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    Mort d'Adama Traoré: les cinq mois de gestion controversée de la maire de Beaumont-sur-Oise

    Dans une audition à la gendarmerie que BuzzFeed News s'est procurée, la maire UDI Nathalie Groux charge la famille Traoré... Mais reconnaît que sa plainte contre la sœur du défunt «pouvait empirer la situation».

    Il y a cinq mois, Adama Traoré décédait d'un syndrome asphyxique juste après son interpellation. Depuis, la ville de Beaumont-sur-Oise, d'où est originaire la famille du défunt, a connu de nombreux jours de tension, de violences et de polémiques.

    Rapidement, c'est d'abord la communication du parquet de Pontoise, jugée parcellaire, qui fait naître les premières tensions. Notamment parce que le procureur Yves Jannier, muté depuis à Paris, a déclaré à tort et à plusieurs reprises que la mort du jeune homme était due à une infection généralisée. Mais dans le même temps, la gestion de l'affaire par la maire (UDI) de Beaumont-sur-Oise, Nathalie Groux, est très critiquée par de nombreux habitants et soutiens de la famille.

    Aucune condoléances publiques

    Élue depuis 2014, l'édile de la ville n'a pas rendu visite à la famille après le décès d'Adama Traoré (elle ne met par ailleurs plus les pieds dans le quartier où est originaire la famille) et n'a exprimé aucune condoléances publiques, ou privées à la mère d'Adama Traoré. Nathalie Groux a aussi refusé «pour des raisons de sécurité» d'accéder à la majorité des demandes de la famille, comme autoriser une marche blanche, prêter du mobilier municipal pour un rassemblement ou permettre l'installation du plateau du Gros Journal venu interviewer Assa Traoré, la sœur d'Adama.

    Les soutiens d'Adama Traoré reprochent aussi à la maire —pour qui des membres de la famille du défunt avaient distribué des tracts lors de sa campagne municipale— de ne pas faire une vraie différence entre les Traoré et les auteurs de violences dans la ville. Une partie de la famille les a pourtant systématiquement condamnées et l'un des fils Traoré, Samba, a constitué une équipe de médiateurs volontaires pour tenter de faire baisser les violences.

    Une première interview un mois après les faits

    Contrairement aux usages des autorités dans ce genre d'affaires, la maire a aussi pris le parti de ne pas s'exprimer, ni dans un média ni via des communiqués. Elle a ainsi annulé une conférence de presse le lendemain des événements, alors que celle-ci visait à donner des précisions sur les circonstances de la mort d'Adama Traoré. À l'exception d'un appel au calme relayé par la presse le 21 juillet, elle a refusé toutes les demandes d'interview et a donné pour instruction à son cabinet de ne prendre «aucun journaliste au téléphone».

    Il a fallu attendre un mois, le 19 août, pour qu'elle accepte de parler au Parisien. Dans cette interview titrée «Je me suis retrouvée en première ligne», elle met l'accent sur le montant des dégâts après des nuits d'échauffourées et félicite les forces de l'ordre. Sans exprimer ses condoléances, elle dit tout de même avoir «reçu à plusieurs reprises les proches d'Adama Traoré, afin de les écouter et de tenter d'apaiser les choses». Et c'est seulement en décembre, que la maire a fait appeler par son cabinet Assa Traoré pour lui proposer un premier rendez-vous, mais à condition qu'il soit «informel».

    «La maire a oublié qu’Adama avait une mère»

    Puis Nathalie Groux publie une lettre ouverte adressée aux Beaumontois le 25 novembre pour se défendre des reproches qui lui sont adressés. Elle assure notamment avoir exprimé à plusieurs reprises ses condoléances aux Traoré. En réponse, la famille publie un texte pour démonter point par point les arguments de l'élue.

    La maire assure par exemple avoir reçu Awa, sœur jumelle d'Adama, pour lui présenter ses condoléances. Mais selon la famille Traoré, c'est en réalité parce que Nathalie Groux s'était opposée à l'accueil du corps d'Adama Traoré dans sa ville que «Awa s’est rendue à la mairie pour avoir plus de précisions». «C’est donc Awa qui a pris l’initiative de voir Madame le Maire. S’il y a eu une rencontre, nous ne pouvons pas considérer ce qui a pu se dire comme des condoléances présentées à notre famille», rétorque la famille, avant d'ajouter:

    «Madame le maire semble avoir oublié qu’Adama avait une mère, Oumou Traoré, et qu’il aurait été préférable de la recevoir, dignement. On ne peut voir là que du mépris, et un manque de respect qui a profondément touché une maman qui venait de perdre son fils.»

    La maire admet qu'elle pouvait «empirer la situation»

    Malgré cette passe d'armes épistolaire, la maire prend soin de ne pas s'attaquer à la famille publiquement. Dans son appel au calme relayé par Le Parisien le 21 juillet après la deuxième nuit d'échauffourées, Nathalie Groux précise même:

    «Il faut bien dissocier le drame de la famille des violences. Nous avons affaire la nuit à des casseurs, des voyous, des délinquants. (...) La famille lance un appel au calme, souhaite que cela cesse. Nous aussi.»

    Mais en privé, le discours est bien différent. Le 17 novembre, BuzzFeed News révèle d'abord que la maire souhaitait faire voter par le conseil municipal le financement de sa plainte contre Assa Traoré pour des propos tenus dans l'émission de Mouloud Achour, le Gros Journal. «La maire a choisi son camp et de quel côté elle se met, du côté des gendarmes. Ce qui veut dire du côté de la violence policière», accusait la sœur d'Adama Traoré. Mais le conseil a été annulé et des tensions ont éclaté entre les soutiens et les gendarmes. Après de multiples tensions locales, certains accusant l'édile de vouloir «provoquer», Nathalie Groux fini par renoncer à sa plainte.

    Lors de son audition par la gendarmerie, que BuzzFeed News s'est procurée, après les incidents du 17 novembre, la maire livre d'ailleurs cette confession étonnante:

    «Je mesurais que déposer une telle plainte pouvait empirer la situation.»

    Loin des médias, la maire charge la famille

    Et lors de cette même déposition, ses propos contre la famille sont beaucoup plus accusatoires. «Pouvez-vous nous rappeler le contexte général qui préside sur votre commune et qui vise votre personne», interroge le gendarme. La maire charge directement la famille Traoré:

    «Depuis les événements de cet été, je suis l'objet de pressions, de menaces, d'insultes permanentes et répétées de la part de la famille Traoré originaire ou demeurant sur ma commune. J'ai déposé plainte à plusieurs reprises pour ces faits. Les plaintes sont en ce moment instruites par vos services.»

    En plus de la plainte contre Assa Traoré, finalement retirée donc, Nathalie Groux avait bien déposé une plainte le 24 août pour «insulte, et outrage», mais elle n'avait jamais précisé qu'elle avait attaqué nommément la famille Traoré.

    Contactée, l'une des avocates de la famille, Me Saidi-Cottier, affirme qu'aucun membre de la famille n'a été convoqué pour une telle procédure. «Soit la maire ment, soit ce sont des plaintes déposées contre X, soit elles sont en cours, mais avec un parquet pas très pressé de les instruire», précise l'avocate qui reste dubitative pour la dernière hypothèse. Contactés, ni la maire ni son cabinet n'ont souhaité nous en dire plus. «Je crois bien que c'est contre X, mais je n'ai pas le temps de vérifier ça», nous a répondu le procureur de Pontoise.

    Sa théorie de la «collusion politique»

    Le 17 novembre, avant que le Conseil municipal ne soit interrompu et que des tensions éclatent, la famille Traoré demandait à pouvoir assister à cette réunion publique —qui devait aborder le financement de la plainte contre Assa Traoré. Mais pour Nathalie Groux, toujours lors de son audition, les demandes de la famille couvaient en réalité une stratégie politique:

    «Je suis persuadée qu'il y a une collusion entre l'opposition municipale et la famille Traoré. L'attitude des membres de l'opposition est indigne d'élus de la République. Les échanges avec Assa Traoré me laissent à penser qu'ils s'étaient accordés sur une stratégie.»

    Joint par BuzzFeed News, l'élu de l'opposition (sans étiquette) Jean-Michel Aparicio est en colère contre la maire après ses propos tenus devant les gendarmes. «Dire qu'il y a une collusion et une stratégie politique parce qu'une citoyenne, la sœur d'Adama, souhaite assister au conseil municipal, c'est très grave et diffamatoire», dénonce-t-il.

    La maire de Beaumont et «l'appel aux armes»

    En plus du silence de la maire, une publication relayée sur sa page Facebook a largement aggravé la situation entre les Traoré et Nathalie Groux. Sur son post partagé publiquement sur le réseau social, on peut lire l'appel raciste d'un sympathisant du Front national qui souhaite que les «citoyens de souche» s'arment pour défendre la police.

    Interrogée par France Info à propos de cet appel à la violence, Nathalie Groux plaide l'erreur:

    «J'ai manqué de vigilance! L'article était commenté par un internaute qui ne fait pas partie de mes amis: j'ai relayé l'article du Parisien, et non ce commentaire qui n'est pas le mien. Je n'adhère absolument pas à ce type de propos.»

    «En privé pourtant, la maire ne tenait pas le même discours. Avant que cela ne suscite l'indignation, elle ne trouvait rien à redire à de telles publications sur son compte privé», nous dit un élu de l'opposition qui souhaite conserver son anonymat. C'est exactement ce que nous avait répondu le cabinet de Nathalie Groux à l'époque: «Non, c’est le compte Facebook privé de la maire, elle n’a rien à dire dessus».

    Si elle assure ne pas adhérer à genre d'appels, l'élue n'hésite pas à évoquer ce sujet lorsqu'elle est interviewée. «C’est effroyable, impensable ce que vivent les Beaumontais. Les gens sont tellement excédés qu’ils sont prêts à sortir avec des armes pour se battre», avait-elle déclaré au Parisien après une nouvelle nuit de violences dans sa ville, fin novembre.

    Enfin sur sa page Facebook, qu'elle avait suspendue quelques semaines après cette polémique, Nathalie Groux, a laissé visible le partage d'une publication dont l'auteur est censé être éloigné de la ligne UDI. Pour dénoncer le laxisme supposé de la justice, la maire a relayé le post du groupe proche de l'extrême droite nommé «On aime la France».

    Le «soutien total» du patron de l'UDI

    Face à cette gestion de l'affaire Adama Traoré, une pétition a été mise en ligne demandant la démission de Nathalie Groux. Contacté par BuzzFeed News, le patron de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde, balaye toutes les accusations et «la soutient totalement».

    «Des condoléances n'ont pas à être exprimées publiquement et il ne faut pas renverser la situation... Ce qui est grave, c'est que la terreur s'installe au point qu'un conseil municipal ne puisse pas se tenir, comme cela s'est passé le 17 novembre.»

    Contrairement aux affirmations du patron de l'UDI, le conseil municipal n'a pas pu se tenir le 17 novembre parce que les élus d'opposition avaient décidé de le boycotter. Ce qui oblige légalement la maire à annuler la réunion publique.

    Jean-Christophe Lagarde, maire de Drancy, concède toutefois «un problème de communication». «Je l'ai appelée pour avoir sa version, je n'ai pas compris pourquoi elle ne s'exprimait pas sur l'affaire avant sa lettre ouverte», précise-t-il.

    «Mais s'agissant de sa plainte contre Assa Traoré, retirée depuis, j'estime que le fait de perdre un membre de sa famille n'autorise pas la diffamation». Et de conclure:

    «Dans cette affaire, Nathalie n'a commis qu'une seule erreur, c'est son post Facebook. Pour le reste, il n'y a rien à lui reprocher. »

    Un avis que l'élu Jean-Michel Aparicio est loin de partager:

    «Des erreurs comme ça, en politique, on n'a pas le droit d'en faire.»