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    Amiante, rats... des militaires Vigipirate dénoncent leurs conditions d'hébergement

    De plus en plus de photos circulent sur les réseaux sociaux pour dénoncer l'insalubrité des logements réservés aux militaires déployés après les attentats. Auprès de BuzzFeed News, le ministre de la Défense promet de régler la situation «d'ici l'été».

    (Avec Caroline Rozwadowski) Un an après les attentats de janvier et trois mois après ceux de novembre, des militaires déployés notamment à Paris dans le cadre du plan Vigipirate sont exaspérés. Depuis plusieurs semaines, certains relaient même des photos chocs sur les réseaux sociaux pour dénoncer leurs conditions de travail et de logement. Contactés par BuzzFeed News, quelques soldats témoignent. Le ministère de la Défense lui, assure que la situation «sera améliorée d'ici l'été».

    Au lendemain des événements des 7, 8 et 9 janvier, l'opération Sentinelle est déclenchée et 7000 hommes environ sont mobilisés pour protéger la capitale. Après les attentats du 13 novembre, 3000 hommes de plus qu'en janvier sont sollicités et débarquent le 15 novembre. Face à la précipitation, certains logements sont mis à disposition par les municipalités. Des casernes de pompiers, des commissariats, des gymnases, des mairies... Mais certains de ces endroits sont dans un état «déplorable».

    «On n'a pas trop tendance à se plaindre, mais il y a un minimum»

    Le compte Facebook Infos Soldats relaie ainsi régulièrement des clichés pour dénoncer ces conditions. Si certaines photos n'ont rien à voir avec l'opération Vigipirate, d'autres, dont l'authenticité a pu nous être confirmée par des militaires, traduisent la réalité de ce que vivent certaines forces déployées pour l'opération Sentinelle.

    Selon plusieurs clichés, certains lieux apparaissent comme étant totalement insalubres.

    Interrogé par BuzzFeed, l'administrateur de la page Facebook qui relaie ces photos précise «que les langues se délient», même si «la hiérarchie veille». D'autres publications montrent la présence d'insectes ou de rats dans certains endroits réservés aux militaires.

    BuzzFeed News a pu rencontrer quatre militaires chargés de protéger la capitale dans le cadre de l'opération Sentinelle. D'après ces soldats, dont les noms ont été tous modifiés, n'étant pas habilités à parler à la presse, les «photos sont authentiques».

    «D'habitude on n'a pas trop tendance à se plaindre, mais il y a un minimum quand même», dénonce Alexandre, 27 ans. Les militaires changent régulièrement de logements selon les affectations. Et si les conditions sont jugées «tout à fait acceptables» en banlieue, les endroits situés à Paris «sont très insalubres».

    «Là (en banlieue parisienne, ndlr) nous sommes plutôt bien logés, mais récemment nous étions dans une sorte de grenier, dans les combles d'une mairie. Nous avions juste des lits de camp, pas d'oreillers», raconte-t-il. «Récemment, on a aussi logé dans un endroit où six de nos collègues dormaient sur des tatamis car il n'y avait pas assez de lits de camp pour tous les hommes», ajoute-t-il. «Certains sites sont complètement délaissés. Le papier toilette ou le savon c'est pareil, on se le fournit nous-même, sinon nous n'en avons pas».

    «Il y avait de l'amiante à même le sol»

    Selon Anthony, trente ans, de l'amiante serait présente dans certains logements. «Nous avons déjà été dans une chambre amiantée à Lyon. Il y avait de l'amiante à même le sol car les dalles étaient retirées. Et on avait seulement 1m2 par personne.» Pierre, un soldat affecté en banlieue ouest, évoque lui l'effondrement d'un plafond dans un site militaire situé à l'est de Paris et même «un cas de gale» contracté par l'un de ses collègues.

    Selon plusieurs militaires interrogés, certains ont même dû s’inscrire à des salles de sport, à leur propre frais, pour avoir accès à «des sanitaires corrects». Cela a été le cas pour un site du 11e arrondissement de Paris, comme l'a rapporté France info. D’autres soldats «ont été logés dans des établissements ne possédant que deux douches pour une centaine d’hommes».

    «Dans le 18e arrondissement, il y avait des rats. Pour les douches c’était à la bouteille d’eau. Mais on nous demande gentiment de nous taire, de ne pas en parler», dénonce Anthony. Et d'ajouter:

    «Je ne pense pas que le ministère de la Défense soit au courant de tout. Beaucoup d’informations ne remontent pas jusqu’à ce niveau. Nos chefs "intermédiaires" remontent les infos qu’ils veulent. Même le GMP (le gouverneur militaire de Paris, ndlr) n’est pas au courant de tout.»

    La Défense admet des conditions «parfois limites»

    Contacté par BuzzFeed News, le ministère de la Défense dit «prendre très au sérieux le problème» et admet même «qu'il existe en effet certains endroits où les conditions de logement peuvent parfois être très limites». Pour se défendre de toute négligence, trois représentants nous ont reçu au ministère.

    «Ce n'est pas un sujet que nous éludons, et nous sommes conscients des difficultés pour certains militaires. D'ailleurs, le ministre Jean-Yves Le Drian est allé rencontrer à quatre reprises les militaires depuis janvier 2015», explique un responsable qui tient à préciser que malgré cela, «les Sentinelles sont toujours déterminées à protéger les Français».

    La principale difficulté est concentrée à Paris, où il a fallu loger six régiments en à peine trois jours juste après les attentats. Pour cela, le plan Neptune (qui permet en principe le déploiement de 10.000 hommes en cas de crue centennale de la Seine) a été déclenché. Mais aucun site rattaché au ministère de la Défense (et donc bien mieux adapté) ne peut accueillir des soldats à Paris intra-muros.

    «Effectivement ce plan prévoit l'hébergement des militaires, mais pendant quelques semaines seulement puisqu'il est lié à la crue de la Seine. Là nous sommes dans une opération insérée dans la durée, nous voyons donc bien qu'il faut faire des efforts», explique-t-on dans l'entourage du ministre.

    16 millions d'euros débloqués

    D'après nos informations, ces efforts promis devraient se faire sentir «dès l'été 2016». Alors que cinq millions d'euros ont été alloués pour améliorer les conditions d'hébergement, 16 millions ont à nouveau été débloqués cette année. «À terme, l'objectif du ministre est de faire loger tous les militaires sur des sites de la Défense avec nos standards de logement», nous précise-t-on. En attendant, 7% des soldats logeraient dans des conditions parfois «déplorables».

    Si le cabinet de Jean-Yves Le Drian admet la gravité de la situation, il souhaite également la nuancer. Selon lui, certaines photos qui circulent sur internet pour dénoncer ces conditions ont en réalité été prises dans des salles de repos appelées «vigie». «Ce ne sont pas des zones prévues pour l'hébergement et le gouverneur militaire l'a rappelé aux soldats il y a quelques jours», indique le cabinet du ministre.

    De l'aveu même du ministère, les forces militaires déployées sur une durée de 6 semaines semblent également souffrir des horaires imposés. Au lieu d'être en patrouille 24h, d'être en alerte le lendemain et en repos le troisième jour, les soldats sont mobilisés 48h d'affilée depuis novembre. Avec «très très peu de repos». «Oui les gars sont tous sur le pont depuis novembre, mais cela devrait également changer d'ici l'été avec le nouveau plan de recrutement qui prévoit 11.000 hommes supplémentaires», annonce un commandant en charge des Sentinelles.

    La récupération des photos par l'extrême droite

    Au-delà des logements, certains militaires se plaignent de l'absence de prises électriques. «Ça paraît anodin comme ça, mais pour nous c'est énorme. Notre vie se passe dans un petit truc carré qui s'appelle un téléphone. C'est avec ça que nous arrivons à avoir des photos de notre famille, à garder le contact et on se retrouve dans des endroits où l'on est 20 par chambre avec seulement deux prises», se plaint Anthony.

    «Nous comprenons tout à fait et nous tenterons d'y remédier», nous répond le ministère de la Défense, qui semble découvrir le problème.

    En attendant, certains sites de la «fachosphère» n'hésitent pas à récupérer ces clichés postés sur les réseaux sociaux pour tenir un discours anti-migrants. Selon eux, des migrants seraient logés dans des centres à la place des militaires, ce que le cabinet de Jean-Yves Le Drian dément catégoriquement:

    «Nous savons que ce sujet est récupéré par l'extrême droite, avec quelques intox puisque parmi les photos qui circulent, il y en a une par exemple prise lors de l'opération Barkhane (dans la bande sahélo-saharienne, ndlr), mais c'est absolument faux. Les sites mis à disposition pour les migrants n'ont jamais eu vocation à être utilisés par l'armée.»

    Caroline Rozwadowski et David Perrotin