Aller directement au contenu

    Le progressisme discret mais efficace de «Rogue One»

    En deux films, Star Wars est devenu la franchise la plus inclusive de l’Histoire d’Hollywood.

    Le 14 décembre sort Rogue One, le nouveau volet de l'univers Star Wars. Mais dans ce film, «indépendant» des sept autres, l'intrigue et les personnages ne sont pas les seuls aspects inédits. L’héroïne est une femme courageuse, intelligente et badass: Jyn Erso, jouée par l’incroyable Felicity Jones. Et son compagnon d’aventures est interprété par Diego Luna, un acteur mexicain dont l'accent est perceptible dans le film. Dans leur groupe de rebelles, on trouve aussi Forest Whitaker, les acteurs chinois Donnie Yen et Jiang Wen, et le britannique Riz Ahmed, d'origine pakistanaise. À l’exception peut-être de Fast & Furious, Star Wars est devenu en l'espace de deux films la franchise la plus inclusive de l’Histoire d’Hollywood.

    Pourtant, Star Wars n’a pas toujours été un modèle de diversité ou de féminisme. Dans la première trilogie, la Princesse Leia occupait une place importante dans l’intrigue. Courageuse et caractérielle, elle était en quelque sorte une icône féministe pour l’époque. Mais la vedette lui était régulièrement volée par Luke et Han Solo, les «vraies» stars de l’histoire, et il aura fallu attendre l’arrivée de Rey en 2015 pour qu’une femme touche enfin un sabre laser. Ne parlons même pas de la deuxième trilogie, dans laquelle Padmé ne jouait qu’un rôle mineur.

    Star Wars a aussi souvent été décrié pour son manque de diversité: quasiment tout le casting des six premiers films était blanc, le seul personnage important de couleur étant Lando Calrissian –et certains critiques avaient déploré son utilisation d'un argot afro-américain caricatural. Sans oublier Jar Jar Binks, une créature dont le physique et l’accent rappelaient les stéréotypes de l’Antillais bon vivant et paresseux.

    En 2015, lorsque la franchise a été relancée avec Le Réveil de la Force, tout a changé. Le film, qui deviendrait rapidement le plus rentable de l’Histoire des États-Unis, avait une femme pour héroïne: Rey, une pilleuse d’épaves incarnée par Daisy Ridley. Elle savait non seulement se battre et piloter des vaisseaux, mais elle était également capable de manier la Force. Son acolyte Finn, un stormtrooper, était noir. Lorsque les premières images du film ont été révélées, certains fans ont eu du mal à l’accepter. La décision de caster John Boyega a particulièrement été mal reçue et a même entraîné la création d’un hashtag appelant à boycotter le film.

    L’objectif de ce nouvel opus était très clairement de corriger les manquements des films précédents, en reflétant plus justement la mixité et la modernité de la société actuelle. Un objectif parfaitement assumé par J.J. Abrams, le réalisateur: «Star Wars a toujours été un truc de garçons, et un film que les pères allaient voir avec leur fils. Et même si c’est toujours le cas, j’espérais vraiment que celui-ci soit un film que les mères puissent aller voir avec leur fille.»

    Avec leur casting international et la place importante qu'ils accordent aux femmes, Le Réveil de la Force et Rogue One prennent donc le parti de moderniser la franchise en douceur. Car actualiser une franchise adorée des fans n'est pas tâche facile. D'autres s'y sont récemment attelés, avec plus ou moins de succès. Avec Creed en 2015, Ryan Coogler dépoussiérait la saga Rocky, mettant en scène des héros noirs incarnés par Michael B. Jordan et Tessa Thompson. Du choix des quartiers à la musique en passant par les cheveux de Bianca, Creed est une célébration de la culture et de l'identité noire. Le film a été acclamé par la critique, mais lorsque l'heure des Oscars est arrivée, Sylvester Stallone, qui incarne le seul personnage blanc du film, a été le seul à recevoir une nomination. Quant à la décision de relancer S.O.S. Fantômes avec un casting presque exclusivement féminin, elle a entraîné un torrent de haine misogyne et raciste d'une rare violence. En plus de présenter des femmes badass sans les objectifier, le film s'amusait à renverser de nombreux clichés sexistes. Malheureusement, cette approche «radicale» n'a pas obtenu le succès espéré au box office, et les chances de voir une suite sont peu probables.

    Le Réveil de la Force et Rogue One ont une approche différente. Bien que leurs héros sont souvent des marginaux, les films n’abordent pas directement les questions de racisme ou de sexisme: leur diversité est juste un fait parmi d’autres. Les seules questions d'identité sont liées à qui est le père de qui, pas à la couleur de peau ni au genre des personnages. Mais ce progressisme «discret» est en soi révolutionnaire: il permet aux enfants de couleur et aux petites filles de s’identifier directement aux héros d'un des films les plus rentables de l’Histoire. D’acheter des jouets et des déguisements qui leur ressemblent, et de savoir que pour eux aussi, être courageux, unique et héroïque est possible.

    Mais cette inclusion est aussi un bon calcul financier. Car la diversité dans les films représente aussi un marché. Comme l'écrit Birth. Death. Movies., «il y a un nouveau public de jeunes gens dont Star Wars a besoin si la franchise veut rester rentable dans dix ans [...]. Les nouveaux spectateurs potentiels qui étaient autrefois exclus ont désormais les outils pour exiger d'être représentés par les entreprises qui veulent leur argent.» L’année dernière, les jouets inspirés du Réveil de la Force ont généré 700 millions de dollars de recettes aux États-Unis. Et malgré une première campagne marketing désastreuse qui excluait Rey, les jouets à l’effigie de la jeune héroïne se sont vendus trois fois plus vite que le reste.

    L'autre intérêt de la diversité au cinéma est d’attirer les marchés internationaux, et notamment la Chine. À la grande déception des producteurs, Le Réveil de la Force n’avait pas attiré les foules en Chine lors de sa sortie. Or le marché chinois s’impose progressivement comme incontournable pour Hollywood: de plus en plus, les producteurs de blockbusters américains font appel à des célébrités asiatiques dans leurs films pour s’attirer les faveurs d’un des plus grands box office au monde: Li Bingbing dans Transformers: Age of Extinction, Fan Bingbing dans X-Men: Days of Future Past, Angelababy dans Independance Day: Resurgence... À cet égard, le choix de caster deux acteurs chinois dans Rogue One n’est peut-être pas anodin.

    Sauf que contrairement aux films cités précédemment, Rogue One ne se contente pas de placer des acteurs chinois en arrière-plan, et de leur donner une ou deux répliques pour faire joli. Chirrut et Baze sont des personnages multi-dimensionnels; ils font partie intégrante du casting et de l’intrigue dans son ensemble. La nouvelle diversité de l'univers de Star Wars n'est ni brandie en étendard, ni utilisée comme prétexte. Elle est, tout simplement.

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    Rogue One, en salles à partir du 14 décembre.