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    Anonymisation des terroristes: les questions que cela pose dans certaines rédactions

    Collaboration au sein de la future chaîne d'info France Info, organisation pour les rubriques de désintox... quelques questions posées par l'anonymisation des terroristes.

    Faut-il révéler l'identité des terroristes dans les médias ou à l'inverse ne plus diffuser le nom et les photos des auteurs d'attaques terroristes? Le débat agite les rédactions françaises après l'attentat perpétré à Saint-Etienne-du-Rouvray (Normandie) mardi 26 juillet et revendiqué par le groupe État islamique.

    Dans un éditorial publié mercredi 27 juillet, Le Monde est le premier média à trancher sur cette question après l'attentat. «À la suite de l’attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries, pour éviter d’éventuels effets de glorification posthume», écrit le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio. Cet article a poussé d'autres médias à se positionner également sur cette question comme BFMTV, France Info, RFI, France 24, ou encore La Croix qui ont décidé de ne pas diffuser les photos de terroristes.

    D'autres rédactions sont plus partagées et plaident le cas par cas, comme TF1 ou France Télévisions. Michel Field le directeur exécutif en charge de l'information écrit dans un communiqué: «Ma position est de faire confiance au sens de la responsabilité et à l'éthique journalistique des équipes de France Télévisions. C'est à elles de juger, au cas par cas, suivant le contexte, de l'intérêt ou non d'une information ou d'une image à diffuser. (...) Mais rien ne serait pire que mettre le doigt dans une auto-censure.»


    Pour Libération, hors de question de ne pas publier d'images de terroristes. «Une photo publiée ne changera rien à la stratégie des terroristes (...) Pas n’importe comment, pas sans avertissement ni précaution.»

    Au lendemain de son édito, Jérôme Fenoglio a nuancé sa position en expliquant que la non-diffusion de photos de terroristes porte «principalement sur des images tirées de leur vie quotidienne ou sur celles, souvent prises par eux-mêmes, précédant leur passage à l’acte. Cette demande ne concerne pas les documents de type pièce d’identité, ou les images apportant différents types de preuves». Le directeur du journal rappelle par ailleurs que depuis deux ans, Le Monde ne publie plus de photos extraites de vidéo de propagande ou de revendications.

    Problématique au sein de la nouvelle chaîne d'info?

    La nouvelle chaîne d'information publique France Info, mise en place entre France télévisions et Radio France, et dont le lancement est prévu le 1er septembre, devra trancher cette question à son tour.

    Du côté de France Télévisions, Michel Field affirme qu'il faudra voir au cas par cas.
    Chez France 24 (qui fait partie du projet), la décision prise de ne pas diffuser de photo est définitive, et ce, peu importe la manière dont se fera la collaboration au sein de la nouvelle chaîne d'info. «Nous avons pris cette décision en notre âme et conscience d'autant que c'est la suite logique de ce que nous avons appliqué depuis septembre 2014 en refusant de relayer la propagande de l'État islamique», rappelle Marc Saikali, directeur de France 24, interrogé par BuzzFeed News.

    «Je réfute ce que dit Michel Field quand il parle "d'auto-censure", il s'agit de ne pas être une caisse de résonance pour les djihadistes, d'autant qu'on est regardés par plus de 50 millions de personnes dans le monde entier.» Il ajoute ensuite que la décision prise par France 24 ne pourrait être modifiée car le «cœur du projet de France Info c'est la pluralité éditoriale.»

    Contacté par BuzzFeed News, Germain Dagognet, directeur délégué à l'information de France Télévisions en charge du projet de la nouvelle chaine d'info, explique lui qu'il n'y a aucune contradiction entre le positionnement de France Télévisions et celui de France Médias Monde (dont France 24 fait partie). «Lorsque vous regardez le communiqué de FFM et celui de Michel Field, vous vous rendez compte qu'on dit la même chose.»

    Il admet toutefois que toutes les chaînes impliquées dans France Info n'ont pas encore eu le temps de se poser la question entre elles. «Nous sommes actuellement en train de mettre en place une gouvernance, une coordination. Mais n'avons pas encore eu le débat avec France 24 et les autres chaînes, d'autant que de nombreux journalistes sont actuellement en vacances, il faudra en rediscuter quand tout le monde sera revenu.»

    Et lorsque les médias démontent les rumeurs sur internet?

    La question de la mise en place des différentes décisions se pose également pour les médias qui comportent en leur sein une rubrique qui démonte les rumeurs circulant sur internet. C'est le cas des Décodeurs sur le site du Monde. Comment prouver qu'une information sur des terroristes est fausse et prendre le risque de montrer leurs visages si les responsables ont pris position?

    «La règle interne est un peu plus souple. L'idée est de ne pas les glorifier, mais pas de s'interdire absolument toute photo si celle-ci joue un rôle important de compréhension», explique Samuel Laurent, responsable des Décodeurs à BuzzFeed News. «De manière générale, on essaye un maximum d'éviter de montrer des images choquantes, si elles ne sont pas nécessaires. L'idée était surtout de dire "on ne mettra plus de grand portrait souriant en une du journal où du site"», ajoute-t-il.

    Pour Alexandre Capron, qui travaille pour les Observateurs de France 24 , «au moindre doute sur quoi que ce soit, on s'abstiendra, comme on l'a toujours fait». Mais pour lui, son travail n'en sera pas pour autant affecté. «Nous ne diffusons jamais les images des terroristes de toute façon, ça ne change rien du tout pour l'équipe des Observateurs.» Il admet s'interroger sur les arguments de certains confrères qui disent que cacher les visages d'assassins, c'est faire le jeu des complotistes.«Ça me gène un peu de me dire que notre travail de journaliste est influencé par les complotistes... C'est à nous journalistes de montrer le ridicule de leurs analyses.»