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    Laïcité: voici à quoi ressemblera le «guide du fait religieux» du ministère du Travail

    Info BuzzFeed News - Le ministère du Travail présentera le 20 octobre un guide pratique du fait religieux en entreprise. BuzzFeed News publie des extraits du document préparatoire.


    Mise à jour le 4 novembre: Myriam El Khomri présentera officiellement lundi aux partenaires sociaux le guide du fait religieux en entreprise.


    Répondre à des situations «très concrètes», tel est l'objectif de ce guide du fait religieux annoncé lundi par Clotilde Valter, secrétaire d'État chargée de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage. Le 20 octobre prochain, le ministère du Travail doit en effet présenter aux partenaires sociaux un guide pratique (il ne devrait pas encore être rendu public) destiné aux entreprises privées confrontées à la question de «l'expression des convictions religieuses de leurs salariés».

    Accusé à tort de remettre en cause la laïcité à travers la loi Travail, le ministère de Myriam El Khomri travaille depuis novembre 2015 à la mise en place de ce manuel pour tenter de corriger le flou laissé par cette loi. Le but est aussi de faire face à «une augmentation des demandes religieuses en entreprise», comme la possibilité de prier ou de prendre des congés pendant une fête religieuse. Lundi, la secrétaire d'État a cité l'étude de l’Institut Randstad datée d'avril 2015 qui indique que «50% des managers» ont été confrontés à des demandes de nature religieuse de la part de leurs salariés en 2015.

    39 réponses aux questions des employeurs et salariés

    Entre novembre et janvier 2016, plusieurs réunions ont donc eu lieu entre les partenaires sociaux et le ministère pour établir un document de travail. «Il ne devrait pas être si différent de la version finale du 20 octobre», nous précise l'un des partenaires sociaux. BuzzFeed News en publie quelques extraits.

    Dans cette version, la liberté religieuse en entreprise est réglementée selon les textes de lois déjà existants et présente des situations concrètes à travers 5 chapitres.



    Le guide présente 39 questions dans des tableaux, avec à chaque fois un exemple, une jurisprudence et la solution censée répondre aux employeurs, mais aussi aux salariés.

    Un salarié peut-il refuser de serrer la main d'une collègue?

    «L’objet de ce guide est de fournir les réponses qu’apporte le droit en vigueur et non pas de fournir des conseils en management», prévient d'emblée le ministère du Travail qui précise que le «style retenu est volontairement pragmatique et non juridique. L'objectif étant d’être compris de tous».

    Si le guide rappelle que l'employeur ne peut pas discriminer un-e employé-e pour des motifs religieux, ou l'empêcher de parler de religion au travail, il tente de «mieux cadrer certaines dérives», explique l'un des partenaires sociaux. Car contrairement aux services publics, les entreprises privées ne sont pas tenues à l'obligation de laïcité et de neutralité.

    Le guide mentionne l'exemple des salariés qui refuseraient de serrer la main de leurs collègues femmes. Et fait ainsi référence à ces cas (largement relayés) d'employés de la RATP qui n'auraient pas souhaité saluer certaines collègues.

    «Dès lors que n'est pas en cause l'exécution de la tâche qui lui est confiée, (l'employeur) ne peut pas imposer les modalités selon lesquelles un-e salarié-e doit en saluer un-e autre», rappelle le document de travail. Il ajoute toutefois:

    «En revanche, au regard de votre pouvoir de direction, il vous appartient de rappeler les règles de vie dans la communauté de travail, notamment le respect de tous. Si l'attitude du salarié cause un trouble objectif dans l'entreprise (perturbation du climat social, gêne dans le fonctionnement du service...), une mesure de licenciement pourra être envisagée...»

    Un salarié peut-il prier sur son lieu de travail?

    Le guide ne répond toutefois pas de façon évidente à toutes les interrogations. À la question de savoir si un employeur peut interdire à un-e salarié-e de prier sur son lieu de travail, le document précise que «la loi ne le lui impose pas», mais que si le/la salarié-e le fait «sur son temps de travail ou que cela gêne l'exécution du travail des autres salariés», une «interdiction est justifiée».

    Le document explique aussi que l'employeur n'est pas contraint d'adapter le temps de travail en fonction des pratiques religieuses de ses salariés ou qu'il n'est pas non plus tenu par la loi de mettre à disposition une salle de prière, ni de proposer des repas spécifiques motivés par des raisons religieuses.

    S'agissant du port du voile enfin, le guide rappelle qu'une entreprise ne peut pas donner une interdiction «générale et absolue» pour des motifs religieux, mais qu'elle peut prendre des restrictions «justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché» (conséquence en matière de sécurité, d'hygiène...). En revanche, le document ne précise pas si l'employeur peut interdire le port du voile au motif que son entreprise reçoit une clientèle:

    «S’agissant plus particulièrement des restrictions tenant à l’exigence de
    la clientèle, la Cour de Justice de l’Union Européenne a été saisie en avril dernier,
    par la Cour de Cassation, d’une question préjudicielle portant sur la légitimité
    pour une société prestataire de service informatique d’interdire, à la demande
    d’une entreprise cliente, qu’une de ses salariées s’y présente voilée.»

    Le ministère du Travail relativise

    Si le ministère dit vouloir répondre aux questions liées aux pratiques religieuses que peuvent connaître les entreprises, il n'est pas toutefois certain que cela fasse l'unanimité. Certains exigent une loi (c'est le cas du FN), quand d'autres, à l'instar de Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, estiment qu'une «erreur fondamentale serait de croire que la loi peut tout régler».

    De son côté le ministère du Travail contacté par BuzzFeed rappelle que ce guide repose exclusivement sur le droit et dit ne pas être préoccupé par une éventuelle augmentation des exigences religieuses. «À la suite des attentats, la ministre a mis en place un groupe de suivi qui analyse notamment les questions religieuses en entreprise et les éventuelles revendications. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’éléments qui permettent de constater une recrudescence de ces phénomènes communautaristes», nous précisait le cabinet en mars dernier.

    Ce dernier rappelle que l’employeur conserve la possibilité de réglementer la liberté religieuse «de manière justifiée et proportionnée». Et comme c’était le cas pourl’affaire Baby Loup, «c’est à la justice de solder les éventuels litiges».