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    «J'ai vu l'enseignant se faire plaquer et se prendre des coups par les policiers»

    Info BuzzFeed News - Trois hommes interrogés devant la gare de Saint-Denis par BuzzFeed News confirment une partie du récit de Guillaume Vadot, un enseignant de la Sorbonne qui dit avoir été agressé par des policiers.

    La nuit tombe lorsque le RER D arrive en gare de Saint-Denis. Il est 20h et le hall est quasi vide ce mardi. Sur la place de la gare, le parvis est peuplé par une vingtaine de personnes qui discutent avec des amis, ou attendent seuls, le regard tourné vers leurs smartphone. Quelques vendeurs à la sauvette tendent leurs paquets de cigarettes aux passants devant un grand stand de fruits et légumes qu’il est difficile de rater. Rissmo Kongo, un homme de 34 ans qui arbore une petite barbe, parcourt la place pour essayer de reconstituer la scène à laquelle il a assisté cinq jours avant.

    «Une femme a été interpellée, je l’ai entendue crier»

    Jeudi 22 septembre au soir, sur cette même place de la gare, il nous raconte avoir vu la police frapper Guillaume Vadot, un enseignant de la Sorbonne âgé de 28 ans et dont le témoignage a été massivement relayé sur les réseaux sociaux. Militant activiste des droits de l’homme, Rissmo Kongo était présent depuis l’après-midi pour réaliser un micro-trottoir sur l’esclavage en Mauritanie. Il raconte que plusieurs policiers étaient à la gare.

    «Ce jour-là, il y avait un barrage pour contrôler les gens qui avaient des billets, les policiers étaient placés du côté de la sortie droite de la gare. Après 19h, une femme s’est fait interpeller, je l’ai entendue crier, alors j’ai cherché à savoir ce qui s’était passé.»

    Il précise que des membres de la police ferroviaire et de la police nationale formaient un cordon de sécurité devant la femme noire interpellée. «Au début il y avait entre 15 et 20 policiers, mais quand les gens ont commencé à s’attrouper là où il y avait la scène, les équipes de policiers ont augmenté», se rappelle-t-il.

    Puis il aperçoit Guillaume Vadot avec son téléphone. Il dit l’avoir vu se faire plaquer contre la porte grise située sur le côté droit de la gare. «La personne qui a commencé à filmer s’est fait plaquer par les policiers, il a commencé à se prendre des coups et j’entendais son amie qui l’accompagnait demander aux policiers pourquoi ils l’avaient intercepté». Rissmo Kongo raconte avoir fui après une charge de la police destinée à disperser la foule attroupée autour, et dit avoir aussi pris un coup de matraque au passage par un des policiers.

    L’histoire de Guillaume Vadot massivement relayée

    La scène, telle que l’a vécue Guillaume Vadot, a d’abord été rapportée par l’un de ses collègues sur Facebook, vendredi 23 septembre, au lendemain des faits. Massivement relayé, le post a été supprimé puis restauré par Facebook. Face aux nombreuses réactions, Guillaume Vadot a pris publiquement la parole le lundi suivant, lors d’une conférence de presse organisée par son avocat, Me Slim Ben Achour.

    Guillaume Vadot est militant au NPA et membre du comité de rédaction du site d’extrême gauche Révolution Permanente. Il raconte avoir été immobilisé contre une porte par des policiers qui ont mis sa main sur «sa fesse gauche» ont menacé de le «tuer» et de «le violer», car il avait voulu filmer l’interpellation d’une femme à la sortie de la gare de Saint-Denis. Il affirme avoir reçu des coups notamment à la cheville et à la cuisse, ainsi qu’une décharge de taser au niveau du bras. Il a également précisé qu’avant d’être relâché, un des policiers avait effacé les vidéos présentes dans son téléphone, qui ont finalement pu être récupérées.

    Sur la première vidéo diffusée lors de la conférence de presse, l’enseignant se trouve encore dans l’enceinte de la gare. Il filme derrière les barreaux. On voit une femme avec des menottes, on l’entend se plaindre, puis l’un des policiers s’adresse à Guillaume Vadot. Sur la seconde, l’enseignant est sorti de la gare. On voit un attroupement et la porte grise non loin d’un taxiphone, mais on n’entend plus la femme se plaindre.

    «Il a filmé la police mais ça ne leur a pas plu»

    «La scène s’est passée très vite», raconte Moussa (le prénom a été changé à sa demande), un deuxième témoin de la scène interrogé par BuzzFeed News. Cet intérimaire de 30 ans confirme qu’une femme avait été interpellée avant que Guillaume Vadot ne se fasse repérer par les policiers. «Je l’ai entendue crier, j’ai vu la police sortir de la gare avec la femme et se mettre sur le côté pour attendre que leur voiture arrive.» Il ajoute qu’un attroupement s’est rapidement formé autour des policiers et de la femme «aux cris stridents», lorsqu’il a aperçu l’enseignant arriver par l’un des couloirs de la gare.

    «Un homme qui arrivait du tunnel avec une femme à ses côtés sortait de la gare, il a filmé la police mais ça ne leur a pas plu, explique-t-il. L’un d’entre eux a décidé de contrôler le monsieur, la femme a commencé à protester puis elle a reculé.» Moussa s’est ensuite éloigné de la scène lorsque les policiers ont dispersé la place.

    Du côté droit de la gare, un groupe de quatre personnes discutent, l’un assis sur un scooter appuyé sur le mur, et les trois autres autour. «Hey m’dame moi j’ai tout vu, j’étais là, ça s’est passé juste ici», crie Abel (il a demandé à ce qu’on modifie son prénom parce qu’il est sans-papiers), l’un des hommes debout, en pointant du doigt la porte grise juste à côté. Guillaume Vadot a confirmé à BuzzFeed News que l’altercation avec la police s’est passée là. Une caméra est située juste au-dessus de la porte grise.

    «Ne filme pas sinon on va te frapper»

    «Je ne me souviens plus de l’heure, mais c’était après 19h car la nuit commençait à tomber, explique Abel à BuzzFeed News. Le monsieur était derrière la grille, à l’intérieur de la gare, quand il a sorti son portable après avoir vu la femme crier de douleur. Mais les policiers lui ont dit qu’il n’avait pas le droit de filmer». Abel a sorti à son tour son téléphone, comme a pu le voir le gérant du taxiphone de la place, mais un policier lui a ordonné de ranger son portable en le menaçant avec une matraque. Abel dit que le policier lui a ordonné: «Ne filme pas sinon on va te frapper», et qu’il s’est exécuté sans perdre des yeux la scène.

    «Ils ont plaqué le monsieur contre la porte grise, ont tordu son bras, ensuite ils lui ont mis un coup de taser parce que le mec ne voulait pas lâcher son téléphone», explique Abel:

    «Puis ils l’ont fouillé, ils ont pris son portable, un des policiers a collé son pied et sa main gauche contre le monsieur et il l’a palpé avec la main droite.»

    Pendant ce temps, il raconte que la femme aux menottes avait été embarquée dans un véhicule de police. «Après pour le lâcher, ils ont fait une diversion en nous chargeant et nous demandant de circuler, c’était une manière de nous faire partir.»

    Abel affirme alors avoir aperçu alors Guillaume au loin partir avec son amie: «Je vais vous dire, je suis un peu plus fort que le monsieur, mais la manière dont ils lui ont tordu le bras, même moi ça m’aurait tué l’épaule.»

    «Des vérifications sont en cours», dit la préfecture

    Guillaume Vadot a déposé une plainte contre X, qu’a pu consulter BuzzFeed News, auprès du procureur de la République à Bobigny, avec copie à l’IGPN. Le Défenseur des droits a également été saisi.

    Contactée par BuzzFeed News, la préfecture de police de Paris confirme qu’un contrôle avait bien eu lieu le 22 septembre dernier à la gare de Saint-Denis. «Des vérifications sont en cours pour déterminer si les faits dénoncés peuvent correspondre à cette intervention», précise-t-elle.

    Une source à la préfecture ajoute par ailleurs qu’elle a saisi l’IGPN d’une enquête administrative qui a été ouverte lundi. «On va voir quelle est la crédibilité de ces propos», ajoute cette source qui précise qu’il y a eu un vol à l’arraché avec interpellation. «Est-ce que cela a un rapport avec les faits mentionnés par l’enseignant? L’enquête le dira.»

    Une enquête judiciaire ouverte

    L’enseignant doit être reçu par l’IGPN ce mercredi. Selon le parquet de Bobigny, confirmant une info de France Info, «une enquête judiciaire diligentée par l'IGPN a également été ouverte ce mercredi après l'enregistrement de la plainte de l'enseignant». D’après nos informations, il doit également rencontrer le maire de Saint-Denis, Didier Paillard (PCF), très prochainement.

    S'agissant des bandes vidéo de la caméra de surveillance sur lesquelles comptent Guillaume Vadot et son avocat, la préfecture de police explique: «On ne sait pas si les bandes sont exploitables.» Une source au sein du parquet de Bobigny «craint», elle, de ne pas pouvoir les visionner:

    «Les faits se déroulent le 22 septembre, et l'enquête est ouverte cinq jours après, alors que les bandes vidéo sont généralement conservées deux ou trois jours maximum. Je le déplore, mais il est possible qu'il n'y ait pas de bande exploitable.»


    Mise à jour à 17h20: ajout des précisions du parquet de Bobigny qui annonce l'ouverture d'une enquête judiciaire.