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    Maryam Pougetoux, présidente de l'Unef à Paris-IV: «Mon voile n’est absolument pas un symbole politique»

    Exclusif - Parce qu’elle porte le voile et qu’elle milite à l’Unef, elle a été attaquée de toute part. À BuzzFeed News, Maryam Pougetoux, 19 ans, dit son incompréhension et sa détermination.

    Depuis une semaine, tout le monde ne parle plus que de sa tenue. Pourtant Maryam Pougetoux, 19 ans, aurait préféré qu’on lui parle de son engagement syndical. Depuis décembre, elle est la présidente du syndicat étudiant Unef à Paris-IV-Sorbonne, où elle étudie les lettres et les métiers de l’édition. Il se trouve qu'elle porte un voile qui lui couvre le front, les oreilles et le cou. Quand elle arrive dans les bureaux de BuzzFeed samedi après-midi, on sent très vite que l’étudiante n’a pas l’habitude d’avoir les regards braqués sur elle. Arrière-petite-fille de résistants, Maryam Pougetoux, engagée dans un syndicat progressiste, vit dans une famille musulmane qui compte «des catholiques et où les dîners se passent très bien». Après un bac S, elle se découvre en prépa une passion pour la littérature. Elle entamera bientôt sa troisième année de licence. Et aspire un jour à travailler dans une ONG.

    Peu importe pour le ministre de l’Intérieur et des Cultes, Gérard Collomb, qui lui reproche de marquer sa «différence avec la société française». D’aucuns jugent sa foi affichée incompatible avec le syndicalisme, comme le cofondateur du Printemps républicain, Laurent Bouvet, ou le député France insoumise (FI) du Nord, Adrien Quatennens. D’autres, comme la secrétaire en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, y voient la marque d’un islam politique. Sur internet, de nombreux anonymes s'en sont violemment pris à elle, jusqu'à diffuser son numéro de téléphone. «Pathétique» juge Maryam Pougetoux, pour qui le port du voile ne devrait pas être soumis à un «oui, mais». «Le "mais", pose un problème dans un État de droit», tance l’étudiante. Rencontre avec une jeune femme devenue, malgré elle, symbole de toutes les crispations françaises autour de la laïcité.

    Nous sommes une semaine après votre interview sur M6 et le post Facebook de Laurent Bouvet, membre du Printemps républicain, qui a déclenché la polémique sur votre voile. Comment avez-vous géré tout cela ?

    Maryam Pougetoux : La semaine a été assez difficile, parce qu'on ne s'y attend pas. On milite tous les jours, on fait notre travail de syndicaliste, on va en cours, on est avec sa famille... Et du jour au lendemain, on retrouve son visage dans tous les médias. J'étais très étonnée que ça aille jusque-là, et c'est pour cela aussi que je prends la parole aujourd'hui. Il a fallu que je prenne un peu de recul, mais maintenant je pense qu'il est temps d'expliquer des choses et de parler. Sur le plan émotionnel, j'ai été très soutenue, je pense que c'est ce qui m'a aidé à tenir, ce qui m'a permis de faire abstraction de tous les commentaires négatifs sur moi. Mais c'est compliqué.

    Votre numéro de téléphone a notamment été divulgué sur les réseaux sociaux, avez-vous reçu des menaces ?

    Pour protéger ma famille et moi-même, je refusais tous les appels lorsque je ne savais pas qui c'était. J'ai reçu quelques messages haineux, mais c'était surtout sur les réseaux sociaux. Heureusement pour moi, c'était moins frontal, mais c'est vrai que j'ai été surprise qu'on divulgue mon numéro et qu'on appelle à me harceler. Ce n'est pas rien comme prise de position, comme manière de s'exprimer. Je n'avais ni Twitter ni Facebook avant de m'investir, c'est tout nouveau pour moi, et je ne pensais pas qu'un seul post Facebook pouvait déclencher tout cela.

    Votre photo, associée à de nombreux commentaires islamophobes ou à des insultes, a largement été relayée. Avez-vous eu peur pour votre sécurité ?

    La peur est restée dans un coin de ma tête parce que je ne savais pas ce qui pouvait arriver au détour d'une rue. On m'a déjà reconnue, mais heureusement les personnes n'étaient pas malveillantes. J'ai fait attention, et puis la période des partiels a fait que j'ai pu ne pas trop sortir. Cela aurait pu être plus compliqué pour moi. Ma famille m'a beaucoup soutenue, c'est un cocon protecteur, même s'ils étaient à la fois en colère et triste pour ce qui arrivait à leur enfant.

    «Je dois presque me justifier de porter le voile, alors que je ne devrais pas.»

    Est-ce la première fois que vous vous rendez compte que porter un voile peut poser problème à certaines personnes ?

    Je l'ai déjà remarqué plusieurs fois. D'abord dans la rue. Après les attentats de 2015 notamment, j'ai senti qu'on ne me regardait pas de la même manière, qu'on pouvait me regarder de façon un peu insistante. Mais au niveau universitaire, il y a l'idée que nous sommes tous là pour travailler, pour apprendre, pour étudier. Donc à partir du moment où on se donne les moyens pour le faire, le voile ne pose pas de problème. Lorsque je suis arrivée à l'Unef, on ne m'a pas non plus jugée parce que je portais un voile. C'est pour cela que j'ai pu m'impliquer autant pour ce syndicat et que je m'y sens à l'aise.

    Le soutien de l'Unef a-t-il été inconditionnel, ou des divergences internes ont-elles existé ?

    C'est quelqu'un de l'Unef qui m'a appelée pour me dire qu'après mon passage à la télévision, il y avait de nombreuses insultes. On a tout de suite pris des mesures pour me protéger en sécurisant mes comptes pour qu'il y ait le moins de dégâts possibles. Je ne répondais à personne, je regardais seulement les commentaires. Il s'avère que toutes les personnes qui ont répondu à ces commentaires — de manière toujours constructive —, ce sont des personnes de l'Unef. La question se pose même pas, je pense. Ils m'ont vraiment soutenue.

    Cette affaire a pris encore plus d'ampleur lorsque le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, s'est exprimé sur BFM-TV le 19 mai. Il a notamment estimé que votre voile pouvait marquer votre «différence» avec la «société française», qu'avez-vous envie de répondre ?

    C'est assez grave, je ne m'attendais pas à ce que cela monte aussi haut et que cela devienne presque une affaire d'État. C'est assez pathétique de la part d'un ministre de l'Intérieur d'avoir de tels propos, aussi violents. Sachant que mon voile n'a aucune fonction politique. C'est ma foi. Après oui, c'est visible, mais ce n'est pas pour autant du prosélytisme. Je dois presque me justifier de mon choix alors que je ne devrais pas.

    Il a aussi semblé faire le lien entre les jeunes portant le voile et ceux tentés par Daech [l'organisation État islamique]...

    À mon sens, il n'y a aucun lien entre mon voile et des jeunes qui seraient attirés par Daech. Il faut savoir que tout vient de l'éducation. Lorsqu'on donne la possibilité à des jeunes de s'éduquer, d'aller à l'université, de se forger leur propre opinion pour qu'ils réfléchissent par eux-mêmes, on ne devrait pas avoir ce souci de jeunes radicalisés. Il y a toujours des exceptions, bien sûr, mais c'est la principale manière de lutter contre ces tentations radicales selon moi. Et s'agissant de moi, je me considère comme étant intégrée et je n'ai rien à voir avec Daech. Je suis une citoyenne française, j'ai fait des études en France, dans des établissements laïcs et publics, mon voile n'a aucun lien avec ça. Je le porte par choix, par conviction religieuse, mais dans le respect de la loi, dans le respect d'autrui, donc à partir de ce moment-là, le débat ne devrait même pas se poser.

    «Lorsque je défends des étudiants ou des étudiantes, je ne me pose pas la question de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle, de leur philosophie de vie.»

    La secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, considère que votre voile est l'expression «d'un islam politique», est-ce le cas ?
    Je réfute le fait que l'on puisse dire que mon voile est un symbole politique. Ce n'est absolument pas le cas. On lui donne une signification que moi-même je ne lui donne pas. Je pense qu'il faut démystifier cette question-là. Derrière «islam politique», on met un peu tout et n'importe quoi. Et c'est malheureux car, on me prête des intentions qui ne sont pas les miennes. À aucun moment je n'ai mis mon voile par volonté politique ou réactionnaire. Absolument pas.

    Certains estiment que le fait qu'il couvre une grande partie de votre visage est le signe de cet «islam politique»...

    Ça en devient presque comique. Est-ce qu'on va commencer à mesurer la taille du tissu que l'on porte ? Si on commence comme ça, où va-t-on ? À partir du moment ou la loi autorise le port du voile à l'université, on ne devrait pas se demander si ça couvre les cheveux, les cheveux et les oreilles, ou les cheveux, les oreilles et le cou.

    Un député de la FI, Adrien Quatennens, juge qu'on ne peut pas être responsable syndicale et afficher ses convictions religieuses comme vous le faites, y voyez-vous une contradiction ? D'autres personnes vous ont-elles déjà fait cette remarque ?

    Porter un voile et être une responsable syndicale ne rentre absolument pas en contradiction selon moi. Personne à Unef ne m'a jamais fait la réflexion ni même posé la question. Pourtant, on débat sur beaucoup de choses ! Mais pas sur ça. Je représente des étudiants, j'ai été élue, on a estimé que j'avais les capacités de mener mon travail syndical, je ne vois pas pourquoi cela devrait poser question. J'espère que certaines mentalités évolueront et que du positif sortira de toute cette histoire. Que des gens puissent se dire qu'il est possible d'être une femme, une citoyenne française, d'être musulmane, voilée, étudiante et de s'engager pour les autres.

    Certains voient une contradiction entre votre voile et le fait de militer au sein de l'Unef, syndicat qui défend des causes comme le mariage pour tou-te-s ou l'avortement. Quel est votre avis ?

    Moi, je vis dans la société actuelle. Lorsque je défends des étudiantes ou des étudiants, je ne me pose pas la question de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle, de leur philosophie de vie... Oui, l'Unef revendique certaines valeurs, et ce sont des valeurs qui sont partagées majoritairement dans la société.

    Certains peuvent se demander si ce sont des valeurs que vous partagez en tant que porte-parole de l'Unef à Paris-IV et femme portant un voile...

    Je trouve ça grave que l'on s'interroge à ce sujet parce que je porte un voile. Si j'étais un homme musulman et que je ne portais pas de voile, peut-être que personne ne m'aurait posé la question. On arrive sur un terrain ou des personnes interprètent ce que je peux penser parce que j'ai un voile. On porte des idées progressistes à l'Unef, et j'estime que c'est un beau combat que de défendre ces valeurs pour que la société évolue.

    «Lorsque l'on reste chez soi, on dit que nous sommes soumises. Lorsque nous nous engageons, on nous dit que nous n'avons pas le droit.»

    En tant que représentante d'un syndicat en pointe sur ces questions, on pourrait vous reprocher de ne pas dire clairement "Oui, je suis pour le mariage pour tous ou pour la procréation médicalement assistée"...

    Qu'ils parlent. Moi je sais ce que je vaux, ce que m'apporte ce syndicat et ce que je lui apporte. On pense à ma place en disant cela. Que je dise oui, non, je ne sais pas, on trouvera toujours un truc à redire. Selon moi il n'y a pas de débat sur ce point. Je ne fais aucune différence avec les étudiants que je défends, donc il n'y a pas de problème. En intégrant l'Unef, j'en connaissais les valeurs. Je les ai acceptées de la même manière que l'Unef m'a acceptée, sans a priori et avec bienveillance. Je suis croyante et je vis avec mon temps.

    Comment vous êtes-vous engagée à l'Unef ?

    Cela a débuté par une rencontre par hasard, dans un couloir. Je me posais la question de m'engager dans la vie associative et de l'université. Je ne savais pas trop comment le faire et j'ai rencontré quelqu'un de l'Unef et, de fil en aiguille, j'ai adhéré à ce syndicat. On a toujours dit dans ma famille que j'avais réponse à tout, que je voulais toujours aider tout le monde et je pense que c'est une bonne manière de le faire. Représenter les étudiants, faire en sorte que leur condition d'études et donc les miennes, soient améliorées, c'est quand même important.

    Avez-vous pensé à démissionner de vos fonctions syndicales cette semaine ?

    Si je m'étais posée la question d'arrêter, c'est que j'aurais dû le faire. Mais cela n'a pas été le cas. Je milite contre la loi ORE, contre Parcoursup' et contre la remise en cause des droits étudiants. Actuellement, c'est mon seul combat. Je devrais lâcher parce qu'on m'a dit «tu portes le voile, tu n'as donc pas le droit» ? Mais j'ai le droit. Je ne vois pas pourquoi je partirais. Le combat n'est pas fini, j'ai encore des choses à apprendre, à revendiquer, à porter, tant sur le plan personnel que militant. Non, démissionner n'est ni envisagé, ni envisageable. Et on ne m'a pas demandé si je voulais renoncer. Les gens me soutiennent et savent que je n'ai pas de raison de partir. Je considère que l'avenir des étudiants est très important, tout comme celui des cheminots, des postiers, du personnel hospitalier...

    Récemment, Libération a publié un billet pour montrer la répétition de certaines polémiques avec des musulmans dans l'espace public et «les méthodes» souvent identiques pour «les exclure», que pensez-vous de tout cela ?

    Techniquement, une femme voilée est dans la société. Lorsque l'on reste chez soi, on dit que nous sommes soumises. Lorsque nous revendiquons, lorsque nous nous engageons, on nous dit que nous n'avons pas le droit. Ou alors on nous dit «oui, mais». En général, on écoute souvent ce qu'il y après le «mais», et pas ce qu'il y a avant. Selon moi, ce «mais» pose un problème dans un État de droit.

    Et qu'avez-vous envie de dire aux gens qui voient à travers votre voile un symbole de soumission ?

    Je l'ai mis par choix. À partir de ce moment-là, je pense que la question ne se pose même plus. Je défends toutes les femmes, qu'elles veuillent le porter ou qu'elles ne veuillent pas le porter, qu'elles soient musulmanes ou non musulmanes. Il n'y a pas un seul féminisme, il y en a des différents, divers et variés. Et je pense que le débat devrait se clôturer à un moment donné, ou être reposé de manière claire. Parce qu'actuellement, la loi autorise le port du voile dans l'espace public, à l'université, dans le respect d'autrui. À mon sens, je remplis toutes ces conditions.

    Avez-vous envie d'ajouter quelque chose ?

    Je voudrais juste dire merci à toutes les personnes qui m'ont soutenue. Je ne pouvais pas répondre à tout le monde, mais c'est ça que je retiens.