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    Il n'y a pas que les Bahamas: le FN a mené toute sa campagne sur des intox

    Depuis le début de la campagne, journalistes et citoyens passent leur temps à vérifier les informations douteuses qui circulent. Pendant ce temps, les cadres du Front national n'en ont rien à foutre.

    Hier, j'ai perdu mon temps. Après avoir entendu Marine Le Pen évoquer un compte offshore aux Bahamas lors du débat de l'entre-deux-tours, j'ai examiné, vérifié comme plusieurs dizaines de journalistes, des documents dont, finalement, tout indique qu'ils sont faux.

    Malgré son débat raté, Marine Le Pen est parvenue à faire de cette information sans aucun fondement le sujet phare du lendemain. Elle a finalement reconnu qu'elle n'avait pas de preuve, qu'elle ne faisait que poser des questions après avoir vu des choses passer sur internet. Et de son côté, Emmanuel Macron a porté plainte pour «faux et usage de faux» à la mi-journée, rajoutant une pièce dans le jukebox.

    Il s'est passé trois heures entre le moment où une personne anonyme a publié sur le site anglophone 4chan deux documents aussi explosifs que fumeux, et celui où Marine Le Pen a lâché sa bombe, glissée entre deux phrases. Ces documents étaient censés démontrer qu'Emmanuel Macron avait créé en 2012 La Providence LLC, une société-écran à Niévès, un paradis fiscal des Caraïbes. La rumeur est arrivée sur Twitter grâce à des Américains adeptes du PizzaGate et d'autres théories conspirationnistes. Le chercheur Nicolas Vanderbiest montre ensuite comment elle s'est propagée sur les réseaux francophones.

    Cartographie animée du #MacronGate sur son prétendu compte caché. Comme ça vous avez tous les éléments.

    À cause de Marine Le Pen, des dizaines de journalistes ont perdu leur temps à vérifier des documents sans fondement. J'ai appelé plusieurs dizaines de fois les entreprises et les personnes citées, dont une dément avoir travaillé avec le candidat à la présidentielle. J'ai tenté de voir avec le ministère des Finances de Saint-Christophe-et-Niévès si le document présenté était conforme au cadre réglementaire du pays. Je me suis explosé les yeux sur les pixels du scan pour tenter de débusquer la preuve absolue que le document était un faux. De leur côté, Les Observateurs de France 24 ont montré quels étaient tous les éléments douteux qui entouraient ce document, le Wall Street Journal a réussi à joindre l'administration de Niévès et Numerama a pu montrer que plusieurs calques Photoshop avaient été utilisés pour la fabrication d'un des documents.

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    Que de temps et d'énergie perdue. Et pour quel résultat? Qui va croire une entreprise spécialisée dans la domiciliation dans les paradis fiscaux et l'administration d'un des pays les plus laxistes en la matière? Qui va s'intéresser aux démonstrations techniques qui prouvent la falsification de ces documents? C'est toute la force de ces documents douteux, et de l'exploitation qu'en fait le FN: il est beaucoup plus facile, efficace, de balancer une fausse info au monde que de prouver à ce même monde qu'une info balancée par un candidat est faux. Frustrant.

    D'autant plus frustrant que le lendemain, les responsables du FN recommençaient de plus belle avec une multiplication des nouveaux fakes balancés à l'opinion: entre autres, une rumeur infondée selon laquelle Emmanuel Macron aurait eu une oreillette pendant le débat, et une fausse capture d'écran de SMS censé faire passer les militants d'En Marche! pour des jeunes radicalisés.

    Lorsque j'ai contacté Gilbert Collard après son intox sur le parquet financier, il m'a dit que c'était mon travail, et pas le sien, de vérifier les infos... 

    Ce n'était qu'un sprint final en terme de fake news, à l'issue d'une campagne où la stratégie du FN a été de constamment plonger dans les rumeurs, les calomnies, les «fake news», et de s'en tirer avec des pirouettes ou avec le silence.

    Lorsque j'ai contacté Gilbert Collard après qu'il a diffusé une fausse information sur le parquet national financier, il m'a dit que c'était mon travail, et pas le sien, de vérifier les infos... Il m'a aussi reproché d'avoir mis trop de temps à le contacter. Lorsque que j'ai repris le même Gilbert Collard sur Twitter, quand il avait tweeté que des manifestants anti-FN criaient «juifs, voleurs, assassins» à Paris (en réalité «flics, violeurs, assassins»), il m'a conseillé de me «déboucher les oreilles». Lorsque j'ai demandé à Damien Rieu, assistant de Marion Maréchal-Le Pen, pourquoi elle avait diffusé une intox sur Emmanuel Macron dont la campagne aurait été financée par l'Arabie Saoudite, il m'a répondu de «demander à Ibrahim Maalouf» (le trompettiste faisait l'objet d'articles le même jour car il était soupçonné d'atteinte sexuelle sur mineure). Les responsables du Front national n'ont jamais fait de mea culpa lorsqu'ils ont mis un jeune militant de leur parti en situation de handicap sous les projecteurs en affirmant à tort que c'était un agent double de la chaîne C8.

    La quasi totalité de ces fausses informations ne sont pas produites par le Front national. Même si le timing de la diffusion des documents douteux sur la prétendue société offshore de Macron est parfait pour Marine Le Pen, rien ne prouve que la publication des documents a été initiée par le parti, comme semble l'insinuer En Marche!.

    Mais les cadres du parti ont parfaitement assimilé la production de fausses informations venant de leurs militants ou de leurs soutiens, français et étrangers, sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, Marine Le Pen suit de nombreux comptes complotistes, racistes et suprémacistes blancs. Louis Aliot partage régulièrement des publications du site Dreuz, qui relaie de nombreuses fausses informations. Bref, ils donnent de la légitimité à écosystème médiatique peu regardant sur la réalité de ce qu'ils avancent. On trouve la même photo non sourcée sur le compte Facebook de Gilbert Collard et sur la page «Vladimir Poutine - Fan Club», une des pages recommandées le plus rapidement lorsque l'on «aime» les cadres du Front national sur Facebook. D'autres pages plus petites, comme le Front national des Côtes-d'Armor, relaient fréquemment des fausses informations venant de sources peu fiables, comme, aujourd'hui, l'affirmation fantaisiste selon laquelle Emmanuel Macron aurait disposé d'une oreillette ultra-discrète pendant le débat (info reprise par Gilbert Collard).

    Un copier-coller de la stratégie de Donald Trump

    Ce faisant, ils n'ont fait que copier les recettes de Donald Trump. L'actuel président des États-Unis passait des publicités sur les problèmes de santé (fantaisistes) de Hillary Clinton. Il a également donné de la crédibilité à Alex Jones, un célèbre présentateur de radio conspirationniste, et à son site InfoWars. Il a par exemple utilisé ce site pour donner du crédit à la (fausse) théorie selon laquelle des musulmans ont célébré le 11-Septembre dans l'État du New Jersey.

    I LIVE IN NEW JERSEY & @realDonaldTrump IS RIGHT: MUSLIMS DID CELEBRATE ON 9/11 HERE! WE SAW IT! https://t.co/1SksZU9qlj

    Les responsables du Front national, comme Florian Philippot ou David Rachline, ont aussi employé la technique trumpienne d'appeler «fake news», en anglais dans le texte, toute information qui leur déplaît, qu'elle soit erronée ou non. Une méthode qu'ils avaient déjà employée en 2014, quand ils avaient baptisé une série de vidéos le «Décodeur bleu marine», version miroir des Décodeurs du Monde.

    Il est très difficile d'évaluer l'impact des fausses informations sur un scrutin. Une étude de deux chercheurs de Stanford sur le sujet reconnaît ne pas être parvenue à déterminer si les «fake news» ont eu un impact significatif ou non sur l'élection. Mais elles font désormais partie de l'arsenal de base du Front national.