes, seule, dans son bureau. Selon elle, son divorce avec son second mari en 2004 a aussi à voir avec Clinton.

    Son mari ne voulait pas qu’elle fasse l'interview avec Dateline, raconte-t-elle, et elle avait toujours eu la sensation qu’il pensait que c’était de sa faute, puisqu’elle l’avait laissé entrer dans sa chambre.

    «Clinton était toujours là», dit-elle. « Il était toujours entre nous.»

    Juanita Broaddrick et moi avons discuté, autour d’un thé glacé servi dans sa cuisine immaculée, de la manière dont le discours sur les violences sexuelles a évolué. (Ridge, qui était là aussi, nous a dit que «quand on est ado, on sait qu’il faut vraiment être quelqu’un de mauvais pour forcer une personne [à avoir des relations sexuelles].»)

    Ce changement, on le doit d’après elle à des femmes, comme les accusatrices de Bill Cosby, qui ont trouvé le courage de dénoncer des hommes de pouvoir, et grâce aux réseaux sociaux, qui leur ont donné la possibilité de le faire comme elles l’entendent. Sur Twitter, Juanita Brodderick dit être bouleversée par les messages de soutien d’autres survivant-e-s de viol.

    «Je n’arrive pas à me considérer comme une source d’inspiration pour ces personnes», affirme-t-elle. «Je n’en suis pas encore là.»

    Elle dit que dans les années 70, personne ne parlait de viol. Plusieurs femmes l’ont remerciée d’avoir raconté son histoire dans Dateline en 1999, mais aucune n’a été plus explicite. Aujourd’hui, des ados lui décrivent leur agression sexuelle par messages privés.

    Juanita Broaddrick estime qu’environ 80% des gens qui la contactent sur internet n’ont aucune arrière-pensée politique et se préoccupent simplement de son bien-être. Mais elle a conscience de peut-être prendre ses désirs pour des réalités.

    «Je m’expose énormément, donc je suis peut-être naïve de vouloir m’attirer leur sympathie.»

    I was 35 years old when Bill Clinton, Ark. Attorney General raped me and Hillary tried to silence me. I am now 73....it never goes away.

    Twitter: @atensnut

    Il suffit de quelques clics pour se rendre compte que la plupart des gens qui s’adressent à elle sur Twitter sont de fervents anti-Clinton. Mais leurs messages n’en sont pas moins sincères: «Que Dieu vous bénisse! Personne ne devrait avoir à subir ce que vous avez subi.» Mais leurs profils affichent systématiquement le mot-dièse #NeverHillary. (Le message sus-cité a été envoyé par PatriotTrumpet, dont la bio Twitter indique: «Je voterai pour le candidat républicain car l’alternative est inconcevable.»)

    La frontière est ténue entre validation et appropriation. Le fait que Juanita Broaddrick ait choisi de s’exprimer cette année constitue une véritable aubaine pour le camp conservateur, soucieux de convaincre les électrices que Donald Trump est le seul allié des femmes dans la course à la présidentielle. Trump multiplie les sorties sexistes, s’est vu accusé de harcèlement et d’agression sexuelle et traite avec force mépris les femmes qui dénoncent des comportements sexuels déplacés. Pourtant, c’est lui qui a qualifié Bill Clinton de «pire agresseur de femmes de toute l’histoire de la politique» et Hillary de «complice» pour les avoir «traitées de manière épouvantable» —et en particulier Juanita Broaddrick. Au mois de mai, il a utilisé un extrait déchirant de son témoignage dans un spot de campagne anti-Hillary.

    «Il commençait à me mordre la lèvre supérieure et moi j’essayais de m’arracher à son étreinte», raconte-t-elle dans cet extrait —issu de l’interview donnée en 1999 à Dateline— où l’on entend la jeune femme sangloter sur fond de Bill Clinton fumant le cigare.

    Le camp Trump n’a pas demandé son autorisation à Juanita Broaddrick.

    «J’étais blessée», dit-elle. «Ils ont pris l’extrait le plus dur de mon interview avec Dateline, où je pleure, où j’essaie de comprendre ce qui s’est passé, et l’ont mis dans cette pub. J’ai trouvé ça de très mauvais goût.»

    «Je n’arrive pas à me considérer comme une source d’inspiration pour ces personnes. Je n’en suis pas encore là.»

    À la radio, pourtant, elle a affirmé que si le passage était «douloureux à entendre», elle n’était pas pour autant «mécontente» de son utilisation, estimant qu’il s’agissait d’une chose «importante». Elle n’a pas non plus tweeté sa colère à Donald Trump, comme elle a pu le faire en janvier contre Hillary Clinton.

    J’ai discuté avec elle récemment, en route pour voir le nouveau documentaire de Dinesh D’Souza, Hillary’s America: The Secret History of the Democratic Party. Elle n’en avait pas entendu parler avant que ses followers lui apprennent sur Twitter qu’elle y figurait. «J’aurais bien aimé qu’on me prévienne», m’a-t-elle dit. Puis, dans un texto: «Dur de me voir en larmes et effrayée sur cet écran géant… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu envie de m’enfoncer dans mon fauteuil et disparaître quand j’ai vu mon visage :(» Ce qui ne l’a pas empêchée de mettre trois emojis «pouces en l’air» au film sur Twitter.

    En théorie, il ne devrait pas être du ressort de la politique partisane de déterminer si une victime de viol présumée devrait ou non être entendue. Mais récemment, médias de droite et politiques conservateurs, qui affichent de bien piètres antécédents sur les questions relatives aux femmes, se sont emparés de l’histoire de Juanita Broaddrick.

    Ann Coulter, qui un jour a affirmé qu’un viol n’en était pas vraiment un à moins que la victime se fasse «fracasser la tête à coups de brique», a tweeté au mois de mai: «URGENT: BILL COSBY RENVOYÉ EN PROCÈS POUR VIOL. Courage, Juanita, la justice est proche.» Breitbart, qui accuse régulièrement les autres médias de faire preuve de naïveté dans le relais qu’ils donnent aux accusations de viol, a signé une trentaine d’articles favorables à Juanita Broaddrick depuis le début de l’année. Le National Review, qui a publié plusieurs papiers condamnant les accusations de viol qui, selon eux, peuvent ruiner des vies, et déclaré que croire aux allégations de la chanteuse Kesha revenait à une «mise à l’index stalinienne», a signé un article où les accusations de Juanita Broaddrick sont jugées «crédibles» et «graves», malgré l’absence de charges et de preuves matérielles.

    «La réticence des victimes de viol à reconnaître leur agression est un phénomène bien connu», écrit son auteur.

    Leur argument: son récit est à ce point solide que, comme l’a noté le journaliste conservateur Ross Douthat dans les colonnes du New York Times plus tôt cette année, «pas besoin d’être un adepte du "il faut croire à toutes les allégations de viol" pour la trouver convaincante». Pourtant, l’histoire de Juanita Broaddrick, comme celles de nombreuses victimes de viol présumées, n’est pas sans équivoque. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de parler? Pourquoi avoir menti dans sa déclaration sous serment aux avocats de Paula Jones? Pourquoi Ken Starr a-t-il estimé que ses accusations étaient «peu concluantes»?

    Certains médias progressistes, tout comme les politiciens qui prônent l’aide aux victimes, ont bouleversé le discours sur les violences sexuelles, en se faisant le relais d’accusations de viol qu’un tribunal ne jugerait pas forcément recevables. Leur logique: si une femme est prête à risquer les conséquences d’une telle exposition, alors ses allégations doivent être prises au sérieux.

    Ce qui n’est pas tout à fait le cas pour Juanita Broaddrick. Les supporters de Hillary Clinton ont des doutes sur les accusations portées à l’encontre de leur candidate, y compris le fait que la poignée de main de Hillary quelques semaines après le viol présumé aurait été une manière de dissuader Juanita Broaddrick de parler. Presque tous les Démocrates qui travaillent sur le terrain ainsi que les commentateurs progressistes à qui j’ai parlé m’ont fait remarquer que Juanita Broaddrick n’a rendu publiques ses allégations contre Hillary Clinton qu’en 2000, alors qu’elle venait de se présenter au Sénat pour la première fois. Juanita Broaddrick avait auparavant affirmé à Dateline que les Clinton ne l’avaient jamais menacée, et ne l’avait semble-t-il jamais évoqué lors de l’instruction par le procureur Ken Starr, ce dernier n’ayant pas relevé d’obstruction à la justice dans son rapport.

    Pour Joe Conason, un éditorialiste politique à tendance progressiste qui défend dans ses ouvrages l’héritage des Clinton, il y a «comme une contradiction» entre ce que Juanita Broaddrick affirme aujourd’hui, ce qu’elle a raconté à NBC en 1999 et ce qu’elle a pu dire aux enquêteurs de Ken Starr.

    «Je crois qu’on ne saura jamais avec certitude ce qui s’est passé entre Bill Clinton et Mme Broaddrick», dit-il. «Mais après avoir affirmé qu’aucun membre de son entourage n’a jamais essayé de l’intimider, elle a changé son histoire pour accuser Hillary.»

    D’après l’intéressée, la journaliste de NBC News Andrea Mitchell l’a interrogée à plusieurs reprises à ce sujet par téléphone, en janvier. Mais la chaîne n’a pas donné suite à l’interview puisque, d’après un porte-parole, il n’y avait pas de matière. Après coup, Andrea Mitchell a déclaré à l’antenne, au sujet des allégations de Juanita Broaddrick, qu’elles avaient été «discréditées et niées en bloc depuis longtemps».

    Juanita Broaddrick était furieuse. Au mois de juillet, son fils, qui est avocat, a fait pression pour que NBC supprime le mot «discréditées» de l’extrait vidéo posté sur son site.

    «Malgré les questions soulevées par son récit, et après examen, nous avons retiré ce mot le 19 mai», peut-on désormais lire.

    I look forward to Andreas explanation exactly how I was discredited. Should be interesting

    @atensnut / Via Twitter

    S’il y a lieu d’avoir des doutes sur les menaces présumées —rien de plus normal qu’une poignée de main quand on est la femme d’un candidat en campagne—, difficile d’attaquer Juanita Broaddrick sur la cohérence de son récit. L’instruction du procureur Ken Starr s’est limitée à déterminer si Bill Clinton avait ou non tenté d’obstruer la justice —c’est-à-dire si l’on avait forcé Juanita Broaddrick à faire une fausse déclaration sous serment en 1998 dans l’affaire Paula Jones. La question a été évoquée dans l’interview donnée à Dateline, et Juanita Broaddrick a toujours affirmé avoir pris cette décision seule. Elle dit également y avoir mentionné la fameuse poignée de main de 1978, mais la séquence aurait été coupée au montage. Lisa Myers confirme que l’anecdote n’a pas été diffusée pour plusieurs raisons, et parmi elles le fait que Hillary Clinton ne soit pas encore entrée en politique à cette époque.

    Assise dans son grand salon, Juanita Broaddrick reconnaît qu’elle n’a aucun moyen de vérifier ce que Hillary Clinton savait, à ce moment-là, de l’agression présumée.

    «Quand on remonte 38 ans en arrière, la colère s'atténue, la crainte aussi, et on se dit: "J’espère qu’elle ne savait pas"», dit-elle.

    «Quand on remonte 38 ans en arrière, la colère s'atténue, la crainte aussi, et on se dit: "J’espère qu’elle ne savait pas"», dit-elle.

    Mais elle demeure catégorique: ce jour-là, elle s’est sentie menacée par une interaction qu’elle décrit comme sinistre et préméditée dans les interviews données à des sites conservateurs. Elle ne comprend pas pourquoi ce sont les seuls à croire que Hillary voulait la faire taire.

    «J’aimerais simplement que tous ces gens qui ont à cœur la cause des victimes se manifestent pour dire "Oui, je la crois". Mais ils ne montrent aucune empathie. Ils disent seulement: "Ce n’est pas la faute de Hillary."»

    On ne saurait plus accepter —tout du moins dans les cercles progressistes— de condamner une femme pour les fautes de son mari. Le cas de Juanita Broaddrick pose un dilemme à tous ceux qui d’habitude soutiennent les victimes d’agression sexuelle: peut-on croire le récit d’une femme sur le principe, mais pas la manière dont elle le raconte?

    Les progressistes sont nombreux à brocarder l’idée que Hillary ait tenté d’étouffer l’affaire, ou qu’elle ait même quelque responsabilité que ce soit. De leur point de vue, elle a déjà trop souffert du sexisme.

    «Le féminisme de notre époque s'accompagne d'une attention accrue à la manière dont les femmes gardent et contrôlent leur homme, où elles sont tenues pour responsables de leurs écarts de conduite, le tout sans reconnaître le travail discret effectué en coulisses», analyse Jill Filipovic, qui écrit sur le genre et la politique. D’après elle, la seule raison pour laquelle l’affaire Juanita Broaddrick ressurgit, c’est «parce que Hillary se présente à la présidentielle».

    «Cette manœuvre qui consiste à tirer parti de ces allégations pour mettre à mal les engagements féministes de Hillary Clinton —et ne vous y trompez pas, c’est le but et ça n’est pas terminé— va avoir l’effet inverse, puisqu’on joue sur les mêmes stéréotypes que les féministes ont en horreur.»

    Le 8 août —le jour où Donald Trump a suggéré aux «gens du deuxième amendement» (qui garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes, ndlt) de s’occuper de Hillary Clinton— Juanita Broaddrick a participé à une séance de questions-réponses sur le site Reddit, dans le subreddit dédié au candidat républicain.

    Elle m’a souvent répété ne voter pour Trump que parce qu’elle était anti-Hillary. C’est pour la même raison qu’elle a soutenu Barack Obama en 2008, dit-elle, et n’a pas ressenti le besoin de voter en 2012. Juanita Broaddrick insiste: elle n’a nullement l’intention de faire campagne pour Donald Trump. Je lui ai demandé si elle s’inquiétait de ce que répondre aux questions d’internautes dans un subbredit de «vrais supporters» de Trump pouvait donner une fausse idée de ses intentions.

    «Oui, j’en suis consciente et j’espère faire passer le message que je n’ai aucune arrière-pensée politique, exceptée la défaite de HRC [Hillary Rodham Clinton]», m’a-t-elle envoyé par texto. C’est ce qu’elle a expliqué aux redditors, écrivant qu’elle ne s’était «manifestée que parce que Hillary avait exhorté les victimes à se manifester».

    Mais quand un redditor l’a remerciée de «défendre les victimes d’agression sexuelle» avant de lui demander si elle «accepterait une invitation de de M. Trump à venir parler des Clinton et la manière dont ils vous ont traitée», elle a répondu qu’elle «y réfléchirai[t]».

    Et d’ajouter: «Mais ce n’est pas exclu.»

    Un redditor a également relevé plusieurs modifications sur la page «agressions sexuelles sur les campus» du site de campagne de Hillary Clinton. L’hiver dernier, une citation de la candidate démocrate, datée du 14 septembre 2015, était en ligne.

    «Je voudrais envoyer un message à chaque personne qui a survécu à une agression sexuelle: ne laissez jamais quiconque vous faire taire. Vous avez le droit d’être entendu-e. Vous avez le droit que l’on vous croie, et nous sommes de votre côté.»

    En février, peu de temps après que la presse s'est emparée du tweet de Juanita Broaddrick, la phrase «vous avez le droit que l’on vous croie» a été supprimée. Une vidéo contenant la citation entière –y compris la partie retirée– est toujours en ligne. L’équipe de Hillary Clinton n'a pas voulu répondre à nos questions sur ce sujet.

    Quant à Donald Trump, il a peut-être utilisé la voix de Juanita Broaddrick sans sa permission, mais il a fait plus pour l’aider à guérir que n’importe quel autre candidat.

    Il y a un an, elle avait encore du mal à prononcer le mot «viol», dit-elle. Et puis, en janvier, le Républicain a employé ce terme pour évoquer ses allégations dans le Sean Hannity Show. C’est là qu’elle s'est rendue compte qu’elle «ne pouvai[t] plus tourner autour du pot». «C’est la terminologie exacte.»

    Que Donald Trump encourage une victime de viol présumée à reprendre les rênes de son histoire ouvre un nouveau chapitre, pour le moins étrange, de la vie de Juanita Broaddrick. Elle est la première à reconnaître que ce mot, «étrange», correspond bien à ce qu’elle a vécu ces 40 dernières années.

    «Je peux comprendre que vous soyez perplexe», m’a-t-elle dit récemment. «J’ai eu une vie compliquée.» ●

    Traduit de l'anglais par Nora Bouazzouni et Adélie Pojzman-Pontay