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    Philippe Poutou à BuzzFeed: «On se focalise sur les ouvriers mais tout le monde vote un peu FN»

    Philippe Poutou a répondu à nos questions. Il nous explique pourquoi sa candidature ne profite pas d'un climat de «plus en plus dur», alors qu'«on a toutes les raisons de se révolter, de combattre ce système». Et sinon, il ne connaît pas Beyoncé.

    Quand Philippe Poutou débarque dans les locaux de BuzzFeed France, il est de bonne humeur, le sourire aux lèvres. Pendant la pause clope de ses deux «camarades», il débriefe l'enregistrement de l'émission On n'est pas couché qu'il a enregistrée la veille. À une vingtaine de jours du premier tour de la présidentielle, le candidat du NPA espère faire mieux qu'en 2012 où il avait récolté 1,15% des votes, et remettre le curseur de cette drôle de campagne sur le sort des travailleurs en France.

    C'est votre seconde campagne présidentielle. Comment vous la sentez cette campagne? Qu’est-ce qui a changé depuis 2012?

    Tout est plus dur. Aujourd’hui, la situation économique est difficile, il y a plus de pauvreté, plus de difficulté, tout s’est aggravé. La nouveauté de cette campagne c'est peut-être aussi que la violence dans la société est plus prégnante, notamment les violences policières. Pour nous, militants du NPA qui sommes dans un courant minoritaire, c'est plus difficile car on voit bien que nos idées sont à contre-courant. Le climat actuel est plutôt à la résignation, mais en même temps on a une plus grosse motivation à faire entendre la colère.

    Pourquoi vous n'arrivez pas à plus profiter de la situation, après les mandats de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy, de François Hollande, le PS qui implose, les Républicains mal en point…

    C’est vrai que ça reste mystérieux. On a toutes les raisons de se révolter, de combattre ce système, de s’attaquer à tous ces fortunés, mais à côté de ça le NPA reste toujours à contre-courant. La réponse se trouve peut-être du côté de la résignation. La crise ça fait des dégâts parce qu'il y a de la pauvreté et de la précarité, mais ça fait aussi beaucoup de dégâts dans les têtes. Les réflexes de solidarité, de conscience collective, ça s’écroule avec. On voit qu’il n’y a plus d’espoir de s’en sortir nous-même et ensemble. Ça explique le décalage entre un monde injuste et une incapacité à riposter et se défendre. C'est pour ça qu'on essaie d’apporter des débuts de réponse, pour qu’il y ait quelque chose qui se reconstruise.

    Vous ne profitez pas non plus du vote ouvrier, vous qui les mettez pourtant au cœur de votre programme. Ce vote va de plus en plus au Front national. Pourquoi?

    On se focalise beaucoup sur l’ouvrier qui vote FN mais tout le monde vote un peu Front national, leur gros score ne vient pas que du monde ouvrier. Dans le vote populaire il y a toujours eu un vote à droite. Aujourd'hui il faut savoir qu'il y a beaucoup d’abstention et aussi des gens qui ne sont pas inscrits. Et ça n'apparaît pas dans les taux d’abstentions. C’est le premier problème qu’on a, les gens rejettent tout et ils ne s'intéressent pas à la politique.

    Comment est-ce qu’on gère le fait d’être à la fois candidat et d'avoir un travail? Comment on gère cet équilibre au quotidien?

    Quand on est militant au NPA on est habitué à passer du temps à préparer les manifestations, à mener la bataille, on est nombreux dans ce cas. La particularité de la présidentielle c’est qu’il y a un visage qui porte la parole, mais tout ça se gère relativement bien. Bouger et faire plein de trucs, c’est ce qu’on souhaite. Nous, on voudrait expliquer qu’il faut qu’on fasse de la politique nous-mêmes. On est contre les politiciens professionnels. Actuellement je suis en suspension de contrat pendant 5 semaines [Philippe Poutou travaille comme ouvrier dans une usine en Gironde, ndlr] car il y a une sollicitation des médias, il faut faire les meetings. C'est pas un cadeau de Ford, c'est le NPA qui paie mon salaire pendant 5 semaines. Mais avant je continuais de bosser, d'aller en manif et d'être avec mes collègues.

    Est-ce que cette normalité ne vous dessert pas? Vous avez été fouillé place de la République lors d'une manifestation contres les violences policières alors qu'on imagine difficilement Marine Le Pen, François Fillon ou Benoît Hamon se soumettre à ce genre de contrôle?

    Déjà, on n'imagine pas Fillon manifester contre les violences policières, donc lui il risque pas de se faire stopper. Ce qui est scandaleux, c’est pas que moi candidat je sois contrôlé. Ce qui est scandaleux, c’est l’idée que quand on va manifester on se fait contrôler. Le danger c’est qu’on intègre petit à petit qu'une manifestation va devenir un endroit fermé où les gens n’osent plus aller. Ça risque de créer paradoxalement un climat d’insécurité.

    Sur les violences policières, vous écrivez dans votre programme que vous souhaitez lutter contre «les violences d'un État policier». Vous proposez l'interdiction des «armements offensifs» comme le flash-ball ou le taser. Comment va faire la police pour se défendre?

    La première réponse c’est déjà qu’on constate des violences policières notamment dans les quartiers populaires. L’attitude policière engrange une logique de violence mais cette violence ne résoudra rien, elle ne pourra qu’aggraver les choses. Les vrais problèmes c’est le chômage, la précarité, la pauvreté, la discrimination, le racisme... notamment dans les quartiers populaires. On nous dit que les policiers doivent être armés, qu'il faut qu’ils se défendent. Mais plus ils sont agressifs, plus ils sont violents et plus ils vont susciter une haine en face d'eux. Dans la police anglaise, en Norvège ou en Suède, on voit qu’en règle générale que comme la police est beaucoup moins armée, il y a beaucoup moins de violence. Plus il y a d’armes, plus c’est dangereux.

    Sur ces violences policières, on a eu récemment le cas de l’affaire Théo puis l’affaire Shaoyo Liu. Y a-t-il selon vous un côté systémique dans ces violences? Ces affaires répondent-elles à la même logique?

    Ça relève du même phénomène, la multiplication de ce qu’on pourrait appeler des bavures. Nous on n’appelle pas ça des bavures, parce que c’est la conséquence logique d’une police qui se sent de plus en plus légitime à réprimer. Il y a eu la loi récemment modifiée sur la légitime défense. Il y a un encouragement à utiliser son arme et par avance ça justifie ça. Donc forcément, on a des exemples qui traduisent clairement ce que ça devient: c’est qu’ils tirent plus facilement. Ils arrivent, et ils tirent de suite. C’est le drame, au bout du compte. C’est un véritable danger parce que là on a une accumulation de cas dramatiques et puis on sait que ça va s’accroître. Donc oui, on peut dire que tous ces cas-là, ça relève du même problème.

    Un autre point important de votre programme, c’est les droits des femmes. Vous demandez «l’égalité des salaires» et «une éducation non sexiste». Concrètement comment comptez-vous mettre fin à des siècles d’inégalité?

    On a toujours du mal à avoir des mesures concrètes, car les problèmes de discrimination et d’inégalité entre les sexes sont complètement liés au système d’oppression capitaliste avec une classe sociale qui dirige. Aujourd’hui, on voit que l’aggravation de la crise et de la précarité aggravent aussi les inégalités et notamment celles qui touchent les femmes, qui subissent encore plus la précarité et les bas salaires. Tout ça s’amplifie. La lutte pour l’émancipation et l’égalité des droits, c’est aussi la lutte contre les politiques qui provoquent et aggravent les inégalités. Il y a une lutte urgente aujourd’hui pour les droits des femmes. Là, on discute des salaires, mais l’oppression c’est aussi d'autres formes de violence, le harcèlement au travail, dans les transports, ce sont des choses qui ont l’air de s’aggraver aussi.

    Beyoncé ? «J'en pense rien, je connais que son nom (rires)»

    Qu’est-ce que vous pensez de votre fanbase qui existe sur Internet ? Des gens qui gèrent les pages Fan 2 Philippe Poutou, des remix de chansons faits en votre honneur ou des tweets qui disent vous trouver très attirant? Qu’est-ce que ça vous inspire?


    Je savais pas tout ça! (rires) C’est fait de manière complètement autonome et il y a beaucoup d’autodérision. Il y a un faux fan club, un faux site de fans et ça se moque pas mal de moi aussi, c’est ça qui est bien! Tout est pris volontairement pour rigoler parce qu’on a envie de dégommer l’aspect hyper personnalisé de la présidentielle, avec l'image du super-héros ou du sauveur. Nous on n'est pas du tout là-dedans, ça rigole et tant mieux. Y en a marre de tous ceux qui se prennent hyper au sérieux. Je regarde pas ça, mais des fois je le sais parce que des collègues de boulot viennent m'en parler. Ça marche très bien à l’usine, beaucoup suivent et se font passer les trucs.

    On a une petite tradition chez BuzzFeed. Tous les vendredis on revient sur nos échecs et réussites de la semaine, nos wins and fails. Quels sont les échecs et réussites de votre campagne?

    Le positif, c’est qu’on a fait deux bons meetings cette semaine à Besançon et Nantes. Les salles étaient pleines, à notre échelle à nous (deux fois 350 personnes). On est très contents de l’affluence, et surtout on voit pas mal de jeunes ce qui donne lieu à des discussions. La manif du 19 mars contre les violences policières et contre le racisme, ça faisait plaisir de voir qu'il y avait du monde, ça donnait l'impression qu’il y avait une réaction, une colère qui s’exprimait. Sur les échecs, je dirais que ce sont les galères de campagne quand on est toujours pressés. Récemment on a failli rater une interview à TF1, on est arrivé en courant, j'étais presque essoufflé sur le plateau. Le débat de TF1, où l'on a pas été invité, est aussi un échec pour nous. C’est profondément anti-démocratique comme s'il y avait la catégorie des candidats qui peuvent être élus et ceux qui ne comptent pas.

    En cas de duel Macron - Le Pen au second tour, vous votez pour qui?

    On n’en est pas là donc je ne vais pas vous répondre parce qu’on discutera sérieusement à l’issue du premier tour. Mais ce qu’on a envie de dire c’est que c'est terrible qu’on nous mette dans la tête que Macron va être le barrage à Le Pen. Le problème, c’est que Macron est un ultra-libéral. Aujourd'hui il y a de la précarité, de la misère, et plus d’inégalités sociales. On voit bien que le FN se nourrit de ça et arrive à récupérer le mécontentement lié à ça. Si Macron passe contre Le Pen, on sera soulagés d’une certaine manière. Pour nous, le combat contre l’extrême droite c’est au quotidien. C’est aussi pour ça qu’on est là. Pour dire que Le Pen est une fausse amie du peuple. Elle est dangereuse, du côté des riches et d’ailleurs elle fait de la politique comme les autres : c’est des magouilles, des scandales, de la tricherie, du vol… Ce sont des idées xénophobes qui sont un danger pour nous, c’est une vraie pression sociale contre les syndicats. C’est tout ça l’extrême-droite et Le Pen.

    Une journaliste irlandaise du Daily Edge a demandé récemment à chaque parlementaire irlandais son avis sur Beyoncé. Philippe Poutou, qu’est-ce que vous pensez de Beyoncé?

    J’en pense rien parce que j’en connais que le nom (rires). Je vais pas faire le jeune et vous dire oui c’est super ou oui j’aime pas, non j’en pense rien. C’est pour ça que j’ai répondu Salut à toi des Béruriers noirs quand on me demande ce que j’ai envie de dire comme chanson préférée. Y a plein de trucs que je connais pas plein de trucs sur lesquels j’ai pas d’avis.

    L'interview casseroles de Philippe Poutou

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