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    À Baltimore, «les gens n'en ont plus rien à foutre»

    Des violences ont secoué Baltimore ce lundi, après les funérailles de Freddie Gray, un jeune homme noir mort des suites de blessures survenues lors d'une arrestation.

    BALTIMORE — Hurlements de sirènes, vrombissements d'hélicoptères, Baltimore a passé ce lundi à se préparer à brûler. Depuis son porche sur la West North Avenue, Deron Martin pouvait voir des policiers et des jeunes manifestants s'affronter au milieu de la rue à 500 mètres de là.

    Derrière eux, les restes encore fumants de l'intersection entre la West North Avenue et la Pennsylvania avenue, un carrefour important de ce quartier en difficulté de Baltimore Ouest. Quelques heures plus tôt seulement, il y avait là un magasin CVS, un Subway et quelques autres petits commerces à côté d'un arrêt de bus.

    Tout a disparu, englouti par les flammes. Et peut-être par la colère de la jeunesse du quartier.

    Cette colère s'est élevée peu de temps après l'enterrement de Freddie Gray, un jeune homme noir de 25 ans mort le 19 avril, une semaine après avoir subi une grave blessure aux vertèbres cervicales alors qu'il était détenu par la police. La violence à Baltimore est un écho terrible du soulèvement à Ferguson, dans le Missouri, qui a suivi la mort de Michael Brown, un jeune homme noir qui n'était pas armé, aux mains du policier blanc Darren Wilson, qui dit avoir agi en légitime défense.

    Depuis, des homicides d'hommes noirs non-armés partout dans le pays ont lancé un mouvement national de protestation contre ce qui est vu comme un usage excessif de la force par la police. Lundi, à Baltimore, cette frustration s'est transformée en violence.

    «C'est parce que ça fait des années et des années qu'on encaisse», estime Deron Martin, résident de longue date et cuisinier dans un restaurant voisin. «Maintenant on en est à un point où les gens n'en ont simplement plus rien à foutre».

    Ce désespoir –exprimé par de nombreux jeunes manifestants à Baltimore– vient d'une frustration face à un système qui, selon eux, les enferme dans la pauvreté, le manque de perspectives et la brutalité policière. Les rues étaient remplies d'enfants ce lundi, beaucoup d'entre eux à peine sortis de l'école et mourant d'envie de se frotter à la police.

    A 16 heures, à la sortie des classes, les gens se dépêchaient de partir du bureau, et les magasins et restaurants fermaient leurs portes.

    Des incendies ont éclaté dans Baltimore alors que les forces de l'ordre tentaient de contenir la violence. Le gouverneur du Maryland Larry Hogan a décrété l'état d'urgence, déployant la garde nationale. Les Baltimore Orioles ont annulé leur match contre les White Sox de Chicago. Près de 15 policiers ont été blessés par des jets de pierres et de briques.

    «On n'a pas peur de vous», crie un adolescent, dans un sweat à capuche bleu. «C'est le karma!»

    Les dégâts ont eu lieu majoritairement dans le nord ouest de la ville, dans un coin avec beaucoup de petits commerces, dont principalement des commerces d'appoint et des magasins de boissons alcoolisées, des coiffeurs, des fast-foods. Les pillards s'en sont aussi pris au centre commercial Mondawmin, mais des policiers en tenue anti-émeute s'y sont rapidement rendus. Une fois là-bas, la foule, principalement composée d'adolescents, a lancé des pierres, des briques et des bouteilles, auxquelles la police a répondu avec du gaz lacrymogène et du gaz poivre. Dans l'est de Baltimore, une maison de retraite en construction a été incendiée, d'après le Baltimore Sun.

    «Je peux prendre quelque chose?» demande un homme se pressant vers le Shake Shack du centre ville de Baltimore.

    «Désolé», répond un employé en train d'empiler les chaises sur la terrasse. «Il n'y a rien d'ouvert ici. Ça va mal tourner.»

    Sur son compte Twitter, la police de Baltimore a prévenu plusieurs fois les automobilistes de ne pas aller dans l'ouest de la ville.

    Les violences de lundi pourraient avoir porté un coup fatal à ce quartier, en déclin depuis des décennies.

    «Ça a retardé Baltimore Ouest de dix ans au moins», estime David Lemus, qui travaille au magasin de glaces Frozen Desert Sorbet, censé ouvrir la semaine prochaine. «Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi de faire ça dans les coins qui craignent, parce que c'est ici qu'on a besoin de ces commerces».

    Selon David Lemus, l'autre boutique de Frozen Desert, dans le centre de Baltimore, a été endommagée dans des manifestations samedi après-midi. Surtout des fenêtres cassées, dit-il. Anticipant de nouvelles violences ce lundi, David Lemus et quelques collègues sont venus protéger leur magasin de Baltimore Ouest contre le vandalisme.

    Ils ont vu des dizaines d'enfants courir dans la rue, entrer par effraction dans une pharmacie, en vider les étals et disparaître dans des rues adjacentes. D'autres adolescents –dont beaucoup avec des bandanas sur le visage pour se protéger de la fumée– ont descendu la rue en portant des objets volés à d'autres magasins du coin.

    Lemus secoue la tête.

    «Je sais que les gens sont frustrés», dit-il. «Mais on vit ici. C'est notre quartier. Demain, quand les gens voudront s'acheter un sandwich au Subway en attendant le bus, il n'y aura plus de Subway.»

    Il marque une pause.

    «Ce qui se passe, ce n'est pas à propos de Freddie Gray.»

    Traduction par Cécile Dehesdin.

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