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On a rencontré des femmes à Cannes qui nous racontent le sexisme dans le cinéma

Actrice, productrice, commerciale, critique, stagiaire... plusieurs femmes présentes à Cannes nous racontent les remarques et le sexisme ambiant qu'elles vivent au quotidien.

Robin Wright, actrice

«J'avais 17 ans je crois, j'étais à Paris, et je suis allée à un casting préliminaire, en pensant qu'ils voulaient juste voir mon visage, et l'homme m'a dit "soulevez votre t-shirt", je me suis exécutée, et il a dit "non j'aime pas, je préfère les nénés de l'autre". Je n'ai pas eu le boulot (rires).»

Actrice américaine connue pour son rôle dans Forrest Gump, Robin Wright incarne actuellement Claire Underwood dans la série House of Cards. Elle a présenté cette année à Cannes son premier court-métrage, The Dark of Night.

Rachel Visscher, réalisatrice, productrice et monteuse

«Aux Pays-Bas on a un système complexe: quand on fait un film pour les enfants, si on n'a pas trouvé de télévision pour diffuser le film avant même de commencer, on ne peut pas être dans la boucle pour obtenir de l'argent. C'est pour ça que j'ai dû financer mon film de manière complètement indépendante. Une fois le film réalisé, j'ai encore essayé de trouver un diffuseur à la télévision. J'ai rencontré un producteur qui m'a dit qu'il était intéressé.

Je rentre dans son bureau, et nous sommes seuls tous les deux. Il me regarde déjà d'une certaine façon. Pendant tout le temps où nous discutons, il ne fait que des remarques sur mon apparence, sur mes cheveux, que je suis tellement belle, est-ce que j'ai un petit ami... C'est un homme important, alors je suis un peu timide, j'essaie de ne pas me fâcher, de lui faire comprendre de me laisser tranquille en rigolant. Mais c'était clair qu'il voulait quelque chose de moi. Il m'a aussi proposé d'aller dans un café pour continuer notre conversation là-bas. À la fin, j'ai compris que comme je n'avais pas accepté de lui donner "d'autres services", je n'aurais pas de chance. Le film a été rejeté et il n'a pas pu être diffusé à la télévision néerlandaise.

C'était extrêmement compliqué, parce qu'il connaissait une personne plus importante, la seule qui s'occupe des films pour les enfants aux Pays-Bas, il n'y en a qu'une, et c'était bloqué à cause de lui. Je me suis dit que si je parlais à son boss, on me poserait plein de questions, et je n'avais pas vraiment le temps pour ça. Maintenant je me sens mal, parce qu'en tant que femmes, on ne peut pas laisser passer ça.»

Le dernier film de Rachel Visscher, Raffaelo in the wild, a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux et présenté au festival de Cannes.

Eva Longoria, actrice, productrice et réalisatrice

«Il y a beaucoup de sexisme à Hollywood. Un des plus gros problèmes se situe au niveau de la réalisation. On a besoin de plus de réalisatrices, et une fois que j'ai commencé à réaliser des films, j'ai commencé à ressentir ce sexisme un petit peu plus. J'ai eu la chance d'avoir de très bons directeurs de la photographie, mais j'en ai eu quelques uns qui me faisaient des compliments du genre "wow, tu es douée pour une fille!"

Eva Longoria a joué dans plusieurs films et séries dont Desperate Housewives. Elle a réalisé le documentaire Latinos Living the American Dream, ainsi que plusieurs épisodes de séries comme Black-ish ou Jane The Virgin.

Emma M*, membre de la commission des films en Pologne

«La plupart des personnes qui travaillent avec moi sont des femmes, mais la personne à la tête de mon institution est un homme. Et au sein du cinéma polonais, comme dans le reste du monde d'ailleurs, les hommes sont majoritaires.
Le sexisme est encore largement présent à certains niveaux, et on le voit à travers des blagues stupides ou le ton condescendant que certains hommes emploient à notre égard.

J'ai gardé en mémoire le cas d'une femme qui marchait dans les couloirs d'un de nos départements avec un café à la main et elle chantait une chanson d'un dessin-animé Disney. Son boss, qui est un homme, lui a lancé: "Tu devrais faire un test de grossesse parce que quand ma femme était enceinte elle chantait du Disney". Elle n'a rien répondu elle était complètement pétrifiée. Mais ce genre de choses arrivent tout le temps parce que l'ambiance dans notre commission est plutôt cool, et les mecs ont plus tendance que les femmes à lâcher des blagues sexistes.»

*Emma n'a pas souhaité donner son nom de famille par peur d'être reconnue

Isabelle Huppert, actrice

«Moi, j'ai réussi à me mettre dans une situation où j'ai même pas été en position de recevoir ce genre de remarques, je me suis peut-être bien débrouillée je ne sais pas... Mais de loin, je repère assez bien le danger donc j'ai fait en sorte de me tenir toujours très très loin d'un danger possible. Je crois que je n'aurais pas supporté d'avoir des remarques de ce genre dans l'exercice de ma profession.

J'ai vraiment fait en sorte que ça ne m'arrive jamais. Je sais que ça arrive, mais je pense que je ne l'aurais pas supporté. Mais je n'ai pas vraiment le souvenir d'avoir été confrontée de près à quelque chose qui m'aurais déstabilisée à ce point. Pour avoir, moi, été capable de l'avoir repéré de loin.»

Isabelle Huppert est à l'affiche de Happy End de Michael Haneke, film qui figure en compétition officielle cette année.

Angie Antoine, stagiaire dans une boîte de production et de distribution

«Juste le sentiment général qu'on part du principe que le corps des femmes est à vendre. Pas plus tard qu'aujourd'hui, je revenais de ma pause déjeuner et un mec s'est approché de moi et m'a dit "vous avez déjà mangé?". J'ai répondu oui et il m'a dit "ah dommage, j'aurais bien aimé manger avec vous". Je ne l'avais jamais vu, je ne le connaissais pas et il avait plus de 50 ans. Quand je lui ai fait comprendre que c'était assez impoli, il s'est éloigné et s'est mis dans un coin, et m'a fixée pendant plusieurs minutes avant de partir.»

Tilda Swinton, actrice et productrice

«La chose la plus sexiste qu'on m'ait dite? Oula, il faudrait que j'y réfléchisse (rires). Je pense que très souvent, on ne pose pas de questions aux femmes. Tout simplement. Donc ce n'est pas quelque chose qu'on m'a demandé, c'est une absence.»

Tilda Swinton est à l'affiche d'Okja, le prochain film de Bong Joon-Ho, qui sera en ligne sur Netflix le 28 juin.

Marine Zemanski, travaille dans une société spécialisée dans l'achat et la revente de droits de films et téléfilms

«Dans le cinéma comme dans la télévision, la dominante est clairement masculine. Quand on regarde un peu qui sont les sociétés et les investisseurs, il y a 80% d'hommes au moins. Et en France il y a quand même quelques sociétés indépendantes de distribution dirigées par des femmes, mais quand on monte à des niveaux supérieurs, on ne trouve que des hommes.

C'est pour ça que ma boss a décidé de faire des films un peu dans le genre films d'action, mais toujours avec un lead féminin. Elle tient vraiment à ce que le rôle de la femme soit un rôle fort dans ses films et qu'elle ne joue pas la potiche. À titre personnel, je ne me souviens pas d'une remarque sexiste à mon égard, j'ai peut-être oublié.

Mais j'ai plein d'amies qui lors des rencontres avec des producteurs ou réalisateurs se font soit reluquer de manière extrêmement agressive ou soit se prennent des remarques sur leur look. Un producteur avait par exemple demandé à une de mes amies pourquoi elle ne portait pas de talons aiguilles au lieu des talons carrés qu'elle portait ce jour-là. Une autre copine m'a raconté qu'elle avait eu beaucoup de mal à se débarrasser d'un distributeur qui faisait volontairement durer leur dîner pro, tout en la complimentant très lourdement pendant la soirée, en l'invitant à plusieurs reprises à signer le deal dans son appartement.»

Lucile Bellan, journaliste et critique cinéma

«Je ne crois pas avoir une anecdote frappante sur le sexisme dans le cadre de mon travail. Parce que je suis certaine d’avoir mariné dans ce bain poisseux depuis mes premières années comme journaliste/critique cinéma. C’était dans l’air, on ne m’écoutait pas. Toujours la dernière servie au moment de se répartir les textes, ne récupérant que les oeuvres obscures qui n’intéressaient plus personne. Toujours des mots, des "fais pas ta pute" et autres grossièretés qui donnent à la rédaction des ambiances de vestiaire. Être la fille de la rédaction c’est ne jamais être autre chose que "la copine de" ou "la femme de".

J’écris, autant voire plus que les autres, je porte ma propre voix mais je reste celle qu’on présente aux collègues ou aux employeurs potentiels comme Lucile-la-femme-de. Et mes avis, au fond, ne sont toujours ceux que d’une femme. Alors pendant un temps, je me fonds dans ce monde absurde et débilitant. Je jure comme un charretier, je me fais remarquer, je n’aime jamais ouvertement un film trop sentimental, trop intellectuel, trop français. Je deviens comme eux sauf qu’eux n’oublient jamais ma différence. On me refile les tapis rouges parce que je "présente mieux", on m’invite à mettre mes seins en avant avec des décolletés avantageux, pour me bizuter on m’envoie pour la première interview de ma vie auprès d’un acteur de films pornographiques qui a la réputation de draguer lourdement les journalistes. Jamais je n’oublie que je suis une femme. Par contre, et pendant longtemps, j’oublie que je suis une critique.»


Ces témoignages ont été édités et condensés pour des raisons de clarté.