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    Devrait-on être plus exigeants avec Bridget Jones?

    Dans Bridget Jones Baby, la priorité numéro un de Bridget reste encore et toujours de trouver un homme et de s'installer.

    (Spoilers, mais seulement si vous n'avez jamais vu de comédie romantique de votre vie.)

    La scène d'ouverture du nouveau film intitulé Bridget Jones Baby (qui sort ce mercredi 5 octobre) semblera familière à quiconque a déjà fait connaissance avec notre héroïne dans l'un des deux premiers volets —Le Journal de Bridget Jones en 2001 ou Bridget Jones: L'Âge de raison en 2004.


    Bridget (Renée Zellweger) est seule dans son appartement pour son 43e anniversaire et sur le point de manger un cupcake alors que la chanson All by Myself résonne dans toute la pièce. «Mais comment est-il possible que je me retrouve encore là ?» se demande-t-elle, une question qu'on pourrait bien aussi se poser. Bridget est —encore!— une Célibataire Déprimée Professionnelle; elle remarque que sa mère l'a bien appelée, comme tous les ans, pour lui rappeler de sortir ses ovaires de la retraite. Mais «au moins, j'étais retombée à mon poids idéal», se félicite-t-elle.

    Si tout cela a un air de déjà-vu, c'est parce que c'est le refrain de Bridget depuis le premier film. À l'époque, elle se lamentait déjà: «Ce fut le moment où je me suis soudain rendue compte que si quelque chose ne changeait pas très vite, j'allais vivre une vie où la relation la plus importante de ma vie serait avec une bouteille de vin. Et que, pour finir, je mourrais grosse et seule et serais retrouvée trois semaines plus tard, à moitié dévorée par des chiens errants.»

    À chaque fois, ce sont les mêmes clichés. C'est à peine un spoiler (puisque c’est dans la bande-annonce du film) d'apprendre que dans ce troisième film, il y a un mariage à la fin. Comme des décennies de comédies romantiques nous l'ont appris, il est impossible de représenter le célibat autrement que comme une étape parfois longue sur le chemin du bonheur conjugal. Mais à l'ère des livres sur les femmes célibataires et leur quête d'autonomie, comme celui de Rebecca Traister All the Single Ladies [Toutes les femmes célibataires] et Spinster [Vieille Fille], de Kate Bolick, est-ce trop demander que Bridget puisse emprunter un chemin différent de celui exigé par tous les clichés de la comédie romantique?

    Eh bien... oui, on dirait. Après son désastreux anniversaire —ses meilleurs amis lui ayant tous posé un lapin pour son dîner d'anniversaire à cause de leurs enfants, et après avoir été accueillie à son travail par un gâteau lesté de 43 bougies— Bridget se retrouve dans un festival de musique, à rouler dans une yourte entre les bras d'un américain sexy incarné par Patrick Dempsey. Mais une semaine plus tard, elle retrouve à un baptême son seul amour véritable, Mark Darcy (Colin Firth), et ils couchent ensemble. Ensuite, bien sûr, s'ensuit toute une série de rebondissements pour découvrir lequel de ces deux hommes beaux, et apparemment virils, est le père.

    Le film est plus drôle qu'il ne devrait l'être: j'ai éclaté de rire à plusieurs reprises lors de la projection où je suis allée et je me suis souvenue à quel point Renée Zellweger est particulièrement douée pour la comédie physique. Pourtant, je suis partie avec le sentiment tenace que —tout comme Bridget au début du film— la comédie romantique, en tant que genre, n'arrive pas à évoluer. Une des caractéristiques de la comédie shakespearienne était qu'elle finissait par un mariage (par opposition aux tragédies, qui s'achevaient avec une mort). Par la suite, les romancières anglaises, comme Fanny Burney ou Jane Austen, ont écrit les premiers romans de comédie romantique, qui se terminent eux aussi par des mariages. Depuis, le genre ne s'est majoritairement pas écarté de cette trame narrative.

    Donc, la trajectoire de Bridget de pauvre nana célibataire à femme heureuse d'être mariée et d'avoir un enfant reflète un scénario de comédie romantique prévisible, hétéronormatif, et tout ce qu'il y a de plus traditionnel. Peu de comédies romantiques à gros budget de Hollywood ont osé subvertir cette trame; celle qui l'a effectivement fait est le film La Rupture avec le couple Jennifer Aniston/Vince Vaughn, qui se termine (alerte spoiler pour un film vieux de 10 ans) avec les personnages d'Aniston et de Vaughn partant chacun de leur côté. Mais, en général, l'industrie du cinéma grand public rechigne à ne plus considérer le mariage non seulement comme un but, mais comme un signe d'une vie pleinement accomplie. (Bien que des films indépendants comme (500) jours ensemble et Celeste and Jesse Forever ont essayé de remettre en cause cette trame narrative, et que la télévision s'en soit également emparée avec des séries comme You're the Worst, Better Things, et même The Mindy Project.) Ces histoires prévisibles sont-elles ce que le public désire réellement, ou sont-elles ce que Hollywood pense que le public désire?

    Dans Bridget Jones Baby, Bridget est parvenue assez loin professionnellement: elle est la productrice d'une émission de télévision quotidienne intitulée Hard News, mais son infructueuse vie amoureuse est ce qui semble dominer son identité, comme c'est le cas depuis le premier film. Une fois que l'intrigue principale du film —quel homme est le père de son futur enfant— est lancée, il y a un bref moment où il semble qu'il pourrait exister un monde où Bridget s'épanouirait par elle-même. Très vite, pourtant, l'histoire se resserre sur ces deux questions: quel homme est le père de l'enfant, et avec lequel elle va passer le reste de sa vie. C’est un changement subtil mais important, un changement qui ferme la porte à la possibilité que Bridget élève seule son enfant.

    Donc, quand elle se fait virer par sa chef, plus jeune qu'elle, après avoir fait une présentation désastreuse d'une nouvelle application pour l'émission, Bridget est inquiète, mais pas trop. Après tout, il y a deux hommes beaux et qui ont réussi qui se battent pour elle. À la fin, on ne sait pas très bien ce qu'il advient de sa vie professionnelle, mais on sait que ce qu'elle voulait vraiment, en fait, c'était se marier.


    À l'instar de Carrie Bradshaw et d'Ally McBeal, Bridget Jones a longtemps servi d'avatar pour un certain type de femme: professionnellement ambitieuse mais malheureuse en amour, et alternativement rebelle et découragée à ce sujet. Ce «type» de personnage hollywoodien doit cependant encore évoluer pour adhérer aux subtilités de nos mœurs d'aujourd'hui. Comme l’écrit Rebecca Traister:

    «Les femmes d’aujourd'hui, pour la plupart, ne s'abstiennent pas de se marier ou ne retardent pas le mariage dans le but de prouver quelque chose au sujet de l'égalité. Elles le font parce qu'elles ont intériorisé des idées qui, il y a tout juste un demi-siècle, auraient semblé radicales: qu'il est normal pour elles de ne pas se marier; qu'elles sont des personnes à part entière capables de vivre pleinement et par elles-mêmes une vie professionnelle, économique, sociale, sexuelle, et parentale si d'aventure elles ne rencontrent pas une personne à laquelle elles veulent se lier légalement. La plus radicale des idées féministes —le déclassement du mariage— a été si largement adoptée qu'elle est devenue une chose commune, vidée de son sens politique, mais toujours plus puissante dans la mesure où elle a transformé le cours standard de la vie des femmes.»

    Le film se termine sur Bridget entourée de son nouveau mari et de son bébé. C'est l'inverse parfait du début du film, où elle était présentée triste et seule. Cela implique donc que pour qu'elle s'accomplisse pleinement, Bridget doit choisir la voie la plus traditionnelle. Quel autre modèle existe-t-il, de toute façon? Comme Kate Bolick l'écrivait dans The Atlantic en 2011, dans un article qui servirait de base à son livre Spinster: «La femme célibataire est très rarement perçue pour qui elle est, quoi que cela puisse être, que ce soit par les autres ou même par elle-même, c'est ainsi que la plupart d'entre nous intériorisons les préjugés qui se rapportent à notre statut.»

    Bien sûr, ces préjugés sont encore plus complexes quand vous n'appartenez pas à cette classe démographique relativement aisée et blanche à laquelle appartiennent Kate Bolick et Bridget. À propos des mères célibataires, Kate Bolick écrit: «Aujourd'hui, 40% des enfants sont nés de mères célibataires. Ça ne veut pas dire que toutes ces femmes ont préféré cette voie, mais le fait que tant de femmes de la classe moyenne supérieure choisissent de l'emprunter —et que des homosexuels et des lesbiennes (marié-e-s ou célibataires) et des femmes plus âgées aient également des enfants, via l'adoption ou la fécondation in vitro— a contribué à réduire la stigmatisation à l'encontre de la maternité en solo.» Une fois que les femmes riches et blanches ont décidé qu'il était normal d'être des mères célibataires, alors la société a, elle aussi, fini par y venir.

    Mais, encore une fois, l'industrie du cinéma grand public n'a jamais été particulièrement novatrice quand il s'agit de défier les normes sociales. (Crazy Amy, qui a rapporté 140 millions de dollars dans le monde, relève de l'exception. Il s'agit d'une comédie romantique avec une héroïne complexe, même si le film se termine comme toute comédie romantique.) Dans la culture populaire, les mères célibataires dans les films sont généralement pauvres, non blanches, et jeunes (rayez la mention inutile). Généralement, elles sont là pour avoir l'air bécasse et non pour que le public puisse s'identifier à elles. Pour Bridget, qu'elle finisse le film heureuse et seule avec son enfant n'aurait pas offert au public une fin de comédie romantique satisfaisante, mais cela aurait été un petit mais significatif progrès dans la façon dont les femmes célibataires sont représentées dans la culture populaire.

    Le cadre traditionnel de la comédie romantique est certes confortable, mais en 2016, ses caractéristiques semblent plutôt régressives et incapables de se remettre en question. Si Hollywood n'a pas l'air de trouver très utile de prendre des risques dans ce genre cinématographique, le box-office en arrive à une autre conclusion: parmi les 25 comédies romantiques qui ont fait les plus grosses recettes depuis 1978, seules deux sont sorties au cours des cinq dernières années (Happiness Therapy et Crazy Amy). Peut-être que le public fait lui aussi la grimace face à un genre prévisible qu'il connaît déjà par cœur...

    Bridget Jones Baby a beau être une suite et un film hollywoodien, cela ne signifie pas que nous ne sommes pas en droit d'en attendre plus. Renée Zellweger s'est récemment exprimée haut et fort sur son avis concernant une société qui se concentre trop sur l'apparence des femmes plus âgées et sur comment elles doivent vieillir en public. Peut-être qu'elle, et nous également, pouvons maintenant tourner notre attention vers la façon dont Hollywood a recours à des idéologies dépassées et des histoires vieux jeu qui alimentent ces mêmes questions.