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Le terme de «troll» ne convient pas aux harceleurs du 18-25 de jeuxvideo.com

Ce terme fourre-tout contribue à réduire les méfaits de personnes menaçant de mort, de viol, et qui cherchent à faire taire leurs opposants. Dernier exemple en date avec la journaliste Nadia Daam, harcelée par des membres du forum de jeuxvideo.com.

La pétition de soutien à Nadia Daam, journaliste harcelée par des personnes se réclamant du forum 18-25 de jeuxvideo.com, a été titrée par Libération «Soutien à la journaliste Nadia Daam, menacée par des trolls». De nombreux articles sur les dernières vagues de harcèlement misogyne et antiféministe ont aussi utilisé le terme de «troll» pour faire référence aux harceleurs.

Mais si quelqu'un est menacé, et c'est le cas de Nadia Daam, il faudrait trouver d'autres termes que «troll» pour désigner les auteurs de ces menaces. Des termes comme harceleurs, militants antiféministes, internautes misogynes, etc.

Légère nuisance ou grosse marrade

Le terme de troll est étonnement résistant aux évolutions d'internet et de la culture web. Il désignait à l'origine, dans les premiers forums de discussions Usenet (au début des années 1990), des utilisateurs qui cherchaient à créer la polémique ou à détourner la conversation de son sujet initial, en usant de mauvaise foi, de procès d'intention. En résumé, le troll était cet oncle relou invité aux repas du dimanche. Celui qui pourrit l'ambiance, fait monter le ton de la discussion, mais qui ne renverse pas la marmite de bœuf bourguignon sur votre cousine avant de partir avec un sourire en coin en faisant un salut nazi.

Cette définition de troll s'est prolongée dans les années 2000, à l'ère des blogs : le troll était cette personne qui n'était jamais d'accord avec un blogueur, et qui tenait à le faire savoir à chaque billet publié. Un amateur de controverse, un pourrisseur de débat. Le troll était aussi l'auteur de canulars en ligne, comme David Thorne, un australien spécialiste des blagues par e-mail. Le «rickroll», une pratique née sur 4chan qui consiste à envoyer le clip de Never Gonna Give You Up de Rick Astley, était aussi du trolling.

Troll est devenu synonyme de légère nuisance et de grosse marrade sur internet. Quand on l'emploie pour quelque chose qui n'est pas de cet ordre, on a donc tendance à réduire la gravité de ce que font les «trolls».

Dire «troll» est commode. BuzzFeed News l'a employé à plusieurs reprises alors que des alternatives étaient possible. Dans un article sur l'utilisation par le Front national de militants en ligne pour faire avancer leurs idées, on aurait pu se passer du mot troll. Sur Émile Duport, un militant anti-IVG qui a notamment fondé Les Survivants, on aurait dû éviter d'utiliser le mot de troll, un terme qu'il revendiquait lui-même.

En parlant de troll, on perpétue l'idée selon laquelle la vie sur internet et la vie numérique n'ont rien à voir. Si plusieurs centaines de personnes masquées décident de se réunir dans la rue pour menacer de mort quelqu'un qu'ils n'aiment pas, on ne va pas parler de «trolls». Pourtant, les conséquences d'un tel harcèlement en ligne existent.

Le trolling, un refuge

On participe aussi à la normalisation des militants qui développent un discours haineux et se réfugient eux-mêmes derrière le terme.

@chesteranne65 @HisoF16 @Mammouth25 @M_Cedrix Les 95% que tu vois c'est du troll et du second degré. Bisous.

@bouhvrack @Melusine_2 Sur les forums 15-18 et 18-25, même quand tu crois que c'est sérieux, ce n'est que du troll ;)

Prenons l'exemple de Weev. Derrière ce pseudo se cache un hackeur américain dont le plus grand fait d'arme est d'avoir exploité une faille de sécurité des iPad en 2010. Weev est devenu célèbre, notamment car il était un troll. Les médias l'ont qualifié ainsi pendant longtemps, même lorsqu'il dirigeait, à partir de 2010, la Gay Nigger Association of America («l'Association des nègres gay d'Amérique», utilisant volontairement des termes racistes et offensants). Cette «association» cherchait notamment à répandre l'idée selon laquelle les juifs étaient responsables du 11-Septembre.

Pendant des années, Weev a été perçu comme un trublion, obtenant par exemple un portrait conjoint avec d'autres trolls dans le New York Times Magazine. Jusqu'à ce qu'en 2014, il publie un texte sur le Daily Stormer, un site néonazi, accompagné d'une photo sur laquelle il pose avec une croix gammée sur le torse.

Il en est de même pour les militants antiféministes qui harcèlent Nadia Daam, Eliot Lepers, Clara Gonzales et des dizaines de journalistes et de militants ou de militantes dont ils n'apprécient pas le discours parce qu'il entre en conflit avec leur idéologie. Il en est de même pour tous les militants pro-Gamergate qui, derrière leur combat pour «l'éthique du journalisme dans les jeux vidéo», ont lancé une des figures de proue de «l'alt-right», Milo Yiannopoulos. Leur trolling n'est qu'une action politique pour défendre leur idéologie qui peut être au choix masculiniste, homophobe, suprémaciste. Utilisons donc les mots exacts.