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    VSD au tribunal pour avoir publié la photo d'une victime du Bataclan

    La famille d'une des victimes du Bataclan a porté plainte contre une photographe et contre VSD après la publication d'une photo de Cédric G., avant qu'il ne décède. À l'audience, le journal plaide la nullité des poursuites.


    Mise à jour le le 20 mai: Ce vendredi, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré les poursuites contre VSD et la photographe irrecevables car reposant sur un «fondement juridique erroné». Le président Alain Bourla a souligné que les proches de la victime avaient la possibilité de saisir la justice au civil.


    Ce soir tragique du 13 novembre, la photographe Maya Vidon-White se rend près du Bataclan juste après l'attaque terroriste. De nombreux morts et blessés sont étendus devant la salle de spectacle ou dans les rues mitoyennes.

    Maya Vidon-White prend de nombreux clichés dont un de Cédric G., une victime du massacre du Bataclan. Ce jeune homme de 30 ans, régisseur à TV5Monde, était dans la fosse de la salle de spectacle. Le cliché publié le17 novembre dans VSD magazine, le montre à moitié dénudé et allongé au sol. Blessé à la tête, son visage est couvert de sang. Il a une couverture de secours alors que des pompiers le prennent en charge.

    À gauche, une légende présente cet homme comme un rescapé. À droite, un certain «Cédric, 41 ans» est interviewé. Il raconte avoir «rampé sur des corps» et avoir pu s'échapper de la salle de spectacle. Mais aucune mention n'est ajoutée pour préciser que ce témoignage n'est pas celui de l'homme présent sur l'image.

    Maya Vidon-White était accréditée pour l'agence américaine UPI, et la photo a fait partie d'une série de clichés vendue à UPI. L'agence américaine l'a ensuite vendue à l'agence photo française MAXPPP qui l'a ensuite revendue au magazine VSD.

    34.000 euros de dommages et intérêts demandés

    Après cette publication, la famille G. a décidé d'attaquer le journal. Contacté par BuzzFeed News, l'avocat de la famille de la victime, Me Sannier, explique les motifs de cette poursuite. «L'image est en couleur et non floutée. On voit du sang et l'impact de la balle. Cela a choqué la famille qui, de surcroît, savait qu'il était déjà mort.»

    D'après l'avocat, le rapport d'autopsie indique en effet que ce n'était pas «un rescapé», mais qu'il était déjà décédé (ce que ne confirme pas la partie adverse). Si Me Sannier «peut croire» que ni le directeur de publication, ni le rédacteur en chef n'étaient au courant, il estime que «la photographe ne pouvait l'ignorer». Il ajoute:

    «Après les attentats, de nombreuses photos très choquantes ont été publiées et ont même conduit à ce que la cellule interministérielle d'aide aux victimes alerte les médias pour ne pas les diffuser. Tous ont joué le jeu sauf le magazine VSD qui, prévenu le 16 novembre, a tout de même publié ce cliché le lendemain.»

    Par respect pour les victimes et leurs familles, ne contribuez pas à la diffusion des photos des scènes de crime #AttackParis #fusillade

    «Maya n'avait pas le contrôle de la revente de sa photo»

    Partie civile au procès qui doit se tenir vendredi devant la 17e chambre du Palais de justice de Paris, la famille (la mère, le père et l'ex compagne de Cédric G.) demande 34.000 euros de dommages et intérêts en plus des frais de procédure (environ 10.000 euros).

    «Il y a des choses qui ne se font pas, lorsque l'on diffuse ce genre de photos et qu'on décide de ne pas flouter le visage et qu'on entretient une confusion avec une interview d'un autre rescapé, on doit répondre de ses actes devant une juridiction pénale», estime Me Sannier.

    De son côté, l'Associated Reporters Abroad (ARA), une association américaine de pigistes, écrit dans un communiqué que ces poursuites sont injustifiées parce que Maya Vidon-White «n'a pas publié la photo en France; elle n'a pas vendu la photo à un média français – mais dans le cadre d'une série pour UPI aux États-Unis. Après ça, elle n'avait pas le contrôle de sa revente ou de sa publication».

    Le magazine VSD quant à lui ne souhaite «pas communiquer sur sa défense». D'après nos informations, son avocat devrait «plaider le droit à l'information». Également joint, l'avocat de la photographe n'a pas donné suite à nos appels.

    Une loi sur la presse souvent critiquée

    Cette poursuite s'appuie notamment sur une modification de la loi sur la presse décidée par l'ancienne garde des sceaux Elisabeth Guigou afin de permettre la condamnation des médias qui publient des clichés de victimes d'attentat, «dans des postures jugées par elles dégradantes». Cette loi est régulièrement critiquée.

    L'Associated Reporters Abroad, dont fait partie Maya Vidon-White, s'est notamment dite «outrée devant les tentatives de la justice française de criminaliser la conduite de notre collègue reporter et photographe qui faisait son travail».

    «Nous sommes malheureusement trop habitués à couvrir des attentats, et nous avons beaucoup d'empathie pour les victimes de ces massacres, y compris celles du 13 novembre à Paris», dit Jabeen Bhatti d'ARA dans ce communiqué. «Mais c'est une chasse aux sorcières du parquet français. Ça sera quoi ensuite: poursuivre des reporters parce qu'ils ont interviewé des victimes?»

    Mise à jour le 15 avril après l'audience au tribunal

    Au tribunal ce vendredi, les conseils de VSD et de la photographe ont immédiatement soulevé la nullité et l'irrecevabilité des poursuites engagées par le parquet après la publication de ce cliché.

    Selon eux, la loi invoquée (l'article 35 quater de la loi sur la liberté de la presse) exige que la victime soit vivante et qu'elle porte elle-même plainte pour atteinte à la dignité. Or, Cédric G. est mort quelques heures après à l'hôpital.

    «C'est terrible, c'est affreux, mais il n'y a pas d'infraction car la victime n'est pas vivante», a plaidé Me Toledano, l'avocat de Maya Vidon-White. Et de tacler le médiatique procureur de Paris François Molins:

    «Entre deux conférences de presse, le procureur de Paris aurait pu ouvrir son code pénal.»

    «J'imagine combien ces débats juridiques doivent être pénibles»

    L'avocat de VSD estime que le procureur «aurait pu indiquer à la famille d'engager une action civile» pour exiger des dommages et intérêts, comme cela avait été le cas lorsqu'une photo du corps du préfet Érignac assassiné avait été diffusée dans Paris Match.

    Les avocats des proches de Cédric et le procureur ont contesté toute nullité ou irrecevabilité. Le juge, lui, s'est excusé auprès des proches de la victime décédée le 13 novembre et présents au procès:

    «J'imagine combien ces débats juridiques doivent être pénibles à entendre pour les proches de la victime.»

    Le tribunal décidera le 20 mai prochain si les poursuites contre VSD et la photographe sont frappées de nullité ou d'irrecevabilité. Dans le cas contraire, le jugement au fond pourra avoir lieu.

    CORRECTION

    La famille de la victime demande 34.000 euros de dommages et intérêts (en plus des 10.000 euros de frais de procédure environ). Une première version indiquait une demande de 8000 euros de dommages et intérêts.