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    Mohamed, blessé dans l'assaut de Saint-Denis: «On m'a volé ma vie»

    Ce sans-papiers égyptien blessé par le Raid le 18 novembre raconte à BuzzFeed son parcours du combattant pour obtenir son titre de séjour et être reconnu comme victime.


    Mise à jour le 18 avril 2016: Mohamed a été régularisé. Le député PS Mathieu Hanotin de Saint-Denis a porté son dossier facilité l’obtention d’un titre de séjour provisoire d’un an pour raisons de «vie privée et familiale», rapporte Mediapart. L’artiste Emma a par ailleurs publié une bande dessinée sur Facebook dédiée à l’histoire de Mohamed.


    Il est un peu plus de 4h cette nuit du 18 novembre lorsque Mohamed est réveillé par le bruit de plusieurs explosions. Ces détonations et ces coups de feu proviennent de l'appartement voisin du sien, situé au troisième étage au 8 rue du Corbillon.

    Cinq jours après les attentats du 13, les hommes du Raid tentent de neutraliser trois terroristes dont Abdelhamid Abaaoud. Dans cette opération très critiquée depuis, les forces de l'ordre blesseront trois résidents de l'immeuble. Tous sans-papiers.

    Jeudi 3 mars, dans un local de la ville de Saint-Denis, Mohamed Elshikh, 27 ans et arrivé d'Égypte le 16 février 2013, a accepté de se confier avec l'aide de son cousin en guise de traducteur.

    «Les policiers m'ont mis tout nu et menotté»

    La mine hagarde, un bras enveloppé dans une bandoulière, Mohamed revient sur cette nuit «traumatisante». «Je me suis réveillé surpris par le bruit, j'ai ouvert la porte mais les policiers m'ont fait comprendre qu'il fallait que je rentre chez moi», raconte le jeune égyptien qui habitait dans cet immeuble depuis presque un an. Il se rend à sa fenêtre pour tenter de comprendre ce qu'il se passe et reçoit des ordres des policiers «sans les comprendre»:

    «En ouvrant, j'ai vu plein de policiers en face. Lorsque j'ai ouvert le deuxième battant de la fenêtre, j'ai reçu une balle au niveau du triceps.»

    Le colocataire de Mohamed le tire alors pour se mettre à l'abri dans la salle de bain. Durant six heures, il tente de stopper l'hémorragie de son bras avec une serviette, alors que l'appartement est petit à petit détruit par les balles des snipers et l'explosion d'une ceinture d'explosifs d'un des terroristes de l'appartement mitoyen. Vers 10h30, les deux terroristes et Hasna Aït sont morts, et le Raid pénètre dans le studio délabré de Mohamed:

    «Les policiers sont entrés et m'ont jeté sur un canapé. Ils m'ont mis tout nu, menotté et m'ont amené dans un camion. Moi je me demandais pourquoi d'autres voisins de l'immeuble avaient pu être évacués vers 5h30.»

    Mohamed est immédiatement transporté à l'hôpital Avicenne à Bobigny où il subit une première opération en urgence. Les médecins, peut-on lire dans un rapport que nous avons consulté, lui diagnostiquent «une fracture ouverte de la diaphyse humérale gauche» et posent six broches. En clair, une partie de son os a été brisée par la balle à fragmentation du Raid.

    Auditionné à l'hôpital pendant 4 jours

    Transféré à l'hôpital militaire Percy (Clamart), il sera menotté et auditionné par la police pendant quatre jours. Les services, qui le placent en garde à vue, le soupçonnent d'être un complice des terroristes. Même s'il n'était pourtant pas connu des fichiers, comme le précise Mediapart.

    Le jour de l'assaut, les snipers situés en face de l'immeuble ont également «neutralisé» deux autres résidents de l'immeuble qui n'avaient rien à voir avec Abaaoud. Ahmed, un voisin de palier âgé de 63 ans, a également reçu une balle dans le bras, après qu'un policier lui a demandé de se positionner à la fenêtre.

    Même chose pour Noureddine, lui aussi touché au bras alors qu’il regarde ce qui se passe par le vasistas de son appartement: «J'ai juste vu un laser et j'ai pris la balle. J'ai failli mourir, je suis tombé direct, j'étais choqué», confie-t-il à Mediapart.



    «Au début on ne voulait pas médiatiser cette histoire. Mais comme personne ne réagit, c'est notre seule solution.»


    Le cousin de Mohamed revient sur les auditions de la police qui ont eu lieu dans sa chambre d'hôpital à Percy. «Il a demandé aux policiers pourquoi il était toujours menotté alors qu'il ne pouvait de toute façon pas s'enfuir». Les agents reviennent chaque jour lui demander dans quelle mosquée il va prier, quel est son style de vie, ses centres d'intérêts, ses fréquentations...

    Samedi 21 novembre, les policiers lui notifient la fin de sa garde à vue. Sauf que l'un des agents lui remet également une Ordonnance de quitter le territoire français (OQTF) émise par la préfecture des Hauts-de-Seine.



    «Lorsque j'ai signé le papier, le policier m'a dit de ne pas pleurer. Il m'a conseillé de prendre un avocat pour ne pas être expulsé», raconte-t-il. Une fois les menottes enlevées et l'ordonnance remise, Mohamed reste à l'hôpital: il a subi une deuxième opération, et des complications ont suivi. Les médecins surveillent une infection de sa plaie après la pose des broches à l'intérieur de son bras.

    Prié de faire la queue «comme tout le monde»

    Peintre au black dans le bâtiment, Mohamed sous-louait ce studio à un marchand de sommeil pour 550 euros par mois avec son colocataire. Il sait maintenant qu'en plus d'avoir perdu son logement, il ne pourra plus travailler pendant longtemps. «Il doit subir une nouvelle opération en mars, mais personne ne sait s'il va pouvoir récupérer l'usage de son bras», regrette son cousin. «Aujourd'hui, la seule chose qui le préoccupe, c'est d'obtenir un titre de séjour».

    Lorsque la presse a révélé les ordonnances de quitter le territoire pour ses deux autres voisins sans-papiers blessés par le Raid, les autorités se sont rapidement ravisées. Et ont annulé ces OQTF –dont celle de Mohamed– qui avaient suscité une large indignation.

    «Pour que Mohamed puisse obtenir un titre de séjour et rester se soigner en France, la préfecture demande qu'il fasse comme tout le monde, c'est-à-dire faire la queue pendant des heures pour enregistrer sa demande. Mais comment peut-il faire, après 90 jours d'ITT et alors qu'il doit retourner à l'hôpital pour une nouvelle opération?», interroge son avocate Christelle Morin. «Il ne peut même pas constituer un dossier puisque tout a été détruit dans son appartement, il n'a plus rien à part son passeport et une quittance EDF».

    Le gouvernement renvoie la balle vers la préfecture

    Me Morin a bien alerté François Hollande et Manuel Valls sur «la situation exceptionnelle» de son client. «Vous comprendrez que compte tenu de son hospitalisation (...), Mohamed Elshikh n’est pas à même de déposer un dossier de demande de régularisation de manière habituelle. C’est pourquoi je me permets de vous solliciter directement en espérant que vous accepterez d’intervenir en sa faveur auprès du préfet de Seine-Saint-Denis», écrivait-elle le 15 décembre dernier.

    En vain. Les différents cabinets ont renvoyé la balle vers le ministre de l'Intérieur... qui a renvoyé l'avocate vers le préfecture de Seine-Saint-Denis et nous a renvoyé vers la préfecture de police de Paris.

    Dans un courrier que nous avons pu nous procurer, la préfecture de Seine-Saint-Denis persiste et demande à ce que Mohamed se déplace lui-même. Jointe par BuzzFeed, la préfecture n'a pas encore donné suite.

    «Les textes prévoient des régularisations à titre humanitaire, on ne demande pas grand-chose. Mais c'est à la discrétion de l'État», pointe Me Morin qui précise: «Au début on ne voulait pas médiatiser cette histoire. Mohamed est très choqué, il veut juste pouvoir rester en France. Mais comme personne ne réagit, c'est notre seule solution.»


    «Si tu es sans-papiers aujourd’hui en France, tu pourras te faire tirer dessus impunément par le Raid, recevoir une OQTF, te retrouver à la rue et tout cela dans la plus grande indifférence.»

    Avant ce drame, Mohamed prenait des cours de français trois fois par semaine et cherchait à s'intégrer encore davantage. Dans un billet sur Mediapart, sa professeure Agnès Druel avait d'ailleurs vivement dénoncé le silence autour de cet habitant pris à tort pour un terroriste:

    «On a rangé ce dossier quelque peu dérangeant, voire insignifiant pour certains dans le fond d’un tiroir et on l’a oublié. Qui est-ce qui pourrait s’inquiéter de cet homme ? Il n’y a pas eu de hashtag #JesuisMohamed après l’assaut, il n’y a pas eu d’appels relayés dans les médias pour que l’on vienne en aide à Mohamed», dénonce-t-elle. Et de lâcher, indignée:

    «Si tu es sans-papiers aujourd’hui en France, tu pourras te faire tirer dessus impunément par le Raid, recevoir une OQTF, te retrouver à la rue et tout cela dans la plus grande indifférence».

    «J'aurais voulu savoir parler français aux policiers»

    Aujourd'hui, Mohamed vit dans un hôtel grâce à la mairie de Saint-Denis et emprunte de l'argent à ses proches en espérant les rembourser avec une éventuelle indemnisation de l'État. En attendant, une cagnotte a été mise en place pour l'aider.

    Mohamed a du mal à retenir sa rancœur à l'égard des autorités. «Ça fait trois mois que je ne dors plus, que je ne mange plus. Ils m'ont volé ma vie», dit-il. «Je travaillais pour moi et pour aider ma famille en Égypte. Maintenant, qui va subvenir à leurs besoins?»

    Il n'a reçu ni aide financière, ni soutien psychologique. Depuis peu, il s'est remis à apprendre le français, avec, semble-t-il, encore plus de motivation:

    «J'aurais voulu savoir bien parler français aux policiers. Je veux encore plus apprendre pour réussir à raconter mon histoire et me faire comprendre.»

    Un secrétariat d'État aux Droits des victimes a été mis en place lors du dernier remaniement. Les autorités, à plusieurs reprises, ont naturalisé des sans-papiers, considérés comme des héros. Mais pas Mohamed, victime d'un tir de la police, et pas des terroristes.